Articles récents \ France \ Sport France Laurence Fischer : « Fight for dignity a été une évidence quand j’ai vu l’impact que les activités physiques avaient sur les survivantes »

Triple championne du monde de karaté, Laurence Fischer témoigne sur l’association qu’elle a créée en 2017, Fight for Dignity. Cette association propose des séances de karaté, afin de permettre aux femmes victimes de violences de se réapproprier leur corps et leur estime de soi. 

Quel est votre parcours ? 

J’ai commencé le karaté à 12 ans car mon père le pratiquait. Je suis trois fois championne du monde, j’ai sept titres européens, une décennie française en combat, et 15 ans en international. Mon parcours scolaire a été compliqué puisque j’ai souvent dû faire un choix entre l’école et le sport de haut niveau. J’ai arrêté mes études et j’ai travaillé au service des sports de la ville de Marseille, puis j’ai repris mes études à l’ESSEC pendant 4 ans pour préparer mon après-carrière. J’ai également travaillé chez Nike, j’ai fait du conseil à l’ESSEC, et maintenant je suis ambassadrice pour le sport au ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères.

Comment vous est venue l’idée de créer Fight for Dignity ?  

J’ai toujours été très engagée, et j’ai toujours cru au pouvoir du sport. En étant championne j’ai soutenu des ONG dont Play International, Premiers de cordée et l’Agence pour l’Éducation par le Sport. J’ai particulièrement été sensible à la spécificité de notre condition de femmes en tant qu’athlète karatéka, parce qu’il y a beaucoup d’inégalités dans ce sport.

En 2014,  j’ai travaillé en République Démocratique du Congo avec le docteur Denis Mukwege, gynécologue spécialiste de la chirurgie réparatrice pour les femmes et jeunes filles victimes de viol utilisé comme arme de guerre. Aujourd’hui nous continuons de travailler en RDC, c’est Franck Kwabe qui y enseigne le karaté. 

J’étais déjà très sensible aux inégalités et aux spécificités du pouvoir du sport. Fight for Dignity a été une évidence quand j’ai vu l’impact que les activités physiques avaient sur les survivantes. Je voulais pérenniser ce que j’avais mis en place lors de mes expériences auprès des ONG. J’ai commencé mes actions en 2014 et j’ai créé Fight for Dignity en 2017. L’idée m’est venue de mes expériences, j’ai fait partie du conseil d’administration de Premiers de cordée et de l’Agence pour l’Education par le Sport. Ces expériences auprès de survivantes m’ont fait prendre conscience que je devais pérenniser tout ce travail.

Le constat que j’ai pu faire durant ces expériences, c’est que rien n’était proposé de manière accessible aux femmes et aux jeunes filles dans le cadre du stress post-traumatique et des violences subies. Je suis arrivée avec une approche empirique, mais en découvrant la spécificité du stress post-traumatique dans le cadre de l’accompagnement des victimes, et en voyant que le corps n’était pas inclus comme outil de reconstruction, alors qu’il a été la source du mal, j’ai tout de suite voulu changer cela. C’est donc le fait de partager mon expertise ainsi que les retours des survivantes, tout comme la prise de conscience du désert de l’accompagnement des victimes, qui m’ont mené jusqu’ici.

Quel est l’objectif de Fight for Dignity ?

L’association propose des séances de karaté et de la formation d’enseignantes, sur la base d’une méthode que j’ai travaillée avec des psycho-clinicien·nes. Ces enseignantes sont des femmes qui servent aussi de modèles de femmes fortes pour les victimes. En France, dans des structures spécifiques où les patientes sont en parcours de soins, elles ont, si elles le souhaitent, la possibilité de venir faire des séances de karaté. Le principe c’est qu’elles peuvent, quand elles le souhaitent, être recommandées par le personnel soignant de leur établissement, pour venir faire une séance avec Fight for Dignity qui dure à peu près 1h30.

Pendant la séance on passe par trois phases :  la présence à soi et au monde, l’échauffement et le travail spécifique de karaté, et pour finir, un temps de décontraction, de retour au calme. Sur ces trois temps forts, on passe par la respiration, par la décontraction, par un apprentissage des techniques de karaté en se concentrant sur les sensations, on pousse des cris en donnant des coups de poings par exemple. Puis, à la fin, on propose un travail d’introspection, afin d’identifier les émotions et de se décharger de celles qui sont négatives. Elles font ce travail seules, mais il y a aussi un travail avec les autres femmes et avec les enseignantes dans un esprit positif, bienveillant et en lien avec ce que l’on sait des syndromes post-traumatiques.

Pouvez-vous nous parler de votre partenariat avec la Maison des Femmes de Saint-Denis ? 

Quand nous avons commencé à travailler ensemble en 2018, la Maison des Femmes de Saint Denis était un des rares établissements qui avait la même structure d’accompagnement pluridisciplinaire dans un cadre médicalisé, que ce que j’avais fait en République démocratique du Congo. J’ai expliqué le concept à Ghada Hatem, la fondatrice de la Maison des Femmes, et elle nous a fait confiance. Désormais nous travaillons en étroite collaboration dans ce cadre pluridisciplinaire.

Grâce à Fight for Dignity, les femmes ont la possibilité de faire du karaté thérapeutique. A la Maison des Femmes elles ont des sage-femmes, un sexologue et aussi la police sur place pour déposer plainte. Nous sommes plus efficaces pour accompagner ces femmes dans un cadre où elles se sentent en sécurité et où elles savent qu’il y a des compétences à leur disposition. Fight for Dignity arrive en complément aux dispositifs de soins.

Êtes-vous partenaire avec d’autres associations ?

Nous travaillons également avec des hôpitaux parisiens comme la Pitié-Salpêtrière et l’hôpital Bichat. Il y a aussi d’autres associations comme Women Safe à Saint-Germain-en-Laye et aussi à la Maison de Soie à Brive-la-Gaillarde. Nous interviendrons aussi à Marseille et à Tours prochainement.

Propos recueillis par Morgane Irsuti 50-50 Magazine 

Crédit photo : Géraldine Aresteanu

print