Articles récents \ France \ Économie Raphaëlle Manière, Sabine Reynosa : « La CGT ne tolère pas ou ne tolère plus les violences en interne. »

EN 2016, la CGT a créé en une cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles au sein du syndicat. A l’initiative de la cellule de veille, Raphaëlle Manière cheminote, qui en est la responsable et Sabine Reynosa informaticienne en société de services, qui en est une des membres. Toutes deux font partie du collectif confédéral Femmes Mixité de la CGT.

Quand a été crée la cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles dans la CGT ?

Afin de ne laisser aucune femme de la CGT de côté, il a été proposé à la direction confédérale de créer une cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles dans la CGT en novembre 2016 sur l’initiative du collectif Confédéral femmes mixité. C’est une cellule composée de membres qui ne sont pas ou qui ne sont plus des dirigeant·es pour avoir une capacité d’analyse et d’indépendance. La cellule a pour objectif de permettre à toutes les militantes/adhérentes ou en responsabilité de rester à la CGT, de faire valoir leur parole, avec la mise en place de protections particulières. Il s’agit d’organiser un environnement non sexiste dans le cadre militant. Nous nous étions rendu.es compte que des camarades alertaient le collectif femmes mixité sur des situations de violences non résolues, non écoutées par leur collectif de direction. Les camarades se retrouvaient abandonnées par l’organisation. L’idée était qu’elles puissent saisir une structure à part, mais qui n’est pas une entité hors sol. La cellule est en lien avec la direction confédérale, mais a une capacité d’agir, un protocole particulier qui est propre à sa mission. Peut-être faut-il préciser que si nous ne parlons que de femmes victimes, c’est par rapport aux cas auxquels nous avons eu affaire jusqu’à présent. Mais cela ne préjuge pas des situations qui peuvent se présenter !

Comment se mettent en place les sanctions ?

Il est important de préciser que ce n’est pas à nous qu’il incombe de mettre en place des sanctions. De même que nous ne faisons pas d’enquêtes contradictoires parce que nous ne nous substituons pas à la justice. Et nous n’attendons pas non plus que la justice se mobilise. Nous partons du principe qu’il y a un déséquilibre entre les victimes et les mis en cause. Nous sommes là pour écouter les victimes, pour permettre la libération de leur parole. Nous ne sommes pas là pour écouter les agresseurs. Nous recueillons un faisceau d’indices, des témoignages, des indices matériels éventuellement etc… Ensuite nous alertons les directions syndicales concernées. Ce n’est pas à nous qu’il incombe de faire des enquêtes contradictoires, ni de prendre des sanctions.

C’est le fonctionnement démocratique de la CGT qui fait ou ne fait pas. Avec tous les problèmes que cela peut comporter parce que les résolutions de signalements sont à géométrie variable !

Nous avons un rôle préventif aussi ! L’existence même de la cellule joue un rôle pédagogique, cela montre que la CGT ne tolère pas ou ne tolère plus les violences en interne.

Réalisez-vous des formations et des actions de sensibilisation?

Pour l’instant la cellule forme la direction confédérale sur ce que sont les violences sexistes et sexuelles auxquelles on peut avoir à faire dans la CGT et comment il faudrait réagir et aider les organisations à régler les situations des violences. Le pôle confédéral de formation a mis en place une formation de TROIS jours « agir contre les violences sexistes et sexuelles au travail », où l’on aborde sur la dernière demi-journée, la question des violences dans la CGT.

Revenons sur les convictions de la CGT. De même que nous luttons pour une société égalitaire, la fin des violences dans les espaces publics, dans la sphère privée et au travail, nous devons aussi être exemplaires. Se transformer nous même pour transformer la société ! Quand les violences existent dans l’organisation, le prérequis à toute égalité dans les relations militantes femmes/hommes chez nous, c’est l’éradication des violences.


Il faut qu’il y ait une structure qui permette l’écoute, le recueil de la parole et qui propose la résolution des situations de violences en interne pour pouvoir aussi le réclamer dans la société et dans les lieux de travail. Il y a une dimension très politique dans notre démarche parce que dans le champ revendicatif, nous voulons être une organisation syndicale de masse; avec autant de femmes que d’hommes. Pour l’instant, il y a 38 % de femmes à la CGT. Nous avons donc une marge de progression certaine au regard du salariat qui est quasi à parité. Et si nous voulons renforcer la CGT et qu’elle soit une organisation de masse, il faut faire une place aux femmes. Et pour faire une place aux femmes, il faut être non-sexiste. Nous sommes paritaires dans la cellule,
 10 à parité stricte !

Quel est le bilan de la cellule de veille ?

Nous sommes saisi·es de cinq dossiers par an. Ce qui ne veut pas dire que les organisations de la CGT ne règlent pas d’autres situations de violences. Nous ne sommes pas toujours saisi·es, mais quand nous le sommes, c’est pour des dossiers un peu plus délicats. Soit il faut débusquer le sexisme parce que nous sommes sur du harcèlement moral à caractère sexiste qui demande d’aller dans le détail. Soit nous pouvons être sur des dossiers de violences sexuelles graves. Donc tout nous arrive.

Nous sommes également sollicité·es par des organisations ou des camarades qui subissent des situations particulières et qui viennent juste prendre des conseils, qui ne vont pas nous saisir au final. C’est ce que nous appelons le ‘off’. Ce sont des dossiers que nous n’allons pas déposer officiellement auprès d’une fédération, d’un syndicat ou d’une union départementale parce que les victimes nous ont demandé de ne pas le faire. Ce sont des dossiers qui restent dans les tiroirs de la cellule.
Pour les dossiers dont nous sommes saisi·es officiellement, une fois que le faisceau d’indices est réalisé, nous faisons des recommandations pour que la camarade retrouve sa place et pour que le signalé ne soit plus en situation de nuire à d’autres camarades. Nous remettons le dossier à l’organisation, aux dirigeant·es qui vont prendre leurs responsabilités ou pas.

Notre bilan est plutôt très mitigé. Non pas sur le bilan de la cellule ! Nous voyons bien que nous sommes utiles, parce que les femmes nous le disent. C’est important pour elles qu’elles puissent nous appeler, nous confier leur histoire, réfléchir à leur récit. Nous nous inscrivons dans du temps long. Parfois, en lisant leur dossier ou des témoignages, elles arrivent à voir des choses dont elles n’avaient pas conscience, par exemple sur le mode opératoire des agresseurs. Elles arrivent à se re-légitimer, à se donner confiance sur le fait qu’elles ont raison de ne pas laisser la situation dans le silence, qu’elles sont légitimes à dénoncer. Nous savons que nous sommes utiles parce que ces femmes là, nous allons pouvoir les garder comme camarades de la CGT ! Pour nous il est important qu’elles aient vraiment leur place !

Mais, il y a un bilan négatif sur la capacité des organisations à régler vraiment les situations de violences. C’est à dire, la suspension du mandat. Les statuts de la CGT ne prévoient pas la question de la radiation. Elle n’existe pas sur le sujet des violences sexistes et sexuelles. Mais elle se pose pour autant à travers les problématiques que nous travaillons ! Ce sont des questions qui pourraient politiquement se poser directement à des collectifs de direction si ce n’est pas dans les statuts d’un syndicat ou d’une Unité de Direction ou d’une Union Locale. On ne peut pas aller au-delà de la suspension des mandats pour que la personne ne puisse plus représenter la CGT, ce qui est déjà pas mal.

Si tous les dossiers débouchaient au moins sur cette solution, cela nous conforterait déjà pas mal et nous permettrait d’envoyer aux victimes des signaux positifs ! Mais nous en sommes loin ! Sans faire de statistiques, nous pouvons dire que pour au moins la moitié de nos dossiers, les violences ont cessé parce que nous avons été alerté·es, donc il y a quelque chose qui a été posé. Mais la place du mis en cause n’a parfois pas bougé. C’est un vrai problème qu’il va falloir régler et que les collectifs de direction, la direction confédérale, le congrès auront à régler dans les mois et les années à venir.

Comment travaillez-vous avec les autres organisations syndicales? 

C’est la CGT qui a mis en place et qui pilote un réseau inter-organisationnel. Le réseau comprend les syndicats: CFDT, FSU, Solidaires, CGC , l’UNEF; les organisations politiques progressistes : PS, PCF, Parti de Gauche, Ensemble, EELV, LFI, NPA, UCL, Génération.s.. Nous sommes 15 organisations au total.

Etant donné qu’il y a eu une tribune, c’est officiel qu’on se parle et qu’on travaille. La tribune reprend nos grands objectifs. Nous avons partagé deux points :

– La nécessité d’être beaucoup plus bienveillant·es sur la prise en charge des femmes qui viennent nous parler. Parce qu’il y a un angle quasi mort dans les organisations sur la prise en charge, l’aide.. Souvent il y a besoin d’un suivi psychologique et la question financière se pose. Il y a aussi une prise en charge au niveau social ou judiciaire… Nous avons partagé le fait qu’on était dans des démarches apprenantes, à géométries variables. 

– L’itinérance des agresseurs est un enjeu fort qui a été posé parce qu’une itinérance peut exister à l’interne de nos organisations. Par exemple pour nous, ils peuvent passer d’une UD à une Fédération ou de la Fédération au territoire. Comme ils sont grillés à un endroit, ils vont chercher à aller dans un autre…

L’itinérance en interne qui n’est pas de même nature que l’itinérance inter-organisations que nous avons pu observer. Ce qui nous amène à nous intéresser à des personnes qui ont été au PS puis chez les Verts puis ensuite ailleurs… C’est une vraie itinérance c’est à dire « Je suis grillé dans une orga, donc qu’à cela ne tienne, je vais passer dans une autre orga » et pareil pour les organisations syndicales et puis aussi entre organisations syndicales et politiques.

Parlez nous du dernier cas qui a été médiatisé?

Nous ne pouvons pas en dire grand-chose. X est en suspension de mandat, la justice suit son cours… La direction confédérale a pris ses responsabilités dans le cadre de ce dossier. En soi, la cellule ne décide pas si les femmes saisissent la justice ou pas. Nous ne sommes pas tributaires des rendus de justice. Donc ce dossier là est particulier.

L’une des caractéristiques de la cellule et ce pour quoi nous nous battons est que nos interventions ne vont pas dépendre du fait que la victime saisisse ou non la justice. Par contre, nous n’intervenons que sur demande de la victime. Nous respectons très scrupuleusement la temporalité de la victime. Il y a des dossiers que nous allons garder uniquement entre nous et que nous n’allons pas sortir, du moins tant que la victime ne se sent pas prête. Nous ne faisons pas dépendre notre action d’un dépôt de plainte ou d’une quelconque procédure judiciaire. Et pour nous, un classement sans suite ne veut pas dire qu’il ne s’est rien passé non plus ! Raison de plus pour que la CGT ne renonce pas à défendre ses valeurs simplement parce que la justice patriarcale n’a pas fait son boulot.

Rappelons que la cellule s’appuie sur les textes fondamentaux tels que les statuts, la charte égalité femmes/hommes, ces textes qui nous permettent de rappeler aux dirigeant·es qu’ils et elles doivent faire vivre les valeurs de la CGT d’égalité !

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

Nous contacter et se syndiquer

print