Articles récents \ France \ Société Première amourette : premier féminicide

Il y a quelque chose de pourri dans la patrie des droits de l’Homme. Les hommes continuent de penser et d’agir comme s’ils avaient tous les droits, même celui de tuer les femmes. Et les médias de sensationnaliser « le courage des parents, le chagrin des proches » sans s’interroger sur la persistance des responsables masculins des massacres ! Les « auteurs », comme s’ils avaient créé quelque chose, et non détruit des vies, se retrouvent en bas de page et l’on peine à trouver leur nom.

Le 8 mars 2021 à Argenteuil, sous-préfecture du Val d’Oise, 111 000 habitant·es, Alisha, 14 ans, est retrouvée morte, noyée, portant des hématomes importants sur le crâne, une contusion à l’œil et des ecchymoses dans le dos.

Le 9 juin 2022 à Clessé, petit village viticole de 900 habitant·es près de Mâcon en Saône et Loire, Emma, 14 ans, est retrouvée morte, un couteau encore planté dans la gorge, victime de plusieurs dizaines de coups de couteau au niveau du torse, des épaules, du visage et du cou et le nez brisé.

La presse rapporte des banalités qui n’ont aucune importance. La famille de la victime est appréciée dans le village, Emma est une fille unique très gentille, comme ses parents. C’était sa première amourette. « Je connais ce gamin depuis qu’il est tout petit », « c’est un acte inexplicable », « Il n’a jamais été violent, en fait, c’est même le contraire », « il adore les jeux vidéos », « c’est un peureux, c’est pas un gamin qui traine ». La mère décrit un garçon sensible qui se met à pleurer lorsqu’on écrase un escargot. « Mon fils n’est pas un tueur, c’est un enfant mais il a fait une « grosse connerie ». L’agresseur a expliqué avoir été victime de violences de la part de son père.

A chaque fois, une marche blanche est organisée où les proches et la population expriment leur peine et leur incompréhension : « Ce qui est arrivé est totalement incompréhensible. Plus jamais ça ! ». Non ce n’est pas incompréhensible. Ce qui est incompréhensible c’est que personne ne se soit posé les bonnes questions. Comment ces garçons « normaux » à peine sortis de l’enfance, en sont-ils arrivés là ? Les pères violents ont des enfants garçons et filles, mais seuls les garçons tuent leur petite amie. Pourquoi les filles ne tuent pas, pourquoi cette différence ?

C’est évidemment le résultat du formatage par la culture machiste de notre société patriarcale qui constate la répétition des meurtres de femmes par leur conjoint ou ex partenaire sans remettre en question la virilité toxique et mortifère inculquée aux garçons dès le plus jeune âge.

Dans la presse, les prénoms des filles victimes sont répétés à l’envi et très faciles à trouver alors que ceux de leurs agresseurs garçons, leurs ex petits amis sont quasi invisibilisés !

Non Alisha et Emma n’ont pas été tuées, sans se défendre, par des entités anonymes, mais Théo a tué Alisha avec préméditation et Joris a tué Emma avec préméditation. Ces garçons de 14 ans sont devenus des assassins en commettant ces féminicides.

L’importance des mots

Les mots ont leur importance et il faut réaliser ce que notre éducation transmet à nos enfants dès l’école. Les ABCD de l’égalité furent malheureusement une tentative vite abandonnée. Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin et filles et garçons sont à considérer avec égalité. La France est le seul pays européen à utiliser droits de l’Homme  au lieu de droits humains. Une fille n’est pas un frère et la devise républicaine, Liberté, Egalité, Fraternité , n’inclut pas les « non-frères » (1) .). Le mot Solidarité au lieu de Fraternité serait plus adéquat dans cette devise qui aurait dû être revue depuis longtemps à l’aune de la participation des femmes dans la Cité.

Ces socles symboliques confortent la supériorité des hommes et formatent les jeunes mâles. Quoi qu’on pense de Pierre Bourdieu, il a bien montré que les violences symboliques constituent la partie immergée de l’iceberg, la base de la pyramide qui culmine dans les violences physiques et sexuelles et les féminicides.

La violence est l’apanage du masculin. Les hommes remplissent à 98% les prisons et perdent plusieurs années d’espérance de vie à cause de leurs comportements à risques plébiscitées par le récit de l’histoire des héros à l’école et dans les médias.

Si on ne change rien à l’éducation sexiste de nos enfants dès la crèche, que l’on donne encore presque exclusivement des armes miniatures aux garçons et des poupées aux filles, on leur enverra toujours le même message subliminal. On encouragera les garçons à dominer, à être des grands ou des petits chefs, et à éventuellement être violents, à dominer les filles et à les éliminer en cas de rébellion. 

Certes il y a des sociétés pires que la nôtre dans ce domaine, mais nous avons environ 110 cadavres de femmes et maintenant aussi de petites filles devant notre porte tous les ans et cela devrait constituer une raison suffisante pour agir. Il faut choisir vers quel avenir nous souhaitons aller. Le féminisme est ce qui est utile à la reconnaissance des droits des femmes et à l’égalité. Les femmes ont déjà fait beaucoup de chemin mais il en reste beaucoup à faire. Si nous voulons éviter la répétition de ces crimes odieux, il faut ouvrir les yeux et se poser la question de la fabrication de la masculinité toxique et meurtrière. Il est temps que les hommes réalisent qu’ils doivent s’impliquer dans cette évolution humanitaire.

Roselyne Segalen 50-50 Magazine et Patrick Cerf Gynécologue et anthropologue

1 Réjane Sénac-Les non frères au pays de l’égalité Ed Presse de Sciences Po, 2017

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