France \ Société Télétravail : levier d’égalité ou double peine ?

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Le 15 mars s’est tenu une conférence afin de présenter  l’étude « Télétravail et égalité femmes-hommes : état des lieux, enjeux et recommandations » commandée en mai 2021 au Centre Hubertine Auclert par la présidente du Conseil Régional d’Île-de-France. 

De nombreuses et nombreux intervenant.es expert.es nous ont livré.es leurs recherches et questionnements sur ce sujet peu documenté et pourtant très actuel. En effet, la crise sanitaire de la COVID19 a permis de faire remarquer que nous manquons de données chiffrées quant aux effets du télétravail et surtout en matière d’égalité femmes/hommes. La pandémie à déclenché un télétravail massif et exceptionnel car il était imposé lors des différents confinements. Toutes les tâches réalisables à distance étaient privilégiées mais réalisées de manière précipitée et donc totalement improvisée. La vie professionnelle et la vie de famille se sont entremêlées et ont provoqué du stress, des conditions de travail non productives… 

Quelles conditions pour un télétravail porteur d’égalité ? 

Fabienne Chol, directrice générale adjointe des Ressources Humaines de la Région Île-de-France avait commencé à penser le télétravail en 2018 . Ce mode de travail hybride a nécessité une réflexion d’une année avant sa mise en place, ainsi que la création de guides, d’une grille d’évaluation des équipes par le manager, d’une enquête annuelle et de groupes de parole avec le/la psychologue du travail en distanciel. Le télétravail est, pour elle, un outil permettant une meilleure productivité, présentant aussi un avantage considérable sur le plan de la santé car une personne malade ne viendrait plus contaminer tout le bureau. Elle rappelle  que le télétravail est un mode de travail hybride qui se prépare à l’avance. Cela nécessite un encadrement spécifique, des formations et d’informer sur les risques que cela peut présenter. 

Les manageuses/managers, au lieu de réaliser un contrôle sur le travail du/de la salarié.e en l’harcelant de coups de téléphone pour voir si elle/il travaille, aurait plutôt un rôle d’accompagnateur.ice. Le but était de proposer l’égal accès aux femmes et aux hommes à disposer du télétravail en rappelant qu’il est incompatible avec la garde d’enfants. 

Il est important de noter que la mise en place du travail à distance doit être un choix et non imposé a cause d’une pandémie. Il permet de mieux organiser son emploi du temps, comme par exemple d’assister à une réunion tardive depuis la maison lorsque l’on a des enfants, de choisir son lieu de travail ou d’être dans un meilleur environnement pour se concentrer, sans bruit et sans sexisme … On ne parle pas aujourd’hui de métier réalisable totalement en télétravail mais plutôt des tâches télétravaillables. 

Mais ces bienfaits n’existent que pour un télétravail partiel de maximum deux jours par semaine. Car il pourrait y avoir des biais de non compréhension des signes corporels au travers d’une réunion en distanciel. Le retour en entreprise est nécessaire pour avoir un accès à la parole plus correct qu’en face d’un ordinateur qui peut avoir des problèmes de connexion, ou même pour éviter l’isolement. Mais comment ne pas également penser aux conséquences directes sur les femmes? Les deux jours de travail à ne pas dépasser sont aussi une règle instaurée pour ne pas pénaliser les femmes.  Car si le choix du télétravail est possible pour tout·es, on se demande bien qui choisira cette possibilité : la mère ou le père et surtout pour quelles raisons?  

Comment le télétravail renforce-t-il les inégalités de genre ?

Les maigres données à ce jour montrent que le télétravail partiel est largement plus utilisé par les femmes. C’est un miroir grossissant sur les inégalités au travail et à la maison. Ces mêmes femmes qui gardent sûrement leurs enfants à la maison en plus de leur travail pour éviter de payer des frais supplémentaires de garderie… Mais les conséquences sont multiples et questionnent pour l’avenir : la mise à distance des femmes va-t-elle participer à leur invisibilisation dans le monde du travail ? Car si elles s’éloignent des réseaux informels comme des cafétérias,  elles perdent en relations sociales. Si elles ont moins de place dans un échange en visioconférence car il est plus difficile pour une femme d’intervenir au travers d’un écran que de débattre dans une réunion. Est-ce-que leur situation professionnelle en pâtira? 

Les données manquent. Mais pensons au temps partiel apparu dans le courant des années 1970, qui à été largement choisi par les femmes. Pensons aux conséquences que ce mode de travail a eu et a encore sur de nombreuses femmes aujourd’hui… 

Les médias mettent en avant les qualités du télétravail en le présentant comme un mode de travail alternatif permettant de gagner en autonomie, de gagner du sommeil, d’avoir une meilleure qualité de vie au travail. Mais ce retour forcé à la maison pose vraiment la question des conditions de travail. D’après le rapport de 2020 du Centre Hubertine Auclert “L’impact de la crise sanitaire sur les violences faites aux femmes en IDF”, le 3919 a reçu près de 45 000 appels lors du premier confinement, avec un pic à 29 400 appels en avril, soit trois fois plus que les mois précédents. Comment travailler avec un mari violent dans l’appartement, avec des enfants qui courent partout ? Car même en dehors de la période de COVID les conditions ne changent pas vraiment, les enfants rentrent toujours de l’école et le mari dort toujours dans le lit conjugal : plus d’échappatoire, les femmes sont isolées !  Virginia Woolf dit dans son livre Une chambre à soi « Une femme, pour être en mesure d’écrire, doit avoir de l’argent et une chambre à elle (…) ». Une chambre à elle, qui dans la réalité ressemble plutôt à une cuisine… L’autonomie est-elle gagnée lorsqu’on doit réaliser à la fois les tâches du travail et les tâches domestiques ?  L’étude du Centre Hubertine Auclert sur le télétravail montre que 36% des femmes ont été concernées par la hausse de la charge de travail, à quoi s’associe une hausse de la charge mentale … Il faut aussi penser aux difficultés d’accompagnement en distanciel, aux manques de matériels. La frontière très fine entre travail et domicile rend le droit à la déconnection plus complexe pour les femmes. 

Les entreprises préconisent de penser l’adaptation des différentes plateformes utilisées contre le zoombombing (1), de permettre aux employé·es de disposer de tiers lieux près du domicile, réglés par l’entreprise avec une mise a disposition de matériel… Mais toutes ces mesures ne font-elles pas perdre de l’argent aux collectivités étant donné que les bureaux sont toujours existants ? Cet argent n’est-il pas de l’argent perdu qui pourrait être réinvesti pour l’égalité femmes/hommes? Ont-elles vraiment pensé aux conséquences de cette mise en pratique du télétravail, même partiel, qui pourrait desservir les femmes à long terme? 

Camille Goasduff 50-50Magazine

1 L’intrusion de propos sexistes dans une visioconférence par exemple

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