Articles récents \ France \ Société Marie-Charlotte Lunay : “Je voulais agir en amont pour éviter des années de souffrance à ces femmes”

Marie-Charlotte Lunay, avocate depuis 7 ans, experte en violences conjugales, a décidé il y a deux ans d’aller plus loin dans sa lutte. Elle crée alors Safe Wife, une plateforme en ligne pour toutes les victimes de violences conjugales.

Comment êtes-vous devenue experte en violences conjugales ? 

Déjà pendant mes études d’avocate, j’avais conscience que la spécialisation était cruciale dans mon métier. Ayant moi-même souffert de violences psychologiques de la part d’un conjoint, c’est assez naturellement que j’ai commencé à me documenter sur les violences conjugales. En parallèle de mes études, j’ai donc suivi une formation sur ces questions. C’est avec ce double diplôme et ce bagage en victimologie et psychologie que je me suis tournée vers cette expertise sur les violences au sein du couple. J’ai commencé en tant qu’associée, mais dès que j’ai pu ouvrir mon propre cabinet, j’ai choisi de ne plus prendre que les dossiers liés à ce domaine. Aujourd’hui je défends des victimes, parfois devant la Cour d’Assise, pour les affaires les plus graves comme le viol ou le meurtre. 

Comment vous est venue l’idée de créer Safe Wife ? 

Toute la journée, je suis confrontée à la réalité du terrain. C’est au cours des nombreux entretiens avec les victimes que j’ai réalisé que je voulais faire plus. J’ai fait le constat que lorsque les femmes arrivent dans mon bureau, le mal est déjà fait. Il est trop tard en quelque sorte. Je me suis rendue compte qu’en plus d’aider ces femmes, ce que moi j’avais vraiment envie de faire, c’était d’agir en amont. Justement pour éviter des années de souffrance à ces femmes. C’est là que j’ai eu l’idée de créer Safe Wife, un outil permettant de prendre conscience des premiers signes pour pouvoir réagir avant que les violences n’aillent trop loin.

Logo Safe Wife contre les violences conjugales

Qu’est-ce que Safe Wife ? 

Safe Wife, est une plateforme en ligne où les victimes peuvent trouver un test, un programme digital et une proposition de marrainage. Le test sert tout simplement à repérer les signes et à prendre conscience qu’on a besoin d’aide. Le socle principal de la plateforme, c’est le programme d’accompagnement. Il se fait en trois étapes : comprendre, qui est dans la continuité du test avec une prise de conscience; décider, qui est une levée de blocages progressif avec un raisonnement propre à chacune pour choisir la solution qui convient le mieux; et enfin agir qui peut prendre la forme du divorce, du travail sur soi ou encore d’une thérapie de couple. Tout est adaptable à chaque individu parce qu’il n’y a pas une seule réponse. Pour moi, c’était important que mon outil ne dise pas “il faut faire ci, il faut faire ça”. Je ne veux pas donner d’ordres comme d’autres personnes peuvent trop souvent le faire. J’en ai assez d’entendre “bah madame, il suffit de partir” parce que la vie ne fonctionne pas comme ça. Je veux que les femmes reprennent confiance en elles. Qu’elles se rendent compte qu’elles ont déjà toutes les réponses. Que le pouvoir de s’en sortir est en elles.

Safe Wife n’est qu’un petit coup de pouce pour qu’elles s’en rendent compte et qu’elles soient accompagnées dans le processus. C’est aussi dans ce but que j’ai mis en place les marrainages. C’est un système en duo avec une femme victime de violences conjugales et une femme qui a été dans cette situation, mais qui s’en est sortie. C’est important pour deux raisons. Tout d’abord, personne ne comprend mieux les violences conjugales que quelqu’un qui les a vécues. Ces femmes savent écouter et donner des conseils réalistes parce qu’elles savent de quoi elles parlent. Ensuite, je pense qu’avoir un modèle, c’est avoir de l’espoir. Connaître un exemple bien réel d’une femme qui a reconstruit sa vie après avoir connu la même situation que nous, ça nous fait dire “Si ma marraine s’en est sortie, pourquoi moi je n’y arriverais pas ?”. Les filleules, quand elles s’en sortent enfin, peuvent même devenir des marraines à leur tour. C’est un cercle vertueux de solidarité sororale. 

Pourquoi cet accent sur les victimes femmes plutôt que les hommes ? 

Les hommes peuvent eux aussi être victimes de violences conjugales, c’est tout à fait vrai. Mais il ne faut pas oublier que dans l’écrasante majorité des cas, les victimes sont des femmes. De plus, j’aimerais rappeler une statistique assez effrayante : un·e enfant sur trois ayant été témoin de violences conjugales sera elle/lui-même autrice/auteur de violences conjugales dans sa vie d’adulte. Un·e autre enfant sur trois en sera elle/lui aussi victime en se mettant en couple avec une personne violente. Ce qui veut dire que sur les trois enfants, un·e seul·e aura de réelles chances de s’en sortir et de ne pas répéter le schéma. C’est pour cela que j’estime que sauver les femmes, c’est sauver tout le monde. Sauver une femme, c’est aussi sauver un·e enfant. Sauver un·e enfant, c’est sauver l’humanité. Si leur regard sur les violences change, la société changera aussi. Pour éradiquer un problème, il faut aller à sa source.

Comment parvenez-vous à offrir ces contenus gratuitement ? 

C’est grâce à nos partenaires que nous sommes en capacité de proposer ces formations au plus grand nombre sans le blocage du coût. Au début c’était un service offert par mon cabinet, donc bien sûr c’était payant. Un jour, j’ai eu envie de voir ce que ça pourrait donner si c’était gratuit alors je l’ai mis en libre accès. Là, les chiffres ont explosé. J’ai compris qu’il fallait que je trouve une solution pour que le site reste gratuit. J’ai donc pensé aux entreprises parce que j’estime qu’elles ont un rôle à jouer dans ce combat. Elles proposent un financement durable et une prise en charge de projets qui vont dans le sens de leurs engagements responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). Les violences faites aux femmes sont justement au devant de la scène pour beaucoup de grands groupes.

Quels sont vos besoins ? 

Le programme a besoin d’être diffusé pour se faire connaître et être utile à un maximum de victimes. Nous avons toujours besoin de nouvelles entreprises partenaires prêtes à s’engager à nos côtés. Les financements sont vitaux pour pouvoir éradiquer une fois pour toutes les féminicides. Nous recherchons également des safe angels. Ce sont des établissements qui accueillent du public et qui sont au contact avec les femmes (comme des coiffeurs ou des pharmacies) qui sont désireux de devenir des personnes ressources pour le programme. Ils servent donc à orienter vers Safe Wife. Ils connaissent les grandes lignes du programme pour pouvoir aider au mieux les femmes dans le besoin. 

Propos recueillis par Eva Mordacq 50-50 Magazine

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