Articles récents \ Culture \ Livres Le pouvoir insidieux du genre – Des histoires courtes qui en disent long
Le pouvoir insidieux du genre est un livre écrit par Violaine Dutrop. Ce livre nous relate des histoires courtes mais qui en disent long, sur la société, et surtout sur les inégalités et les stéréotypes qui régissent la vie des femmes au quotidien. Chaque histoire fait état d’une situation particulièrement anodine au premier abord mais pourtant discriminante ou associée à des rôles de genre… Ce livre permet de questionner les idées ancrées depuis de nombreuses années sur les différents rôles ou caractéristiques attribuées aux femmes et aux hommes. L’accumulation d’histoires pose une lunette grossissante sur les effets que cela produit dans notre quotidien.
Les stéréotypes sont durs à déconstruire car ils sont notamment alimentés par les médias. De nombreuses images de corps musclés, retouchés et presque « parfaits » sont véhiculées par les publicités et ont durablement influencé nos comportements. Ces stéréotypes relayés par des images mettant en scène une domination masculine, mais aussi par des dispoistions légales non interrogées comme les congés parentaux inégaux, influencent le choix des métiers, les préférences, le contrôle des corps, l’éducation… Cela pose de nombreuses questions concernant le travail, le couple, la parentalité, l’organisation des rôles familiaux et professionnels, les regards différenciés sur les parents au travail ou dans leur rôle parental…
Violaine Dutrop nous invite à une réflexion collective plus approfondie qui interroge les rapports de genre. Cet ouvrage, à travers de courts témoignages, dénonce les assignations des rôles sexués, ainsi que les émotions ou indignations créées par de telles situations.
Parmi les histoires les plus marquantes, il en est une qui raconte une intervention de pompiers sur une situation de grossesse écourtée. Les pompiers de sexe masculin pourtant habitués à intervenir sur toutes sortes de situations concernant des femmes et surtout ayant pour la plupart des épouses, des enfants et sûrement vécu dans leur vie des situations de fausses couches ou d’avortements, ont trouvé que c’était plus « normal » de laisser la seule pompière présente. Bien qu’elle ait 20 ans et qu’elle soit débutante et n’ait pas d’expérience de la maternité, elle doit prendre en main la femme en situation de fausse couche pour la simple et bonne raison qu’elle était une femme ! Elle saura mieux s’y prendre, c’est sûr ! Quelle est la logique de cette situation ? Une femme d’à peine 20 ans connaît-elle tout de la vie des femmes et des avortements/fausses couches seulement parce qu’elle est une femme ? Pourquoi serait-elle plus apte à intervenir, alors qu’elle n’a aucune expérience ? Bien évidement parce que la nature d’une femme serait plus douce et que son rôle de prendre soin la renvoie a sa fonction maternelle innée… C’est pour cette raison que les femmes s’orientent vers les métiers du care, non ? Mais l’homme dans cette situation s’est senti en retrait, mal à l’aise d’être un homme.
Abordons aussi les problèmes que causent ces stéréotypes de genre aux hommes, ces assignations à la naissance à telle ou telle fonction… Ce rapport de domination et de soumission imposée… Les pères se sentent délaissés lors de la préparation de l’arrivée du bébé voire parfois pas à leur place lors de son accueil… Des pères veulent s’investir et le milieu médical et celui de l’enfance doivent donc davantage leur ouvrir la porte ! Ces stéréotypes sont encore ancrés partout, dans le milieu médical, le milieu du travail, la sphère privée et même entre femmes !
Les inégalités femmes/hommes interpellent de plus en plus notre société.
Depuis le mouvement #Metoo ou #Incesteparlonsen, la parole se libère et libère petit à petit les femmes de leur silence et de leurs peurs. Grâce aux mouvements et aux livres dénonciateurs on remarque que les femmes refusent d’être assignées à des rôles. Il est donc important de s’appuyer sur les femmes qui réussissent, qui s’imposent, qui s’affirment afin d’également trouver une place loin des cases prévues à la naissance. Les exemples de ce livre, qui montre aussi la difficulté possible de réagir en situation de choc, le montrent bien.. les femmes osent. Elles osent dire leur mécontentement quand on leur attribue un nom de métier masculin, elles prennent la parole pour porter leurs projets en entreprise… Pensez à la ministre Barbara Pompili qui dénonce une formulation sexiste en insistant pour qu’on l’appelle « Madame la Ministre » !
Ce livre, qui amène à la révolte, révèle de plein fouet les inégalités entre les femmes et les hommes dans notre société. On voit apparaître une centaine d’histoires toutes aussi marquantes. J’ai revécu chaque situation pendant ma lecture, parce que je l’avais déjà vécue, par mes propres questionnements ou par le biais de mon imagination… Je pense triste de pouvoir se reconnaître ou imaginer les autres femmes dans ces situations, parce qu’elles nous paraissent banales au fil du temps. Je me souviens qu’alors que j’étais caissière, on m’a demandé si « je » étais ouverte avec un grand sourire ou on m’a dit « je ne possède pas la carte de fidélité car je ne suis pas fidèle » comme si c’était une fierté… Je me souviens avoir vu passer des kits de balai, de serpillères à la caisse destinées à des petites filles pour Noël. Je me souviens de certaines amies qu’on questionne sur leur projet d’enfants lors d’un entretien d’embauche… Mais dans ces situations que faire.. ? Être révoltée, partir ou ne rien dire mais obtenir un poste, faire en sorte que le rendez-vous se termine bien et ne plus revenir ? Ce livre a une réelle portée, la vocation de faire réagir afin d’agir par la suite en s’engageant contre ces inégalités. Ce livre devrait être lu par tou·tes pour comprendre l’impact de ces situations que les femmes vivent quotidiennement. Chacun·e de nous pourrait finalement se reconnaître et écrire la suite de l’histoire sans fin qu’a entrepris Violaine Dutrop. C’est le livre d’une vie, c’est le livre de tou·tes…
L’autrice, pour ancrer ces propos dans une réalité plus systémique, termine son livre avec une analyse chiffrée des inégalités salariales en abordant le congé de paternité ou la possibilité d’orienter les enfants vers tous les métiers sans distinction de sexe, pour finalement tenter de trouver un modèle qui permettrait à chaque personne, quel que soit son sexe ou son genre, de se réaliser et de devenir qui elle souhaite. Ce livre est un éclairage porteur d’espoir et de confiance qui incite à cheminer vers un équilibre, en mettant en place le double mouvement d’émancipation du foyer et de la place au travail pour les femmes, qui n’est possible que grâce à l’engagement réciproque des hommes.
Camille Goasduff 50-50 Magazine
Violaine Dutrop Le pouvoir insidieux du genre, Ed Libre & Solidaire 2021