Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Rentrée des classes 2022 : face à la montée des violences chez les jeunes, le HCE appelle à un plan d’urgence de l’égalité à l’école

Harcèlement sexuel, culture du viol, sexisme destructeur, inégalité des chances, absence d’éducation à la vie sexuelle et affective, la société est en train de fabriquer des générations de plus en plus perdues. Du primaire au baccalauréat, l’école est le premier lieu de cristallisation du sexisme, de fixation des rôles sociaux et des stéréotypes de sexe. A l’aube de ce nouveau quinquennat, le HCE exhorte les pouvoirs publics à faire de l’éducation à l’égalité et au respect entre les femmes et les hommes dès le plus jeune âge, une priorité absolue. Cela commence par la refonte et la tenue des séances d’éducation à la sexualité prévues par la loi.
« L’absence d’éducation à la vie sexuelle et affective favorise le sexisme, qui est lui- même l’antichambre des violences. Il faut d’urgence prendre le mal à sa racine chez les jeunes générations », alerte Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
1- Une culture du viol prégnante chez les jeunes générations
Des jeunes générations particulièrement sujettes aux violences sexistes et sexuelles
Le récent rapport du HCE sur le vécu du sexisme chez les jeunes générations est sans appel : 1 jeune sur 4 déclare avoir déjà eu des rapports sexuels non consentis. Une proportion alarmante corroborée par le dernier baromètre Sexisme, qui dénombre qu’1 femme sur 5 de moins de 24 ans a déjà subi un viol ou une agression sexuelle. Le harcèlement sexuel est massif : plus d’1 jeune femme sur 2 a déjà vécu un acte ou un propos sexiste à l’école et a déjà subi des remarques sur son physique ou sa tenue.
En ligne, la pornodivulgation sévit, puisque 1 jeune femme sur 5 en est victime. Aussi, la pratique importante des réseaux sociaux par les jeunes exerce une pression esthétique sans égale puisque désormais, les 18-34 ans font plus de chirurgie esthétique que la tranche des 50-60 ans. A ce titre, le HCE recommande de renforcer impérativement la législation sur les contenus retouchés en ligne.
Le non-respect alarmant de notions clés de l’égalité et du consentement
La culture du viol persiste surtout chez les jeunes générations, et génère chez eux dans des proportions inquiétantes des violences sexistes et sexuelles.
– Près d’1 jeune sur 5 considère qu’un homme qui insiste pour avoir un rapport sexuel avec sa conjointe n’est « pas du tout sexiste ».
– Un quart estime que lorsqu’une femme dit « non » pour une relation sexuelle, cela veut dire « oui », selon l’enquête consacrée de l’association Mémoire traumatique et victimologie.
– Plus d’un tiers des 18-24 ans pensent qu’une femme peut prendre plaisir à être humiliée ou injuriée, et près d’un quart estiment qu’elle prend du plaisir à être forcée.
– Cette imprégnation de la culture du viol est plus importante chez les jeunes hommes : forcer sa partenaire à avoir un rapport sexuel alors qu’elle refuse est perçu comme un viol par seulement moins de 3 jeunes hommes sur 5, contre plus de 4 jeunes femmes sur 5.
« On constate un net recul de l’adhésion des Français·es aux stéréotypes sexistes composant la culture du viol mais, quand on s’intéresse aux chiffres des jeunes de 18-24 ans, tout s’écroule », s’inquiète la psychiatre Muriel Salmona.
Ce décalage persistant et inquiétant chez les jeunes générations, particulièrement les jeunes hommes, peut s’expliquer par l’exposition, notamment précoce, à des contenus pornographiques et jeux vidéo en ligne, potentiellement très dégradants pour les femmes, érotisant la haine et la violence à leur encontre. Cette exposition a des conséquences lourdes et concrètes sur les relations affectives dans l’espace intime, comme public.
2- L’éducation nationale n’est pas au rendez-vous
Des jeunes générations particulièrement désarmées
Face à cela, l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle brille par son insuffisance et son inadaptation aux besoins. A la fois quantitative et qualitative, cette lacune de notre système éducatif explique au moins pour partie la prévalence de représentations erronées et de manifestations sexistes voire violentes chez des catégories pourtant intellectuellement sensibles à ces sujets, voire plus engagées que les générations précédentes.
Ainsi, les jeunes générations ont rarement le souvenir d’avoir reçu l’enseignement obligatoire depuis plus de 20 ans (loi de 2001). Quand elles s’en souviennent, nombre ne sont pas convaincu·es d’avoir eu une information adaptée à leur vécu. La récente enquête de #NousToutes sur les séances d’éducation à l’égalité montre que la prévention contre les infections sexuellement transmissibles, les organes génitaux masculins et la contraception sont les thèmes les plus abordés ; le harcèlement et le consentement sexuels, les stéréotypes sexistes, les violences sexuelles, et l’identité de genre sont les enseignements les plus négligés. De façon générale, les répondant·es ont suivi en moyenne moins de 3 des 21 séances obligatoires du CP à la terminale. Orchestrés par des établissements privés sous contrat, des cas graves de désinformation des élèves sur l’éducation à la sexualité et à la contraception, assortis d’une sensibilisation à une vision inégalitaire des relations entre les femmes et les hommes inquiètent tout particulièrement le HCE.
En l’absence d’une éducation ambitieuse, adaptée et régulière, les comportements problématiques se perpétuent, contraignant les jeunes filles à adopter des stratégies d’évitement : selon les dernières études du HCE, plus de 2 jeunes filles sur 3 affirment que, lorsqu’elles sont sifflées ou insultées, elles fuient. La même proportion renonce à s’habiller comme elle le souhaite. Plus d’1 sur 2 renonce également à prendre les transports en commun seule.
L’école entretient et amplifie les stéréotypes de sexe
C’est enfin le système éducatif lui-même qui renforce les comportements sexués, puisque, dès leur entrée à l’école, les jeunes élèves font face à des représentations genrées qui favorisent l’internalisation des normes, à travers notamment les manuels scolaires et les supports pédagogiques qui échouent à fournir une représentation réaliste : ainsi, moins de 10% des textes présentés ont été rédigés par des femmes, et une femme représentée dans une fonction professionnelle au statut ou au prestige supérieur ne représente qu’à peine plus d’1% des illustrations étudiées. Ces représentations biaisées ne sont pas sans conséquence sur la répartition encore très sexuée et très défavorable aux femmes des orientations professionnelles au lycée.
L’absence de rôle model féminin, ajouté à une orientation genrée dès le plus jeune âge et l’ambiance souvent machiste qui règne dans les filières à dominance masculine découragent souvent les filles dans leurs perspectives de carrière. En filière générale, les filles sont en effet sous-représentées dans toutes les matières scientifiques, hormis la SVT, tendance qui semble se renforcer avec la dernière réforme du lycée de 2019. Cette polarisation se cristallise encore pour les enseignements de spécialité «numérique et sciences informatiques» (14 % de filles) ou « sciences de l’ingénieur » (13 % de filles). Ces tendances se retrouvent dans les projections de carrière des jeunes filles une fois entrées dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Elles composent 55 % de l’ESR, mais ne sont que 28 % d’élèves ingénieures, et constituent 16 % des effectifs des classes en spécialité informatique. Cette ségrégation du marché professionnel d’avenir est particulièrement alarmante et appelle une correction d’urgence.
5 pistes proposées par le HCE :
1) Garantir la tenue des enseignements obligatoires à la sexualité, prévus par la loi.
Coordonner, outiller et évaluer ces programmes, à travers :
– La désignation effective d’un·e coordinateur·ice dédié.e dans chaque établissement ou missionner les référent·es filles-garçons existant·es ;
– La constitution d’un corpus adapté à chaque classe d’âge en s’appuyant sur le travail et les outils développés par les associations (exemple programme Sexotuto…), qui savent, au contact des élèves, moduler le format de leurs interventions ;
– La labellisation des associations impliquées dans ce travail de pédagogie et la constitution d’un annuaire associatif à destination des élèves ;
L’évaluation des programmes obligatoires de l’éducation à l’égalité et leurs adéquations aux besoins d’ici 3 ans ;
– La consultation nationale des jeunes pour mieux correspondre à leurs attentes.
2) Adopter un plan national d’orientation professionnelle dès le collège pour orienter les jeunes filles vers les métiers scientifiques, techniques, numériques, et d’avenir ;
3) Renforcer le combat le harcèlement, le cyberharcèlement et les violences en ligne dans tous les établissements, en développant des séances dédiées en classe dans le cadre du déploiement du programme « pHARe » (Prévenir le Harcèlement et Agir avec Respect) et en s’appuyant sur les outils, actions et associations existants (comme par exemple l’association StopFisha et l’ouvrage Combattre le cybersexisme). Devrait être distribué chaque rentrée un guide informatif sur le cyberharcèlement (numéros de référence comme le 3018 contre les violences numériques, peines encourues) à destination des élèves de collège et de lycée ;
4) Concevoir et mettre en œuvre un plan national visant à assurer la sécurité des jeunes femmes dans la rue à proximité des établissements scolaires, dans la continuité du « plan Angela » ; 
5) Inclure dans les recommandations émanant du conseil national des programmes une obligation de justes représentation et proportion de figures féminines dans les manuels, programmes scolaires et les sujets d’examen.
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