Articles récents \ Culture \ Cinéma La nuit du 12, le polar incontournable de l’été

Un thriller féministe qui reste encore à l’affiche après plusieurs semaines, est un record pour ce genre, souvent confidentiel, tant il passe rapidement. C’est une réussite tant sur le fond  que sur la forme. L’intrigue : l’assassinat d’une jeune femme de 21 ans brûlée vive, librement inspiré par un fait réel décrit dans le livre de Pauline Guena 18.3 – Une année à la PJ

Dans ce thriller hors norme par le fond, les masculinités des plus soft aux plus toxiques sont passées à la moulinette de la caméra du réalisateur Dominik Moll.

La forme est également réussie car même si tout est dit sur l’assassinat d’une jeune fille dès les premières minutes, le traitement de l’enquête de police est tellement singulier qu’on s’y attache à toutes les minutes. Le tour de force est de faire découvrir la masculinité problématique au public, à tous les publics, en même temps que le protagoniste principal chargé de l’enquête, Yohan, incarné par Bastien Bouillon. Ici, on ne trouvera pas un coupable mais un système, le système patriarcal.

Cette masculinité problématique se retrouve non seulement chez les suspects mais aussi, en forme plus diffuse, chez les policiers, que l’on peut voir comme des échantillons de la masculinité ordinaire. 

Des répliques d’une rare justesse donnent le ton de ce film qui étonnent tant elles font résonance avec les analyses sur la masculinité toxique et le traitement des féminicides.

A un moment par exemple, la meilleure amie de la victime, jouée par Pauline Seryes, est interrogée pour la énième fois, et, n’en pouvant plus de devoir « déballer » la vie privée de son amie assassinée de façon aussi horrible, craque et déclare : « Moi je sais pourquoi elle est morte, elle est morte parce que c’était une fille. »

La victime avait une vie sexuelle active et la dérive est immédiate, il y a comme une velléité de dire : « elle l’a bien cherché » qui affleure tout le temps dans la manière de considérer cet assassinat. D’ailleurs, c’est assez clairement énoncé quand l’un des policiers déclare : « ça sent la punition » comme si toute femme qui dérogerait à la norme de la fille sage, qui couche facilement, devrait s’attendre à être « punie » par les hommes. 

Le ton est donné et il y aura d’autres phrases clés qui jalonneront le film, l’éclairant de la même manière. 

La mise en scène est efficace et symbolique. Ainsi, quand Yohan commence à se rendre compte que tous les suspects auraient pu commettre le crime, et que le problème vient de tous les hommes et qu’il en est un lui-même, et potentiellement responsable de la maltraitance généralisée envers les femmes, on le voit régulièrement faire des tours de piste dans un vélodrome fermé sans vision extérieure, donc sans solution.

Les personnages forts féminins apparaissent essentiellement en dernière partie du film, et permettent au personnage de Yohan de progresser et de se remettre en question.  Les arrivées de la juge d’instruction (Anouk Grinberg) et de la jeune enquêtrice Nadia, (Mouna Soualem) sont salutaires. Cette dernière incarne la possibilité d’une relève, et de la féminisation nécessaire des effectifs, une jeune femme moderne qui « n’a pas peur des fantômes » qui hantent Yohan. 

Il s’échappe enfin du vélodrome et de l’entre-soi masculin. Le paysage devient alors ouvert et Yohann pédale dans une nature somptueuse, dans la vallée de la Maurienne magnifiée. 

Dans un court Interview accordé à 50-50 Magazine, Dominik Moll, le réalisateur, explique que ce qui l’intéressait dans un premier temps était comment un enquêteur de la PJ pouvait être intimement touché par un crime et une enquête. Mais que dès qu’il a commencé à travailler sur le projet avec son co-scénariste Gilles Marchand, il est devenu évident qu’à cause de la nature du crime, un féminicide, les relations femmes/hommes allaient devenir le véritable fil rouge de cette histoire. 

Dominik Moll : « Nous ne nous sommes pas dit pour autant que nous voulions faire un film féministe. Cela m’aurait semblé déplacé, le féminisme est un combat qui appartient aux femmes. En tant qu’hommes, nous pouvons par contre être à l’écoute du discours féministe, et nous pouvons questionner la masculinité. C’est ce que nous avons essayé de faire à travers ce film.  L’une de nos productrices a dit très tôt que c’était un film de réconciliation, qui montre que ce n’est qu’ensemble que les hommes et les femmes peuvent trouver des solutions. Mais c’est évidemment aux hommes d’aller vers les femmes, et d’être à leur écoute. Se réfugier derrière des positions défensives, se positionner en victimes agressées par les méchantes féministes est absurde. Le personnage de Yohan a cette capacité d’évolution. Ce n’est pas un hasard si ce sont les paroles des femmes qui le font avancer. Nous ne voulions pas que le film soit un constat d’échec mais qu’il soit porteur d’espoir

Roselyne Segalen 50-50 Magazine

Réalisation Dominik Moll – Scénario Gilles Marchand et Dominik Moll. Avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Lula Cotton, Pauline Serieys, Anouk Grinberg, Mouna Soualem. 

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