Brèves Sommet de l’OTAN : le HCE appelle les dirigeants mondiaux à se saisir du sort des femmes dans les conflits

Qualifier de crime contre l’humanité la négation massive des droits des femmes, intégrer systématiquement les violences sexuelles dans les actes d’accusation des enquêtes internationales, ne pas reconnaître le régime taliban tant que les libertés des femmes ne sont pas rétablies … trois des nombreuses propositions formulées par le HCE alors que l’Ukraine et l’Afghanistan viennent rappeler que les droits des femmes sont les premiers remis en cause dans les crises et les conflits. Les femmes sont encore trop peu présentes dans la résolution des conflits, aux tables de négociation et dans les processus de décision. Il est urgent de mettre pleinement en œuvre une diplomatie féministe et de concrétiser les engagements des résolutions « Femmes, Paix et Sécurité ». 

En Ukraine, en Afghanistan comme dans tous les terrains de guerre ou de crise, les droits des femmes sont les premiers bafoués. Les femmes sont les premières exposées aux violences (viols et violences sexuelles, trafic, exploitation). Elles ont un accès très limité aux service de santé et de soin, en particulier sexuels et reproductifs. Dans un temps considéré, paradoxalement, comme avant tout masculin, elles restent encore très peu associées aux négociations et aux prises de décision concernant la résolution des conflits, la reconstruction ou même l’aide humanitaire, en dépit des engagements pris par les Etats au titre des résolutions Femmes, Paix et Sécurité des Nations unies. Entre 1992 et 2019, les femmes ne représentaient que 13% des négociateurs et négociatrices et 6% des signataires des principaux processus de paix. Aucun des accords de cessez-le-feu conclus entre 2018 et 2020 ne comportait de dispositions relatives au genre.

En Afghanistan, depuis la prise de Kaboul par les Talibans le 15 août 2021, les libertés et les droits des femmes ont été progressivement restreints puis annihilés et les femmes évincées de l’espace public: les femmes et les filles ne sont plus autorisées à étudier, elles ne peuvent pas voyager sans un parent masculin, elles ne sont pas autorisées à pratiquer une activité sportive, elles ne peuvent plus accéder à l’espace public sans porter le voile intégral (burqa). L’ensemble de ces mesures affectent la capacité des femmes à travailler et à gagner leur vie. La situation extrêmement précaire des femmes est accentuée par la crise humanitaire que traverse l’Afghanistan. Alors que presque 20 millions de personnes, soit près de la moitié de la population afghane, souffrent de faim aiguë, les femmes sont entravées dans leur accès aux services d’alimentation par l’obligation d’être accompagnées d’un parent masculin. Elles peuvent également être confrontées à des stratégies d’adaptation négatives (recours forcé à la prostitution, mariages précoces).

En Ukraine, les témoignages de viols et de violences sexuelles commis par les troupes russes se multiplient, a alerté la Représentante spéciale des Nations unies pour la violence sexuelle dans les conflits armés. Plusieurs institutions internationales et ONG ont également mis en garde contre les risques de traite des êtres humains et de proxénétisme pour les 7 millions de personnes ayant fui le pays, dont 90% de femmes et d’enfants. Bien qu’elles représentent environ 15% des forces combattantes ukrainiennes et la grande majorité des huit millions d’Ukrainien.nes, déplacé.es à l’intérieur de leur pays, les femmes ont peu d’influence dans les processus de décision y compris dans le domaine humanitaire.

Bien d’autres crises encore illustrent également le recul des droits de femmes et l’utilisation du corps des femmes comme champ de bataille, qu’il s’agisse des viols et tortures commis massivement depuis 25 ans par les différentes milices dans l’est de la République Démocratique du Congo, du martyre des femmes yézidies en Irak ou des témoignages de sévices contre les femmes ouighoures.

Ces guerres et ces crises – et leurs conséquences dévastatrices sur les femmes, sur leur corps, sur leurs droits – témoignent de l’urgence de déployer pleinement une politique étrangère féministe, c’est-à-dire d’intégrer dans chacune des dimensions de la politique étrangère (politique, économique, militaire, humanitaire etc) la défense de l’égalité et des droits des femmes. La France s’y est engagée depuis 2018, à la suite de la Suède et du Canada et a publié une stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022).  Elle a également adhéré en juillet 2021 au Pacte sur les femmes, la paix et la sécurité et a adopté un plan national d’action pour la mise en œuvre des résolutions «Femmes, paix et sécurité» du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce plan interministériel piloté par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères l’engage en particulier à lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans les conflits et contre l’impunité, ainsi qu’à agir pour renforcer la participation paritaire des femmes aux négociations de paix et à l’ensemble des instances décisionnelles. L’Afghanistan est définie dans ce plan comme l’une des zones prioritaires.

Dans un contexte marqué par les crises ukrainienne et afghane, le HCE encourage les dirigeants mondiaux à se saisir du sort des femmes dans les conflits. Le HCE engage particulièrement la France à réaffirmer son engagement en faveur d’une diplomatie féministe et à mettre pleinement en œuvre les résolutions Femmes, Paix et Sécurité et son plan national d’action.

Réaffirmer la priorité accordée à la défense des droits des femmes

L’Afghanistan constitue une crise emblématique de la remise en cause totale des droits des femmes. Le HCE exhorte la France, ainsi que l’ensemble des pays ayant choisi d’adopter une politique étrangère féministe, à réaffirmer avec force son engagement en faveur de ces droits. Cela nécessite de :

  • Mobiliser l’ensemble des leviers à disposition afin de mettre fin aux graves violations des droits des femmes. En particulier, le régime taliban ne devrait pas être reconnu tant que les libertés fondamentales et les droits des femmes ne seront pas rétablis. 
  • Envisager de faire reconnaître la négation massive des droits des femmes et les violences systématisées à l’encontre des femmes en Afghanistan comme étant constitutives d’un crime contre l’humanité (art. 7 du statut de Rome de la Cour Pénale Internationale) et poursuivies comme telles. Cette reconnaissance publique par la Cour Pénale Internationale n’aurait peut-être pas d’effet immédiat sur le régime Taliban mais aurait une portée symbolique évidente.
  • De manière générale, mettre à l’agenda de toutes les rencontres et sommets internationaux les questions Femmes, Paix et Sécurité dans les pays en crise et en guerre, par exemple lors de l’actuel Sommet de l’OTAN (29-30 juin 2022), ou de la 5ème édition du Forum de Paris sur la Paix (11-12 novembre 2022), comme dans toutes les réunions de haut niveau.

Mieux intégrer les enjeux de genre dans l’aide humanitaire 

Selon les données des Nations unies, l’aide bilatérale apportée aux organisations et mouvements de défense des droits des femmes dans les pays fragiles ou touchés par un conflit reste étonnamment faible, bien en deçà de 1 %, et stagne depuis 2010. Par ailleurs, les secteurs qui luttent contre la violence fondée sur le genre et fournissent des services de santé procréative ne sont financés qu’à hauteur de 33% et 43% respectivement, contre une moyenne de 61% pour l’ensemble des appels de fonds lancés par l’Organisation des Nations Unies.
Afin de répondre aux besoins humanitaires posés par ces crises, le HCE recommande de :

  • Poursuivre l’augmentation des financements renforçant l’égalité entre les femmes et les hommes selon les nouveaux engagements de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (4 août 2021), qui fixe un objectif de 75% des financements contribuant au renforcement de l’égalité femmes-hommes d’ici 2025, dont 20% ayant l’égalité femmes-hommes comme objectif principal.
  • Renforcer les financements aux organisations locales, notamment de femmes et pérenniser le Fonds de solidarité pour les organisations féministes, mis en place par la France (120 millions d’euros sur 3 ans). C’est en finançant les organisations féministes à tous les niveaux, y compris à la base, que la réponse humanitaire gagnera en qualité et en impact.
  • Inclure la prévention de l’exploitation et des abus sexuels dans toutes les opérations humanitaires et s’assurer que les femmes aient un accès sûr aux services de santé sexuelle et reproductive, prise en charge médicale du viol et avortement, et accompagnement psychologique, ainsi qu’à des services juridiques et de protection adaptés à l’âge et au sexe.
  • En Afghanistan, poursuivre les pressions auprès des autorités de facto pour respecter les principes humanitaires notamment de neutralité, d’impartialité et d’indépendance, la protection des travailleurs et travailleuses humanitaires et la protection des femmes et des filles.
  • En Ukraine, structurer et professionnaliser l’accueil des personnes fuyant leur pays (transport, hébergement, services de santé, accès aux mécanismes de plainte…) afin qu’il ne soit pas laissé aux seules initiatives privées, et renforcer la coordination européenne.

Le HCE souligne que les efforts relatifs aux crises récentes ne doivent pas se faire au détriment de la réponse à d’autres crises humanitaires sous-financées qui ont lieu ailleurs, comme par exemple au Sahel et dans la corne de l’Afrique.

Prendre en compte le motif du genre dans l’attribution du statut de réfugié.e

Le HCE note que le mécanisme de protection temporaire a été déclenché par l’Union européenne dans le cas de l’accueil des réfugié.es ukrainien.nes, permettant l’accueil de près de 60 000 ressortissant.es ukrainien.nes en France, en majorité des femmes. Dans le cas de la crise afghane, l’opération « Apagan » a permis à 2228 Afghan.es de déposer l’asile (1642 décisions ont été prises par l’OFPRA à la date du 31 décembre 2021 octroyant à 99,9 % une protection au titre de l’asile) sur une durée limitée dans le temps, entre septembre et décembre 2021. Au cours de cette opération, 51% des demandes d’asile ont été déposées par des femmes afghanes (contre 8,5% en 2020 et une moyenne de 20% sur l’ensemble des demandes d’asile déposées en 2021).

  • Le HCE recommande de renforcer l’accueil des femmes afghanes, en particulier en étudiant la possibilité de leur attribuer le statut de réfugié.e en se fondant sur le motif de l’appartenance à un groupe social, le groupe des femmes afghanes, dont il apparaît aujourd’hui qu’il présente des caractéristiques spécifiques et qu’il est soumis à des persécutions systématiques.

Affirmer une tolérance zéro face aux auteurs de violences sexuelles dans les conflits

Alors que les viols et violences sexuelles sont explicitement inclus dans la définition des crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, l’impunité reste la norme pour les crimes de violences sexuelles commis en temps de guerre. Les auteurs de ces violences sont exceptionnellement condamnés (une seule condamnation définitive sur ce fondement – en juillet 2019, pour les faits commis en République Démocratique du Congo par Bosco Ntaganda – à la Cour Pénale Internationale depuis sa création) et les victimes sont encore trop peu prises en charge. Ainsi que l’a rappelé le Secrétaire général des Nations unies, une volonté politique plus résolue et des ressources financières accrues sont nécessaires afin d’éliminer les violences sexuelles en temps de conflit : « Il faut de toute urgence mener des interventions concertées et investir pour prévenir l’existence même des violences sexuelles et s’attaquer aux causes structurelles profondes qui permettent à ces crimes de se perpétuer.»

  • Le HCE souligne que les violences sexuelles doivent être systématiquement intégrées dans les actes d’accusation des enquêtes internationales. La CPI a ouvert une enquête sur la situation en Ukraine le 2 mars 2022. Il est nécessaire de faire en sorte que les violences sexuelles y soient incluses et poursuivies en justice.
  • La lutte contre l’impunité nécessite la formation des enquêteurs et enquêtrices au recueil spécifique de témoignages des victimes de violences sexuelles et aux techniques d’entretien afin d’exposer le moins possible les victimes.
  • La charge de l’accompagnement des victimes incombe la plupart du temps aux ONG et aux associations, qui disposent de moyens souvent très limités par rapport aux besoins. Il faut renforcer très fortement le soutien aux associations qui travaillent au suivi et à l’accompagnement des victimes de violences sexuelles dans les conflits.

Renforcer le plaidoyer pour une participation paritaire des femmes aux négociations et aux instances décisionnelles

Pour le Secrétaire général des Nations unies., « la participation des femmes aux activités de médiation et à la prise de décisions est essentielle au règlement des conflits.  Leurs analyses sont indispensables pour comprendre la dynamique des conflits et élaborer des stratégies efficaces de prévention et d’intervention.  Des études montrent également que la participation active des femmes à la consolidation de la paix augmente les chances de parvenir à une paix durable. C’est pourquoi nous devons atteindre une parité totale dans les domaines de la surveillance des élections, de la réforme du secteur de la sécurité, du désarmement et de la démobilisation, ainsi que dans les systèmes judiciaires – y compris par l’établissement de quotas »
Le HCE souligne qu’aucune femme n’est présente dans les discussions entre l’Ukraine et la Russie. Aucune femme afghane ne figurait parmi les personnes chargées de négocier avec les Talibans en 2020. Lorsque des délégués représentant les Talibans et le Gouvernement afghan se sont rencontrés à Moscou en mars 2021 pour discuter des pourparlers de paix, on ne dénombrait qu’une seule femme parmi eux.

  • Le Haut Conseil appelle la France à soutenir la participation systématique et paritaire des femmes aux processus de négociation de paix ainsi qu’aux processus politiques, économiques, et sociaux de stabilisation et de sortie de conflit et aux processus humanitaires, ainsi qu’elle s’y engage dans son 3ème plan national d’action Femmes, Paix et Sécurité.

La vigilance égalité est disponible sur le site avec les références : https://bit.ly/3NqJsNl 

Haut Conseil à l’Egalité

print