Articles récents \ France \ Société Violences sexuelles, sexisme et éducation : une lacune inacceptable

Le milieu de la formation, notamment de l’insertion, néglige l’enseignement du sexisme et des violences sexuelles. Pourtant, la méconnaissance est courante, l’enjeu colossal. Ah bon, on peut prendre du plaisir ? On peut dire non si cela ne nous plait pas ? On peut répondre aux réflexions sexistes au travail ? Ces phrases sont souvent entendues lors de cours sur le harcèlement sexuel et le sexisme ordinaire. Car ce cours, lorsqu’il est dispensé uniquement à un public de femmes, permet à celles-ci non seulement de parler du vécu au travail mais aussi de leur quotidien en dehors de ce cadre.

Bien que les formatrices/formateurs soient averti·es sur l’étendue du manque d’information des publics, que ce soit dans la communication, l’insertion ou la sécurité au travail (harcèlement, sexisme), l’étonnement face à l’étendue de l’ignorance sur le sexisme ordinaire et la catastrophe de la culture du viol sur le quotidien des femmes reste de mise…

La parole se libère

Un cours sur le harcèlement sexuel et le sexisme ordinaire déclenche, bien heureusement, souvent la parole. Du côté des femmes, cela commence par des histoires de soutien à d’autres femmes. On parle de viols, d’attouchements, d’harcèlements… de ceux des collègues qu’on a soutenues, défendues, signalées. Mais on se tait sur soi. Ou parfois à la sortie, un mot ou une demande d’entretien est glissée. Là, on se lâche. Parfois, le cours est uniquement composé de femmes, par le fait du hasard ou des absences, et par non une volonté de l’employeur·e. Certaines alors se lancent sur leur propre histoire. On entre dans l’intime. On se dévoile. Le processus se perpétue : quel que soit le milieu, l’âge, la profession, les violences sexuelles faites aux femmes n’épargnent que trop peu d’entre elles. Une enquête de l’IFOP pour la fondation Jean Jaurès en 2019 nous apprenait que 86 % des femmes avaient subi au moins une atteinte ou une agression à caractère sexiste ou sexuel au cours de leur vie. On en vient toujours à penser à celles qui disent n’avoir rien vécu. Est-ce parce qu’elles n’osent rien dire ? Est-ce dû à une banalisation de ce que sont les violences sexistes ? Est-ce dû à des oublis, volontairement ou non,  enfouis ? Bien que depuis #MeToo la parole se libère, la pudeur et le déni restent de mise. La pudeur, on l’entend. Or, le déni perdure, tel un soutien silencieux au patriarcat, arme secrète inaltérable, reflet d’une douleur qui s’avèrerait insupportable, porteuse de l’écroulement d’un socle que l’on croit invincible…

Ce qui paraît très significatif, c’est qu’après des cours sur le sexisme ordinaire, sur la charge mentale, la répartition des rôles au travail, beaucoup d’entre elles se mettent à remettre en question l’attitude du conjoint et leurs lourdes responsabilités et tâches à la maison. Elles font systématiquement un parallèle allant jusqu’à comparer les souffrances. Autant au travail ont-elles un mince espoir d’amélioration autant à la maison, non. D’où l’absolue nécessité de permettre, dans un cadre professionnel, de réunir les femmes en non-mixité pour ce genre de cours. Un travail de pédagogie et de prise de conscience s’avère indispensable auprès des employeur·s pour instaurer ces cours non-mixtes favorisant l’expression sereine des stagiaires. Cependant, la mixité sera parfois percutante, pour accéder à la confrontation de points de vue.

Une ignorance qui perdure, empreinte du poids d’une société négligente

Sur les femmes de moins de 30 ans (moyenne d’âge 21 ans) dans un cursus d’insertion, souvent déscolarisées, qui pour la grande majorité vivent chez leurs parents, toutes ont révélé avoir subi viols ou attouchements. Le harcèlement, un quotidien. Au travail, dans la rue, constamment. Toutes. Lorsque le thème de la sexualité est abordé, aucune ne dit prendre du plaisir. Étonnées même qu’il puisse exister. Or, la plupart rêvent au Prince Charmant, aux contes de fée, à l’amour. Mais la sexualité est perçue comme une contrainte, une obligation si l’on veut garder son mec ou décrocher un peu d’attention. Le “baiser” (même avec la langue) c’est chouette. Ah bon, on peut prendre du plaisir ? Le mec, il fait ce qu’il veut. Il te prend, te retourne et fait son truc. Sodomie et fellation forcées. Éjaculation faciale ? Une habitude. Le clitoris, connais pas. Ou peu. Lorsque le fait de pouvoir refuser une pratique est énoncé, elles s’étonnent. Oui mais après ? Restera-t-il ? Ira-t-il voir ailleurs ? Pour qui vais-je passer ? … La communauté est là, les réseaux sociaux guettent. Les plus de 30 ans sont souvent blasées. Cela ne change rien, les hommes, tous les mêmes…Regardez ces hommes politiques qui abusent de leur pouvoir ! Certaines sont bouleversées. Si mon homme ne change pas, je le quitte. Mais comment vais-je faire avec les enfants ? C’est déjà si difficile de tout gérer avec un bonhomme, alors seule…Car leurs hommes bricolent, vont parfois chercher les enfants à l’école. La vie semble empreinte de fatalisme.

Le cours avec les hommes de moins de 30 ans s’avère ardu. Tous veulent l’égalité femmes/hommes au travail. Mais aucun ne pense couper la parole, tout en le faisant bien sûr. Ah bon ? Oh, ce n’est pas grave, tout le monde le fait. Un public d’hommes plus âgés pense respecter les femmes mais émet des poncifs : les femmes commandent à la maison et, lorsqu’elles sont cheffes, sont pires que les hommes. Pourtant, l’embarras est manifeste. Certains, cependant, parlent du cours comme d’une découverte induisant la réflexion voire la remise en question. On avance…

Le sexisme ordinaire reste dichotomique : c’est, à la fois, la notion la plus difficile à convaincre, on chipote, c’est juste une blague… et en même temps, une révélation pour certaines et certains. Une vision éclairante, des hommes qui admettent le malaise éventuel, des femmes qui mettent des mots sur leur désarroi, voire leur mal-être dans diverses situations.

Une urgence éducative et sociale

Ce qui est vécu au travail se passe aussi à la maison. Comment peut-on travailler sur des attitudes non-sexistes dans le milieu professionnel sans un regard sur l’attitude personnelle au foyer ? Ce que l’on gagne au travail, par l’application de la loi, persiste immuablement chez soi. Ces directives peuvent être vues comme des obligations professionnelles sans faire évoluer les mentalités. C’est là que la société a son rôle. Non seulement informer mais également montrer l’exemple. Si la nouvelle génération de féministes est très mobilisée contre la culture du viol, il n’en demeure pas moins que ces voix ne sont encore que trop minoritaires. Les masculinistes s’affirment, les cours sont rares et peu pris au sérieux par les employeur·es et les autorités compétentes.

Même si l’information évolue un tant soit peu en milieu scolaire, il n’en est rien dans le milieu de l’insertion, comme dans certains secteurs de la formation. Or, l’évolution de la notion de l’amour s’impose dans notre quotidien. Car le problème est bien là : pour toutes ces femmes, la seule façon d’avoir un peu d’amour ou d’attention, c’est de se taire et de se soumettre… Au travail comme à la maison. Nous naviguons sur un problème politique, social mais aussi moral, idéologique et humain.

Hélène Elouard 50-50 Magazine

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