Articles récents \ Culture \ Théâtre Grosse ! dans le Off d’Avignon. Une pièce pour en finir avec la domination masculine

La pièce Grosse !, de et avec Sylvie Debras, mise en scène par Mélanie Manuélian, deviendra un GROS succès… si les curieuses et les curieux poussent la porte du Théâtre des 3 Soleils, du 6 au 30 juillet 2022, dans le Off d’Avignon. Trois questions à l’autrice-interprète.

L’obésité, la grossophobie, des sujets sensibles ! Et encore souvent tabous. Quelles sont les réactions des premières spectatrices/spectateurs ?

Les trois premières présentations ont eu lieu en Carmargue, au cours d’un séminaire de Novo Nordisk, un laboratoire qui fabrique l’insuline et s’y connaît donc en surpoids. Dans chacun des trois groupes de 120 personnes, toutes se sont levées comme une seule femme, la dernière parole prononcée, avant même que j’aie eu le temps de saluer. Comme le résume Célia Dumas, une des directrices de Novo Nordisk, « tu as marqué les cœurs et surtout les esprits, tu as donné des ‘’claques’’ à certains et des billes à d’autres ». Des « claques » ? À celles et ceux, nombreux, qui sont bourrés de préjugés sur l’obésité et ses causes. Non, les gros.ses ne sont pas veules et fainéant.es. Et ne passent pas leur vie à s’empiffrer. Dans mon cas, ce sont les régimes à répétition, dès la prime adolescence, et même in utero pour commencer, qui ont créé l’obèse. Des « billes » ? À celles et ceux, rares, qui ont compris ça et ont trouvé dans « Grosse ! » un moyen de faire entendre leur voix.

La vraie première a eu lieu le 28 juin à Besançon, devant 350 personnes. Beaucoup d’ami.es dans le public. Et un certain nombre de sceptiques qui m’attendaient au tournant… une autrice qui se prétend comédienne ! Celles et ceux-là ont dû avouer, à la fin, que la pièce tient la route. Et même qu’elles et ils avaient vécu un excellent moment de théâtre. Beaucoup de personnes, parmi ce premier public, nous ont dit leur enthousiasme Le texte est très fort, indéniablement ; il emmène du rire aux larmes et inversement. Il réussit le tour de force de mêler des moments poétiques, intimes, et des informations factuelles. Dans la salle, l’attention du public était palpable. Et l’on s’accorde à souligner « l’interprétation magnifique », « la belle présence sur scène ».

Nous partons donc rassuré.e.s en Avignon, où nous donnerons la pièce tous les jours du 7 au 30 juillet (sauf mardi), au Théâtre des 3 Soleils qui affiche une très belle programmation… dont « Gardiennes » et avec Fanny Cabon, une très belle fresque qui donne vie à une dizaine de femmes de la même famille de 1920 à aujourd’hui, ou « Pour que tu t’aimes encore » de et avec Trinidad, une rigolote qui ne mâche pas ses mots, ou encore, en alternance, « Quand je serai grande… tu seras une femme, ma fille » (jours impairs) et « Quand je serai un homme » (jours pairs) de et avec Catherine Hauseux, un diptyque percutant, juste, poignant et drôle, sur la transmission, version filles et version garçon.

Pourquoi Grosse ! se prétend-elle une pièce féministe ?

Léa, le personnage de « Grosse ! » souffre de la pression de sa mère et de « bons » médecins qui veulent la faire maigrir, alors qu’elle est seulement une jeune fille sportive et musclée, donc lourde. Elle dépasse « le poids idéal décrété par la médecine ». Alors elle ne convient plus à ses parents. Suite à un choc psychologique, elle grossit. En quelques mois, elle prend « 15 kilos, le poids d’une grossesse ». Comme c’est souvent le cas après un deuil ou un viol. Léa passe le reste de sa vie à perdre du poids et à en reprendre. De régime en régime, elle maigrit plus difficilement et regrossit plus vite et plus fort. Son corps apprend à lutter contre l’amaigrissement, c’est un corps de guerre, qui fait des provisions pour survivre à la prochaine famine. Léa finit par se rendre compte que ce sont les stéréotypes sexistes qui imposent aux femmes de « garder la ligne ». Elles passent leur vie à avoir honte d’avoir grossi… ou peur de grossir. Elles sont « soumises à la tyrannie de l’apparence, moyen moderne d’inscrire la domination masculine dans la chair des femmes ». Curieusement, « plus les femmes prennent leur place dans la société, plus elles sont sommées de maigrir. Depuis le milieu du 20e siècle, les femmes acquièrent des droits, en contrepartie, elles doivent perdre du poids. Plus nous approchons de l’égalité avec les hommes, moins nous devons occuper d’espace. »

Léa dénonce aussi la publicité, « bras armé de cette guerre contre nous, les femmes. » « Les publicitaires créent un monde d’hommes solides régnant sur un troupeau de femmes fragiles. À chaque instant, leurs images nous montrent la femme parfaite, celle que doivent aimer les hommes » : des femmes anormalement maigres, bien en-dessous de leur poids de forme, des images retouchées… et c’est à elles qu’il faudrait ressembler !

Et puis, « Grosse ! » à Avignon est 100 % féminine (et intergénérationnelle) : la régisseuse lumière et son, Mathilde Robert, a 22 ans ; la metteuse en scène, Mélanie Manuélian, a 42 ans, et moi-même, l’autrice-interprète, 62 ans !

Peut-on rire de tout ?

« Grosse ! » a obtenu le soutien du fonds Humour Avignon Off. Si même la Société des auteurs reconnaît que la pièce est drôle, c’est qu’elle l’est, vraiment ! Bien sûr, elle ne déclenche pas de rires gras. On ne se tape pas sur les cuisses. Mais Léa est une grosse comme tant d’autres. Joviale, pour se faire pardonner d’être grosse, « car pire que le gros, il y a le méchant gros ». Et bien placée pour se moquer, gentiment, de ses propres travers… et de ceux de la société à son égard. L’humour, comme chacun.e sait, est une politesse du désespoir. Alors, oui, on sourit et même on rit avec elle. Mais jamais d’elle ! C’est un personnage sympathique, qui aime la vie, malgré tout. Et lui fera, à la fin de la pièce, une vraie déclaration d’amour.

Propos recueillis par 50-50 Magazine

Grosse ! de et avec Sylvie Debras, du 7 au 30 juillet 2022 à 13 h 15 (sauf mardi) au Théâtre des 3 Soleils, 4, rue Buffon, 84000 Avignon. Billetterie : Ticket Off

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