Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Lucien Douib : « ça a été le début de l’enfer pour elle, mais aussi pour moi » 1/2

Le 3 Mars 2019 la vie de Julie Douib a basculé mais aussi celle de tous ses proches. Elle a été assassinée à son domicile par son ex compagnon. Julie est le 30ème féminicide de l’année 2019. Ce passage à l’acte est arrivé après de nombreuses plaintes, qui ont disparues à ce jour.. Le Grenelle des violences a eu lieu mais aujourd’hui encore il y a de nombreux féminicides. Les procès sont longs et coûteux en énergie. Le père de Julie, Lucien est toujours en procès car l’ex-compagnon de sa fille a fait appel du jugement alors qu’il a avoué son crime. En l’approche de la présidentielle il est temps de prendre de réels engagements. Quel honneur de recueillir le témoignage émouvant de Lucien Douib qui se bat sans relâche avec une force immense pour la mémoire de sa fille. Il participe à des colloques tel qu’en octobre dernier la journée débat 360° Violences conjugales : sortir de l’isolement pour s’en sortir. Il mène des actions comme de mettre en place des lieux de mémoire, il a partagé son histoire dans un documentaire, il organise des marches… 

A la suite de ses études à la fac, Julie avait décidé de faire un break et de faire des petits boulots d’été. Elle avait trouvé un job de serveuse dans un restaurant à Calvi, c’était en 2006. Elle est partie faire sa saison et au bout d’un mois environ elle nous a appelés pour nous dire que tout allait bien et qu’elle avait rencontré un jeune homme. C’étaient les vacances donc c’était normal pour une belle fille comme elle. On lui a dit qu’on était rassurés et de nous tenir informés.

A la fin de l’été, elle nous a annoncé qu’elle avait l’intention de rester vivre en Corse avec ce monsieur, avec Bruno. Elle allait bien, tout allait bien. Donc on lui a dit qu’il n’y avait pas de problèmes qu’elle pouvait rester et qu’on viendrait la voir. Au début tout allait bien donc, c’est comme toute rencontre d’un homme qui veut draguer une belle jeune femme. C’était des gentillesses, des restaurants, des attentions, il la sortait, l’envoyait faire du bateau… C’était la Corse, le soleil, la plage… Quelques mois après, en octobre, ils sont venus à Vaires-sur-Marne pour faire les présentations. Il était charmant, on discutait, c’était tranquille.. Si je me souviens bien, ils sont repartis en novembre et puis elle s’est installée chez lui en Corse. C’était les premières années de la vie de Julie avec cet homme…Il était très attentionné à l’arrivée du premier enfant en 2008. Il était présent, il s’occupait d’elle, il la chouchoutait.

Trois ans après, il y a eu la naissance du deuxième enfant. A partir de ce moment-là on a senti qu’il commençait son travail de sape, de bourreau, d’emprise sur elle… Il lui disait « Pourquoi est-ce-que tu veux aller travailler, je travaille pour vous, la famille c’est nous, c’est le plus important ! Tu n’as pas besoin de tes ami·es, de ta famille…». Il a commencé un petit peu à l’isoler de nous et de ses amis… Quand l’amour est là malheureusement on fait un choix et elle a fait le choix de s’isoler un petit peu des autres par amour pour lui et par amour pour ses enfants. C’était normal, on ne peut pas lui reprocher d’avoir fait ce choix mais on sentait quand même qu’elle était moins heureuse, moins gaie, moins souriante. On sentait qu’il y avait quelque chose, mais l’on ne savait pas exactement quoi…

Au début quand on se rendait en Corse on dormait chez eux, tout se passait bien. Puis une année, il nous a fait comprendre qu’on n’était pas forcément les bienvenus. Il ne nous adressait pratiquement plus la parole, l’apéritif qu’on buvait ensemble l’année d’avant on ne le prenait plus… On sentait qu’on gênait. Avec mon épouse Violette on avait décidé pour ne pas faire d’histoires de prendre une location dans un hôtel de l’île rousse afin de voir Julie et les enfants. Il avait le droit de ne pas nous aimer après tout, il avait le droit d’aimer Julie et ses enfants et pas nous. Mais bon, on sentait qu’il y avait quelque chose. Après, il a réussi à l’isoler complètement c’est-à-dire « Tu ne travaille plus, tu reste a la maison, tu élèves les enfants… ». C’était devenu plus strict. Vers 2006 jusqu’en 2013/2014, Julie a commencé à créer sa petite fabrique de bijoux, sur internet c’était « Créachic Bijoux ». Un ou deux ans après, elle a commencé à s’agrandir un peu; elle faisait les foires, les clubs de vacances l’été… Elle a commencé à prendre un peu d’indépendance. Bruno l’autorisait à le faire mais elle devait se débrouiller, c’est à dire que quand elle décidait de faire une soirée au club Méditerranée ou au club Belambra de l’île rousse, il la laissait se débrouiller seule c’est a dire « moi je ne m’occupe pas des enfants tu les prends avec toi tu te démerdes. Tu peux mais ça ne me plaît pas, tu te débrouilles, moi je ne veux rien entendre de tout ça, je ne vais pas t’aider à charger ni à décharger le camion… » Pour elle ce n’était pas grave, elle assumait ce qu’elle voulait faire, elle voulait montrer qu’elle était capable, donc elle prenait les enfants avec elle pour sa journée de travail, parfois de 14h jusqu’à 23h. Elle montait son stand et démontait son stand seule, faisait son job et s’occupait des enfants en même temps. Nous on avait ce sentiment que ce n’était pas normal. Un homme ne peut pas laisser une femme travailler toute la journée avec deux enfants dans un club… Mais encore une fois c’était son choix et on l’acceptait.

Bruno avait commencé son travail d’emprise, de destruction psychologique en lui disant de se débrouiller, qu’elle était moche, qu’elle s’habillait comme un sac, qu’elle ne servait à rien, que ses copines étaient toutes des putes… Voilà le quotidien de Julie mais toujours quand il était seul avec elle. A l’extérieur elle était «sa chose» et il la montrait. Comme Julie était belle et grande quand il sortait avec elle au restaurant, il fallait qu’elle soit parfaitement pomponnée, toujours belle et souriante… Dès qu’ils rentraient à la maison ou qu’ils étaient seuls, il recommençait le travail de destruction qu’il avait l’habitude de faire. Mais ça nous ne le savions pas, nous l’avons appris que bien longtemps après. 

En juillet 2018, Julie nous a appelés en nous disant qu’elle avait quelque chose à nous avouer, qu’elle n’en pouvait plus de tout ce qu’il lui faisait subir depuis des années et qu’elle allait le quitter. Donc nous sommes restés choqués et lui avons demandé « qu’est-ce qu’il te fait subir depuis des années? »  S’en est suivi l’aveu de cette destruction psychologique, les menaces de mort sur elle et les enfants si elle partait, la violence sur les enfants et puis les coups. Elle ne nous a pas dit exactement qu’il la frappait mais qu’il la rabaissait à tous les niveaux et qu’il était infect avec elle. Julie nous disait « il m’as détruit intérieurement ». C’était comme si elle n’ existait plus, elle avait l’impression d’être une moins que rien, d’être moche… C’était le travail d’un pervers narcissique au top du top.. je dis ça à chaque fois car c’est vraiment quelqu’un qui «chasse » et une fois qu’il à flairé sa proie il la détruit.

A la suite de cet appel nous sommes venus en corse au mois d’août voir Julie et elle nous a dit qu’elle ne voulait plus vivre avec lui. Donc nous lui avons dit que nous étions la pour elle et que si elle voulait partir nous l’aiderions financièrement et à rencontrer des assistantes sociales, ou des éducatrices si besoin pour qu’elle puisse s’en sortir. Lors de cette discussion nous étions dans le jardin et Bruno a débarqué en furie, il avait entendu la discussion et nous a dit «  je vous préviens tout de suite, Julie peut rester en Corse mais elle quitte la Balagne et si elle ne quitte pas la Balagne je vais lui faire la misère, je vais la défigurer, je vais la tuer». Il nous a dit ça frontalement. Je l’ai regardé et je lui ai dit que s’il touchait à Julie il aurait affaire à moi.

Deux ou trois jours après, début septembre, nous sommes rentrés sur le continent. Julie vivait toujours avec Bruno car il y avait les enfants. Le temps est passé et fin septembre début octobre s’est tenue une foire à l’île-Rousse ou Julie vendait des bijoux comme chaque année. Quatre jours avant, il l’avait mise dehors en petite culotte sans vêtements, sans rien après une dispute. Elle avait dormi dans sa voiture et pendant quelques jours, une amie l’avait hébergée et protégée… Lors de cette fameuse foire, ce monsieur est venu la voir à son stand. Il a envoyé les enfants faire du manège et a dit à Julie de venir les voir car ça faisait quatre jours qu’elle ne les avait pas vus, qu’il en avait marre et qu’il fallait qu’elle rentre pour préparer à manger. Julie lui a répondu qu’elle ne reviendrait pas mais qu’elle voulait quand même voir ses enfants. A ce moment là, il l’a amenée près des manèges à l’abri des regards et il a levé la main sur elle, l’a prise par les cheveux, l’a tapée, l’a jeté par terre et une fois que Julie a commencé à crier il la relâché comme si de rien était puisque de toute façon il n’y avait pas de témoins. Julie nous a appelés pour nous expliquer ce qu’il venait de se passer. Je lui ait dit d’aller porter plainte à la gendarmerie tout de suite et que j’arriverai en Corse deux jours après. C’était la première plainte officielle puisqu’il y a eu des mains courantes en 2017 dont elle ne nous avait rien dit. Elle a porté plainte pour menaces de mort et coups.

Début octobre, je suis arrivé à l’île-Rousse et je suis allé à la gendarmerie pour faire constater que j’étais là, que j’avais entendu qu’il avait menacé Julie de mort. A partir de ce moment ça a été le début de l’enfer pour elle mais aussi pour moi car je suis resté pas mal de temps avec elle. Il la poursuivait constamment, il la pistait. On s’est aperçus qu’il avait mis un mouchard dans sa voiture. Elle allait faire les courses, il était là, elle allait se promener, il était là. Une fois comme Julie n’avait pas de vêtements, je l’ai accompagnée à Kiabi. Je l’ai attendue dehors devant l’entrée et il est arrivé de je ne sais où. Pourtant on avait fait bien attention de ne pas être suivis. Il m’ a dit que si Julie ne quittait pas la Corse il allait nous tuer tous les deux. Nous nous sommes rendus à la gendarmerie pour redéposer plainte et ça a été comme ça, pendant des mois…

Ensuite il y a eu l’histoire du passage au Juge aux Affaires Familiales (JAF) pour les enfants et malgré les témoignages démontrant que les enfants avaient peur pour leur vie et la vie de leur mère, le juge a confié les enfants à monsieur. A partir de là, il donnait les enfants à Julie quand il avait envie, il allait les chercher quand ça lui plaisait. Je me suis battu avec lui sur un terrain de foot parce qu’un soir Julie voulait voir ses enfants, mais lui ne voulait pas, donc je l’ai accompagnée. Il est arrivé en furie en traversant les vestiaires et lui a mis un coup de poing et moi je suis parti en live, j’étais très en colère et je lui ai mis un coup de tête. Il a alors porté plainte contre moi et j’ai porté plainte contre lui. Un autre jour devant l’école il ne voulait pas donner ses enfants à Julie, il a failli l’écraser et ça a fini en menaces de mort. Il y a eu contre moi au moins 4 ou 6 menaces de mort et contre Julie il y en a eu autant. Comme moi je faisais l’aller retour, il en profitait pour faire la misère à Julie quand je n’étais pas là. Elle avait trouvé un travail, il la suivait et se plantait à 8h30 devant son travail en lui faisant peur pour lui montrer qu’il était là. Après leur séparation il était omniprésent dans sa vie. Comme il ne travaillait pas en périodes hivernales, il passait son temps à la suivre, à lui faire peur, à la narguer. Elle était devenue la maman méchante pour les enfants puisqu’elle ne les avait pas. Il dénigrait Julie en disant aux enfants qu’elle ne servait à rien, que c’était a cause d’elle qu’ils en étaient là, que c’était elle qui l’avait trompé. Julie avait même confié a une amie qu’elle avait peur que ses enfants ne l’aiment plus. Moi j’étais devenu un papy méchant. Parce que c’était moi qui m’était interposé entre lui et elle, c’était moi qui l’avait amené à la police, c’était moi qui m’étais battu avec lui… Il a reproduit le même schéma de manipulation sur les enfants, il a agi de la même façon qu’avec Julie, il les a détruit psychologiquement. Les enfants avaient peur de lui, on sait pertinemment qu’il les frappaient. 

Témoignage recueilli par Camille Goasduff 50-50Magazine

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