Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Le nouveau visage de l’Assemblée nationale : plus de femmes aux postes de pouvoir et plus de diversité

Une assemblée renouvelée et rajeunie

La campagne des législatives s’est terminée entre deux camps virils, les soutiens du président de la République inquiets, et Mélenchon comme épouvantail avec la Nupes, ne laissant aucune place à d’autres acteurs. Le débat a plongé dans la caricature et les attaques grossières, parfois fausses. La nouvelle assemblée sortie des urnes ramène heureusement à la réalité d’un pays fragmenté mais bien vivant.

C’est une assemblée renouvelée avec une part de 52% de primo-député·e·s, issu·e·s principalement des rangs de LFI et du RN, ce dernier confirmant son institutionnalisation, malgré un programme toujours profondément xénophobe et une attitude réactionnaire par rapport aux droits des femmes, masqués par l’apparence du discours protecteur de Marine Le Pen.

C’est une assemblée rajeunie : plus d’un quart des député·e·s ont moins de quarante ans ; et ce rajeunissement touche l’ensemble des bancs de l’opposition sauf LR. Le profil socio-professionnel des élu·e·s évolue aussi. Certes, les cadres supérieurs et les professions intellectuelles y sont toujours surreprésentées, mais on observe une progression des classes moyennes (employé·e·s etc.) très présentes à LFI.

Avant de développer la question des places que les femmes y occupent, choisissons comme symbole de ce renouvellement deux figures féminines représentantes des « invisibles et essentiels » présentées par la Nupes et repérées par les médias. Rachel Keke, ancienne femme de chambre de 48 ans, originaire de Côte d’Ivoire, élue du Val de Marne, et Mathilde Hignet, ouvrière agricole de 29 ans élue en Ille et Vilaine, auront à parler pour celles et ceux qui ne se sentent pas représentés, ni dans leurs préoccupations ni par quelqu’un qui leur ressemble, et souvent s’abstiennent.

Plus de candidates mais un peu moins d’élues qu’en 2017

Elles étaient 2779 candidates au premier tour, soit 44,2% de celles et ceux qui se présentaient aux élections législatives, un peu plus qu’en 2017 (42,4%). Elles sont 215 à être élues, soit 37,3% des député·e·s. C’est un léger recul par rapport aux élections de juin 2017 (38,6%), mais ce chiffre n’est pas définitif en raison de futures nominations au gouvernement et de désistements pour cause de cumul de mandats. Par contre, c’est encore une démonstration du fait que les circonscriptions où sont investies les femmes sont plus souvent celles où il est difficile de gagner. Cela est particulièrement vrai pour le parti RN (37% d’élues pour 49, 4% de candidates).

Avec l’incitation financière à présenter autant de candidates que de candidats sans obligation de résultat, on atteint la limite de l’exercice. Rappelons que la retenue financière pour non parité de candidatures ne s’applique que sur la première partie de la dotation faite aux partis politiques, c’est-à-dire en fonction du nombre de voix sur leurs candidat·e·s au premier tour de l’élection alors que la deuxième partie de la dotation qui concerne le nombre d’élu·e·s est indifférente au sexe. Comme à chaque fois le groupe LR/UDI reste le mauvais élève avec 37,8% de candidates et 29,5% d’élues, et préfère donc une dotation amoindrie. Les autres formations ont plus ou moins respecté la parité dans les candidatures.

Nous rappelons qu’Elles aussi a toujours été contre les pénalités financières et préféré un mode de scrutin qui garantirait la parité.

Yaël Braun-Pivet, première femme à présider l’Assemblée nationale, 78 ans après le droit de vote ! il était temps pour la France, à la traîne au vu de nombreux pays européens !

Porté au pouvoir en 2017 par un puissant phénomène de rejet d’une classe politique figée, avec ses partis et ses castes, le mouvement En Marche avait offert l’accès à la députation à de nombreuses personnalités de la société civile faisant ainsi croître significativement le nombre de femmes dans la représentation. Yaël Braun-Pivet, avocate de profession et mère de cinq enfants était l’une de ces primo-députées. Son parcours est à la fois hors norme dans son développement et similaire à celui d’autres femmes qui ne reculent pas devant leurs désirs d’engagement politique et leur ambition.

De culture juive par son père sans être croyante ou pratiquante, elle rappelle souvent que ses grands-parents paternels ont émigré de Pologne en France dans les années 1930 pour fuir l’antisémitisme. Elle évoque aussi volontiers son enfance à Nancy dans une famille qui cultive l’esprit d’indépendance et le débat politique, où la mère donne l’exemple : avide de se former et d’apprendre pour échapper à une condition subalterne assignée par ses origines sociales.

De son passage dans les années 2000, à la section PS de Tokyo (alors, expatriée au Japon pour accompagner son mari dans sa poursuite professionnelle), elle dit y avoir trouvé le goût de l’engagement politique. C’est ainsi, qu’acquise à la démarche d’Emmanuel Macron de « prendre ce qu’il y a de bon à gauche comme à droite » elle adhère en 2016 à En Marche. Comme beaucoup de femmes, elle est alors active dans le réseau associatif local. Résidant en Yvelines, elle est investie bénévolement dans le réseau des Restos du Cœur qu’elle développe et où elle donne des conseils juridiques à celles/ceux qui en ont besoin.

Dans la foulée de son élection à l’Assemblée nationale, elle se présente et est élue, quasi-inconnue, à la présidence de la prestigieuse commission des lois. Ses débuts y sont difficiles. Moquée, elle doit faire face à un procès d’incompétence assorti de remarques sexistes, bizutage, tentatives de déstabilisation. « Je ne laisse jamais sans réaction ce type de manœuvres, le sexisme ne doit plus passer » dit-elle.

Sa pugnacité et sa force de travail ont raison des attaques, elle apprend le métier, son empathie, sa bienveillance et sa capacité à développer un rapport positif et agréable avec les gens font le reste. Elle finit par s’imposer à tou·tes comme présidente de la commission. Présidente atypique, elle développe une méthode (peut-être héritée de son passé associatif) : « aborder les politiques publiques sur la base de contrôles exercés sur le terrain ». Ainsi, c’est par des visites simultanées des centres pénitentiaires que la commission étudie de près la situation carcérale française.

Bonne soldate, loyale à sa majorité, elle est mise en difficulté, quand, ayant pris en 2018 la présidence de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’affaire Benalla, elle y met prématurément un terme sans formuler de conclusion, ce qui lui a vaut d’être alors la cible de menaces sexistes et injures antisémites.

Le 28 juin, forte de son capital politique rudement acquis, Yaël Braun-Pivet est élue présidente de l’Assemblée nationale, quatrième personnage de l’Etat, et première femme à occuper ce poste en France. Dans son premier discours, elle affirme l’importance du débat : « les Français nous enjoignent de travailler ensemble, de débattre plutôt que de nous battre » et elle insiste sur l’égalité femmes/hommes : « un chemin long et sinueux » en évoquant Jeanne Deroin, cette ouvrière autodidacte et féministe, candidate aux législatives de 1849 moquée par tous, même dans son propre camp.

Le bureau de l’Assemblée une fois installé, le premier déplacement de la présidente est pour la Maison des Femmes à St Denis, lieu d’accueil de victimes de violences sexuelles et intrafamiliales. Elle y réaffirme sa méthode qui est aussi un savoir-être : « je souhaite marquer ma présidence par beaucoup de visites de terrain, je veux aller vers les gens ».

Une gouvernance avec un majorité de femmes : la question de leurs compétences et de leur légitimité ne se pose plus ! Au bureau 12 femmes et 10 hommes en incluant la présidente, mais pour tenir les comptes, c’est plutôt une affaire d’hommes avec deux questeurs et une questeure et les privilèges associés.

C’est le signe que s’installe une culture de la parité et de l’égalité. Cela montre qu’un exécutif peut être paritaire alors que l’assemblée ne l’est pas, argument que l’on nous oppose dans le cas des intercommunalités ; en fait, on voit bien qu’il s’agit de volonté politique. On espère un effet modèle dans les territoires où les femmes restent taxées d’incompétence et où les hommes, professionnels de la politique, restent aux commandes (ex : maires et présidents de collectivités territoriales). L’Union européenne avait montré l’exemple en 2019 avec sa commission paritaire et des femmes à des postes-clés.

A noter également l’arrivée de femmes à la présidence de groupes politiques. Est-ce parce que nous traversons une période de crise que l’on ouvre la gouvernance aux femmes et à de nouvelles compétences ? Des présidences de commission stéréotypées (deux femmes, six hommes)

Aux femmes, la culture/ l’éducation et les affaires sociales, aux hommes les finances, la défense, les affaires économiques, les lois… C’est à l’image de ce que l’on retrouve dans les délégations au niveau des collectivités territoriales, où demeurent des réflexes patriarcaux, aux hommes le régalien, aux femmes le « care ». A noter cependant une recherche de partage équilibré entre les femmes et les hommes dans les bureaux avec les postes de vice-présidence et de secrétariat.

Nous pouvons dire avec Dominique Rousseau, professeur de droit public à Paris-Panthéon Sorbonne : « La nouvelle assemblée signe le retour de la délibération démocratique à condition que chaque groupe politique accepte de négocier et de construire des compromis ». Cette nouvelle assemblée initie une nouvelle ère pour la parité et l’égalité où nous souhaitons que se réalisent les objectifs du mouvement paritaire qui a porté les avancées législatives depuis l’année 2000.

L’annonce du nouveau gouvernement nous fait revenir à un constat atterrant : les femmes sont minoritaires parmi les ministres avec une seule femme chargée d’un ministère régalien, elles sont minoritaires parmi les ministres délégués , mais elles sont dix des onze secrétaires d’Etat pour ajuster numériquement la parité ! Ce qui est possible à l’Assemblée nationale, représentation du peuple où elles sont bien présentes en responsabilité, comme dans la vie, ne l’est plus au cœur du pouvoir qui réagit comme en backlash : gouverner est sexué « mâle dominant » avec une première ministre en paravent.

Nous voilà revenues au temps des jupettes, le vieux monde patriarcal est toujours debout mais nous sommes entrées dans l’Histoire et notre détermination n’est pas atteinte par ce coup bas.

Anne-Marie Marmier et Armelle Danet, vice-présidentes de Elles Aussi

Photo de Une : Yaël Braun-Pivet

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