Articles récents \ Monde \ Afrique Djaili Amadou Amal : « Je mets en lumière la vie de ces invisibles de nos sociétés »

Mariages forcés, polygamie imposée, violences conjugales, interdiction de travailler, de sortir seule ou de continuer les études, mutilations génitales, exploitation salariale, les droits élémentaires et fondamentaux des Africaines restent en 2022 bafoués. L’autrice Djaili Amadou Amal raconte dans ses romans comment la construction de ce système de domination masculine au nom de la volonté d’Allah s’immisce dès la naissance, formate les consciences et détruit les femmes.

Vous avez publié le roman Les impatientes, Prix Goncourt des lycéens 2020, qui aborde de l’intérieur les questions de violences faites aux femmes. Avez-vous constaté une amélioration depuis que vous avez brisé ce tabou au Cameroun ?

C’est à vous journalistes de le constater !! (rires). Ceci n’est pas le rôle de l’écrivain. Je note simplement que l’ouvrage a rencontré un écho international qui me vaut de retours positifs des lectrices/lecteurs aussi bien au Cameroun, de tous les horizons, qu’en Afrique et de par le monde. L’ouvrage est désormais inscrit au programme des classes de terminale du Secondaire. Voilà qui est significatif et plein de promesses.

Que faudrait-il faire pour que les différentes vagues #MetooAfrique, #MêmePasPeur, #Doyna, #SayNo,… trouvent davantage d’échos auprès des femmes, des familles, du législateur, des religieux mais surtout auprès des hommes camerounais ?

Le roman, les impatientes, s’adresse à tout le monde, interpelle notre humanité. Une question de prise de conscience collective, de volonté politique et du dynamisme de la société civile appelée à se fédérer autour de ces questions majeures pour le progrès et l’harmonie de nos sociétés.

Sur 63 membres que compose le gouvernement camerounais, pour la première fois il y a des femmes. Qu’en pensez-vous ?

J’ignore de quel effet un tel chiffre dérisoire pourrait-il découler… Je doute naturellement qu’il soit significatif au point de s’arroger quelque satisfecit je ne sais lequel. De quoi s’agit-il en fin de compte ? Eh bien, vous avez là cette part de 51% de la population nationale qui pèse à peine 13% de l’équipe gouvernementale.

Pensez-vous qu’il soit possible de changer l’organisation sociétale camerounaise et plus particulièrement celle de la zone sahélienne ? Les hommes issus des jeunes générations sont-ils plus enclins à respecter les femmes ?

Les choses doivent naturellement évoluer et cela participe de la logique de l’existence ! Le propre des sociétés dynamiques et progressistes est justement de s’adapter aux enjeux et défis de leur temps. L’organisation sociétale est régie par les textes de loi, le code de la famille. Elle ne dépend pas de quelque individu, plutôt de l’Etat. Pour le reste, c’est à la femme d’œuvrer dans l’esprit d’occuper la place qui doit être la sienne, elle ne devrait pas rester à attendre qu’on vienne la lui donner !

Il existe une forte disparité entre le Nord et le Sud du Cameroun ainsi qu’entre les villes et les campagnes : faudrait il ouvrir davantage d’écoles et proposer des cours obligatoires sur le respect des femmes ?

Sur le fond, la problématique est la même, au Nord comme au Sud ! Les mêmes causes produisent les mêmes effets. L’école et l’éducation civique participent de la formation des citoyen.nes de demain, mais n’oublions pas que le combat est à tous les niveaux de nos sociétés. Les discriminations et violences à l’encontre de la femme restent évidemment criardes. Cela passe par l’éducation, les sensibilisations, les revendications.

Dans votre roman qui vient de sortir, Cœur du Sahel, vous abordez la vie des domestiques. Est-ce pour rendre visibles ces invisibles ?

Dans ce roman, il est surtout question de mon combat pour les droits des femmes. Le récit traite de la condition des jeunes filles domestiques et les discriminations et mauvais traitements dont elles font l’objet auprès des riches familles qui les emploient. Je mets en lumière la vie de ces invisibles de nos sociétés dont la condition est aggravée par le réchauffement climatique et les attaques terroristes de Boko Haram qui engendrent des crises alimentaires et sécuritaires, accélérant l’exode rural.

Au Cameroun, vous êtes surnommée « la voix des sans-voix ». Vous êtes devenue un symbole d’espoir pour ces femmes opprimées. Parlez-nous de l’association que vous avez créée ?

En marges de mes écrits, j’ai effectivement fondé en 2012  l’Association Femmes du Sahel qui œuvre pour l’éducation des jeunes filles en parrainant leur scolarité, et pour le développement des femmes à travers leur autonomisation à la faveur des activités génératrices de revenus. L’Association mène ainsi des campagnes de sensibilisation des élèves dans des établissements secondaires, et des conférences sur la condition des femmes. Le combat contre les discriminations et violences à l’encontre des femmes passe, entre autres, par l’éducation scolaire de la jeune fille. Femmes du Sahel y accorde une part importante de son programme opérationnel. Nous comptons en moyenne 400 jeunes filles dont l’éducation est entièrement prise en charge par l’association, sans oublier des dons des fournitures que nous effectuons dans des établissements pour soutenir bien d’autres élèves issues des parents défavorisés. Pour ceux et celles qui veulent en savoir plus, le site internet de l’association est : .

Laurence Dionigi 50-50 Magazine

Djaïli Amadou Amal 

Djaïli Amadou Amal Les Impatientes, Prix Goncourt des lycéens 2020, Prix de la meilleure auteure d’Afrique, Prix Orange en Afrique, Ed.  Emmanuelle Colas / Cœur de Sahel, Ed. Emmanuelle Colas

 

print