Articles récents \ France \ Société Monique de Kermadec : « Aujourd’hui encore, on entend des virulents commentaires masculins sur la femme surdouée »

Encore aujourd’hui, lorsque la thématique de l’enfant précoce ou à haut potentiel est abordée, le visuel utilisé par les médias est celui d’un garçon de race blanche à lunettes de 7 ou 8 ans. Or, sur les 2,3 % de la population qui détient un Quotient Intellectuel (QI) supérieur à 130, la moitié sont des femmes. Dans le cadre de l’anniversaire des 50 ans de la première association pour les enfants intellectuellement précoces (ANPEIP). Monique de Kermadec, psychologue clinicienne et psychanalyste, nous explique qui sont ces femmes et ces filles hors normes.

Est-ce vrai que les filles sont généralement moins testées que les garçons ?

Dans les années 1995, les familles testaient les garçons et peu les filles car les parents étaient plus préoccupés de la scolarité de leur fils que de leur fille, ceux-ci étant moins appliqués et les filles posant moins de problèmes. Maintenant les parents ont compris que le test de QI permettait de comprendre avec précision le fonctionnement intellectuel de leur enfant et donc, l’ont perçu comme un outil d’accompagnement. Aujourd’hui, on arrive pratiquement à un équilibre avec presque autant de filles que de garçons testé·es. Les hommes acceptent davantage la potentialité de leur compagne ou fille et les encouragent. Il y a une évolution positive depuis 25 ans.

Comment fonctionne le cerveau de la petite fille à Haut Potentiel (HP) ?

La petite fille a une intelligence émotionnelle et relationnelle différente. Elle appréhende mieux son entourage et répond aux attentes demandées assez tôt. Elle est plus sensible et plus réceptive à ce qui se passe autour d’elle. Ainsi, elle va se fondre dans la classe car elle est plus mature que le petit garçon. Il ne s’agit pas d’une question d’hormones car celles-ci ne se secrètent qu’à la puberté. La fillette posera moins de problèmes d’adaptation à l’école et au sein de sa famille que le garçonnet. Ce dernier reste très observateur mais la petite fille détient comme un détecteur, elle est plus intuitive. Elle se sent parfois gênée de ces différences et craint d’être rejetée. C’est l’effet caméléon. Les filles n’ont pas le même rythme de développement et d’éducation que les garçons. Elles sont matures plus tôt dans leur façon de gérer leur quotidien. Cela ne veut pas dire qu’elles sont supérieures aux garçons mais elles anticipent la réaction de l’entourage et s’adaptent ainsi plus facilement. On ne peut pas aborder un petit précoce de 11 ans comme une petite précoce de 11 ans en raison de leurs différences de rythme car, elle est bien plus mûre.

Une fois adulte, comment la femme vit son haut potentiel ?

La femme vit différemment sa douance (1) que l’homme. Nous vivons dans une société genrée où l’éducation, l’environnement culturel et familial, vont avoir un impact sur l’acceptation de la douance. Il y a 25 ans, la femme intelligente faisait peur. Aujourd’hui encore, on entend des virulents commentaires  masculins sur la femme surdouée comme si la femme intelligente n’existait pas. Leur intelligence reste encore minimisée.

Comment cela se passe au niveau du couple ?

Une femme surdouée peut être parfaitement heureuse avec un homme non surdoué et vice-versa. L’important est la complicité, le partage des valeurs et des intérêts. Mais c’est vrai qu’il peut y avoir des incompréhensions surtout si le rythme n’est pas le même. Et un couple de surdoué·es peut ne pas fonctionner si l’un·e est extraverti·e et l’autre non.

Vous avez travaillé de nombreuses années aux USA. Une personne HP est-elle considérée de la même manière en France qu’aux USA ?

J’ai fait des études aux USA après le bac et j’ai dû passer toute une batterie de tests lorsque j’ai fait mes études en psychologie. Ce n’était pas pour vérifier mon QI mais pour connaître mes aptitudes. Il y a 25 ans lorsqu’on à commencé a parler de précocité en France, il y a eu la crainte qu’une certaine ségrégation entre les enfants se mette en place et que l’Etat investisse sur ces enfants HP en laissant de côté les autres. Certains parents refusaient de faire passer des tests à leurs enfants alors que c’était conseillé par les enseignant·es. Ils ne voulaient pas cataloguer leurs enfants et ne désiraient pas avoir un regard différent sur un·e enfant dans une fratrie. Aux USA, les classes pour enfants précoces commencent à 125 de QI. En France, la barrière est de 130. Mais on ne peut pas résumer une personne à un simple test de QI, car il existe d’autres formes d’intelligence.

Y-a-t-il un regard différent de nos jours en France sur le ou la HP ?

Il y a moins de gêne à se poser des questions sur soi, à comprendre son fonctionnement, à valoriser ses atouts afin de se donner plus de chances pour mieux réussir. La question du haut potentiel s’est vulgarisée à travers les livres, les médias, les réseaux sociaux, les séries télévisées même si parfois l’image de la personne HP n’est pas tout à fait exacte. Cependant, cette spécificité commence à être acceptée au même titre qu’une autre.

D’où viennent ces intelligences hors normes ?

Il y a une part d’hérédité mais c’est avant tout l’impact du contexte environnemental qui va faire évoluer le QI. Aux USA, des études sur le cerveau ont été faites et il a été démontré qu’on peut modifier notre fonctionnement cognitif. Ainsi une personne qui détient un QI défini dans un contexte culturellement riche peut augmenter son QI de 10 points. Lorsqu’il n’y a plus de stimuli, le QI reprend alors son niveau initial.

Il y a 3 écoles sur l’origine du haut potentiel : la 1ère estime que l’intelligence est uniquement génétique, la 2ème qu’elle est uniquement contextuelle et la 3ème un mixte d’hérédité et de contexte. Il faudrait une étude longitudinale qui démarrerait de l’enfance jusqu’à l’âge adulte pour quantifier la part d’hérédité et la part de l’environnement familial et culturel. Une personne dénutrie et non scolarisée ne pourra développer de la même manière son intelligence. L’éducation et le l’environnement socio-culturel sont donc essentiels.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

Douance intellectuelle, ou haut potentiel, sont les termes officiels de l’expression populaire « surdoué ».

Monique de Kermadec  La femme surdouée – Double différence, double défi. Ed A Michel  2019

L’Association Nationale Pour les Enfants Intellectuellement Précores, 50 ans d’actions pour l’enfant à haut potentiel Journée de débats et de conférences le s27 novembre 2021

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