Articles récents \ Culture \ Cinéma Chronique l’aire du psy : Debout les femmes ! Allons nous suivre cet appel ?

Les métiers du lien. Quelle belle trouvaille, cet intitulé proposé par François Ruffin! Sociologiquement, c’est la part féminine de la population qui en assume la charge, la prise en charge. Que le titre de son film Debout les femmes rende hommage à cet hymne créé collectivement en 1971 par le MLF constitue un beau femmage. Ce néologisme trouve ici toute sa pertinence et nous indique combien la direction de l’avenir est effectivement du côté des femmes, ainsi que le chantait Jean Ferrat en référence à Aragon.

Le duo cinématographique entre Gilles Perret et François Ruffin prodigue de l’émotion, de la bonne humeur, de l’élan vers l’espoir. La quête de dignité est la boussole de leur road-movie. Auxiliaires de vie (quelle appellation, quand on y songe !), les accompagnant·es des élèves en situation de handicap (AESH), animatrices périscolaires et puis également les femmes de ménage, celles de l’Assemblée Nationale notamment, dont le député Ruffin avait fait le plaidoyer auprès de ses collègues. Ces «agents d’entretien», dont 80 % sont des femmes mériteraient d’être nommées «agentes» d’entretien. Au moins cela visibiliserait leur nombre majoritaire !

Leur temps ne compte pas

Pour accomplir leurs missions, elles se déplacent. Mais ce temps consacré à l’espace géographique n’est pas pris en compte, considéré comme quantité négligeable. Les heures passées dans les transports, celles passées à conduire et donc à faire le plein d’essence (1), les horaires matinaux et nocturnes sont une composante essentielle de ces travailleuses précaires. Avec les AESH, c’est différent. Le célèbre Gérard Majax (2) a été reconvoqué pour ses talents de prestidigitateur illusionniste. L’aide humaine apportée aux élèves, d’individuelle est devenue «mutualisée». La mutualisation de l’aide. Quelle appellation magnifique porteuse de générosité, d’entraide et de partage ! Mais dans la réalité, il n’en est rien. Compte tenu du peu de candidatures aux fonctions d’AESH, l’amplitude des interventions vient dans les faits pallier le manque de personnels auprès des élèves à besoins particuliers. Auparavant, la  Maison Départementale des Personnes en situation de Handicap (MDPH) notifiait qu’une aide humaine devait être apportée à tel élève. Cette aide était individuelle et quantifiée (12h par exemple). Des parents ont porté plainte contre l’éducation nationale pour s’être soustraite à ses obligations. Depuis cette jurisprudence (3), la «mutualisation» des interventions des AESH permettrait d’accompagner plus d’élèves, mais moins longtemps. L’institution scolaire devenant ainsi inattaquable, même si la réponse apportée est insatisfaisante. Quittons la zone urbaine, pour partir en milieu rural et la mutualisation va se transformer en marathon disparate, en perte de sens, en parcours décousu. Les repères deviennent fluctuants là où justement la régularité d’une présence serait attendue pour ces élèves, dont le handicap nécessite une «compensation». Comme le dit l’anthropologue Charles Gardou (3) : «On peut faire de l’inclusion sans être inclusif». L’éducation nationale reçoit des élèves autrefois en établissement spécialisé. Elle les reçoit, mais ne les «accueille» pas. Pour les accueillir dignement, la présence d’AESH ne doit pas être optionnelle. La reconnaissance des AESH passe par une rétribution décente, une formation et une évolution de carrière, une formation également des enseignant·es souvent impréparé·es à accueillir ces élèves à besoins particuliers et conjointement leurs AESH.

Du porte-parole à l’incarnation d’une prise de parole

De prime abord, les petites mains se tiennent plutôt dans l’ombre. Peu à peu, elles vont s’incarner et prendre la parole. Car c’est bien de ça dont il est question dans Debout les femmes. Recouvrir sa dignité, c’est ne plus attendre qu’on nous donne la parole, ni la demander, encore moins la réclamer, mais la prendre. Debout les femmes ! C’est le redressement des corps, qui ne courbent plus l’échine, épuisées qu’elles sont par ce qu’elles subissent. Fières de ce qu’elles font, dignes, apprêtées, visibles. Cette assemblée de femmes n’est pas un rassemblement d’hystériques, mais seulement des travailleuses courageuses, respectables mais insuffisamment respectées par des conditions de travail et des modalités de rétribution dérisoire au regard de l’humanité nécessaire à l’exercice de leurs missions.

Mémoire ou amnésie du politique

Nous allons circuler dans les galéjades du pouvoir. Lorsqu’une mission parlementaire est confiée à François Ruffin, il s’enthousiasme de pouvoir éclairer les parlementaires pour être force de propositions. Il déchantera en constatant que ses propositions sont vidées de toute substance concrète. Puis viendra ensuite une proposition de loi, visant à ce que des mesures législatives concrètes voient le jour. «Rejetée». Ce mot revient avec insistance à l’Assemblée Nationale, au sein de laquelle les Marcheurs votent comme un seul homme. Bruno Bonnell, député En Marche, s’est engagé et sincèrement impliqué aux côtés de François Ruffin, dans la proposition de loi visant l’amélioration des conditions de celles qui exercent les métiers du lien. Ce vote du budget 2020, dit le député Bonnell, est un «grand rendez-vous manqué». Le COVID l’a privé d’entendre les rejets successifs des articles de loi par ses collègues marcheurs. Nous spectatrices/ spectateurs, y assistons impuissant.es et révolté.es de cette absence collective de considération d’une situation, qui aurait pu faire fi des clivages politiques.

La reconnaissance des métiers du lien, si essentiels, reste à advenir. Des animatrices/animateurs périscolaires, qui ont cette lourde responsabilité d’accompagner tous nos enfants aux auxiliaires de vie, qui lavent, restaurent celles et ceux dont l’âge avancé ou les pathologies, les ont conduit.es à une perte d’autonomie, en passant par les situations de handicaps, que les AESH aident, toutes ces femmes contribuent à un traitement humain et respectueux pour qui en a besoin. Ce n’est pas à une société de services que nous aspirons ! Comme le dit François Ruffin, qui a le sens de la formule : «on a vite fait de passer des services aux servis et donc aux serfs et aux asservis.» Nous devons prendre collectivement soin de celles (et ceux) qui prennent soin de nous et la reconnaissance implique des engagements, qui «devraient dépasser les barrières politiques et idéologiques».

Souhaitons que ce film y contribue.

Daniel Charlemaine 50-50 Magazine

1 Question d’actualité, qui a constitué l’un des points d’origine du mouvement des Gilets Jaunes.

2 Gérard Majax est un prestidigitateur qui a connu son heure de gloire à la télévision française dans les années 70 et 80. Il publie nombre d’ouvrages consacrés à la magie et à la zénétique (étude visant à différencier science et croyance dans les phénomènes paranormaux, pseudosciences ou pseudothérapies). »

3 Le 4 juin 2021, le Tribunal administratif de Nantes a estimé les parents fondés à soutenir que l’absence de mise à disposition effective d’un accompagnant scolaire aux côtés de leur enfant portait «une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l’éducation».

4 «Handicap : le difficile avènement d’une société inclusive». Avec Charles Gardou et Pascaline Bon. France Culture L’invité des matins de Guillaume Erner le 21/10/21.

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