Articles récents \ France \ Politique Danièle Bouchoule, Reine Lepinay : « En 1992, quand Elles aussi est née… il y avait seulement 6% de femmes à l’Assemblée nationale »

Danièle Bouchoule et Reine Lepinay sont co-présidentes d’Elles aussi, créée en 1992, qui lutte pour la parité en politique. À l’occasion des 30 ans de l’association, elles font un état des lieux de la place des femmes en politique. Cela se traduit par des chiffres, ainsi que par les différents postes que les femmes occupent dans différentes assemblées et institutions politiques.
Présentez-nous Elles aussi. 

Danièle Bouchoule : Elles aussi est un réseau pluraliste d’associations de femmes, dont le rayonnement est national et régional. Ce réseau agit pour la parité dans toutes les instances élues, dans leur exécutif et dans le gouvernement. Les actions d’Elles aussi s’organisent autour de deux axes. Le premier est la sensibilisation de la société, que ce soit le monde politique ou la société civile, sur la question de la légitimité des femmes et de la parité dans les instances élues. Le deuxième axe est l’accompagnement des femmes dans leur parcours de candidates, puis dans leur parcours d’élues, si elles nous sollicitent. Le réseau Elles aussi est constitué de quatre associations fondatrices, très diverses : Action catholique des femmes, Alliance des Femmes pour la démocratie, Femmes d’Alsace et l’Union Féminine Civique et Sociale, reliée à Familles rurales. Il y a aussi des associations partenaires, de femmes élues ou non : Femmes élues de la Manche, Femmes élues de l’Isère, Femmes élues de la Loire et, depuis quelques mois, Femmes élues de l’Ardèche. Il y a aussi des antennes locales, en Auvergne-Rhône-Alpes, en Bretagne, dans les Yvelines, dans les Hauts-de-France, dans le Loiret, en Occitanie. Nous avons des partenariats locaux avec des associations de femmes, élues ou non, des associations locales diverses, les déléguées départementales aux droits des femmes et des médias, notamment 50-50 Magazine. Nous avons des partenariats nationaux, nous sommes au conseil d’administration de La Clef, nous sommes représentées dans le Haut conseil à l’égalité, nous avons établi des partenariats avec Intercommunalités de France et le Centre Hubertine Auclert. Elles aussi a été créée il y a 30 ans, en 1992 quand le mot « parité » est entré dans le langage et dans la vie associative. Il a été adopté pour insister sur le fait que les femmes ne sont pas une minorité, ne sont pas une catégorie, mais qu’elles sont la moitié de l’humanité et qu’elles sont dans toutes les catégories de la population. En 1992, quand Elles aussi est née sur le thème de la parité dans les instances élues, la situation était très grave. Il y avait seulement 6% de femmes à l’Assemblée nationale, pas plus qu’en 1945, 50 ans avant, la première fois où les femmes y ont été admises.

Avez-vous constaté des progrès concernant l’égalité femmes/hommes en politique ces dernières années ? Certains de ces progrès répondaient ils à vos objectifs ?

Reine Lepinay : Oui, il y a des progrès significatifs qui ont été enregistrés depuis les premières lois sur la parité, à la suite de la réforme de la Constitution en juillet 1999, qui ajoutait un alinéa à l’article 3 : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » Cet article a été débattu à la délégation aux droits des femmes du Sénat, après les élections présidentielles de 2017 et Elles aussi demandait une nouvelle rédaction de cet article avec un autre verbe que « favoriser ». Nous souhaitions le remplacer par le verbe « garantir », ce qui obligerait à légiférer pour que toutes les Assemblées élues soient paritaires.

Si on regarde au niveau local, la part des femmes parmi les élu·es locales/locaux augmente et atteint désormais presque 42%. Mais elle reste en dessous de la parité pour la plupart des fonctions exécutives locales. Depuis 2014, une loi contraignante impose des listes paritaires pour les communes de plus de 1000 habitant·es, concernant leurs assemblées délibérantes et les exécutifs. Nous avons observé une féminisation des conseils municipaux. Mais il reste un angle mort pour les communes de moins de 1000 habitant·es, qui représentent plus de 72% des communes en France. La part des femmes parmi les élu·es municipales/municipaux n’était que de 33% après les élections de 2001. Aujourd’hui, on compte donc 42% de femmes. Et on a noté un progrès pour les femmes maires également. Même si c’est très insatisfaisant, en 2020, 20% de femmes sont maires. Il n’y a pas de loi paritaire pour l’élection des maires. Elles aussi a lancé un appel aux élu·es en 2020, pour encourager et transmettre leur expérience aux futures candidates en tête de listes en 2019 et 2020. Nous avons fait des ateliers dans les territoires pour inciter les femmes à se présenter puisqu’aucune loi ne pouvait les amener à devenir têtes de listes. Il y a quelques bémols à noter : les femmes sont de moins en moins nombreuses au fur et à mesure que les fonctions municipales sont élevées. Nous avons un tiers de femmes premières adjointes, c’est peu. Pourtant, on sait que cette fonction est essentielle, d’autant que cette personne peut être amenée à remplacer le maire dans certaines fonctions.

Les lois paritaires sont absolument nécessaires, elles doivent être le plus contraignantes possibles, mais elles ne sont pas suffisantes pour un réel partage du pouvoir politique entre les femmes et les hommes, en particulier au niveau local. Au niveau des départements et des régions, pour les assemblées délibératives et les exécutives, deux lois ont permis de faire d’énormes progrès, la loi de 2007 pour les régions, la loi de 2013 pour les départements. Une forte représentation des femmes a permis d’atteindre la parité, parce qu’elle était imposée par la loi. L’instauration de binômes a permis aux femmes de prendre des responsabilités, dans leurs fonctions de vice-présidentes, puisque maintenant il y a la parité dans l’exécutif.

La loi paritaire de 2013 a donné une visibilité évidente aux femmes par leur présence physique, dans ces assemblées délibératives et exécutives paritaires. Elles ont pris plus d’assurance, ont été moins exposées à des remarques sexistes, qui sont fréquentes dans les intercommunalités rurales, par exemple. C’est une lente normalisation dans les prises de parole en public. Le respect des compétences de tous·tes, une gestion du temps différente parce que, lorsqu’elles sont aux commandes, elles ont souvent le souci d’aménager un temps de travail plus respectueux de la vie privée, une plus grande ouverture au dialogue dans les commissions et un meilleur rapport avec le personnel administratif très féminisé. Cette loi a encouragé le développement de viviers de femmes compétentes, expérimentées, qui auront, on l’espère, accès aux plus hautes responsabilités de ces collectivités départementales. Toutefois, cette loi a des limites. Tout d’abord, le choix des hommes. Ce sont eux qui proposent à des femmes de candidater ensemble dans cette élection. Elles sont choisies pour leur capital politique, associatif, ou professionnel, qui va favoriser leur légitimité auprès d’un homme politique ou d’un notable local, qui va distribuer les rôles. La population, en particulier dans les territoires ruraux, les médias et parfois le binôme masculin, hiérarchisent les positions stéréotypées rencontrées dans la sphère privée. Ainsi, les femmes ont quelques difficultés à faire reconnaître leur légitimité, si elles n’ont pas un engagement public avant de participer à des élections départementales. Toutes reconnaissent obtenir des places généralement stéréotypées ou genrées dans les délégations et au sein des commissions. Les femmes restent encore exclues de la plus haute responsabilité départementale, même si nous observons une accélération de la féminisation des présidences des conseils. Nous avions 10% de femmes présidentes en 2015 et nous sommes passé·es à 20% en 2021. Aujourd’hui, 49,6% de femmes occupent les fonctions de vice-président·es. Pourtant cette fonction n’assure pas la place à la tête du département. Les partis mettent plus fréquemment des hommes en tête de liste dans les départements où ils peuvent l’emporter. Les femmes restent donc encore sous représentées aux postes clefs, dans les conseils régionaux, même si la loi de 2007 donne la possibilité aux femmes de siéger dans une assemblée à égalité avec les hommes, tout en partageant à égalité aussi les vice-présidences.

Si nous nous en tenions à une analyse quantitative, nous pourrions croire que le partage du pouvoir entre les femmes et les hommes arrive progressivement à maturité dans la gestion des départements et régions de France. Ceci a été très vite démenti par une analyse qualitative menée par Elles aussi, après les dernières élections locales. Elle a permis de mesurer les freins rencontrés par les femmes pour progresser et arriver aux postes les plus élevés de ces collectivités. Au niveau local, on mesure les limites des lois paritaires : il y a des blocages institutionnels, économiques et sociaux. On remarque des délégations qui correspondent à des stéréotypes de genre. Les inégalités professionnelles et dans le partage des tâches domestiques constituent des freins pour arriver à une réelle parité et à un réel partage du pouvoir.

Au niveau national, ce que l’on peut regretter, c’est que la parité n’a pas été un sujet de campagne présidentielle, comme elle avait pu l’être en 2012 et 2017. Les résultats des législatives de 2022 montrent qu’il y a eu plus de candidates qu’en 2017, mais un peu moins d’élues. Elles étaient 2 779 au premier tour, soit 44,2%, un peu plus qu’en 2017 où elles n’étaient que 42,4%. Aujourd’hui, elles sont 215 élues, soit 37,3% des député·es, alors qu’elles étaient 38,6% en 2017. Ceci montre bien que lorsqu’il n’y a pas de loi contraignante, rien n’est garanti pour la parité dans les assemblées législatives. C’est une démonstration du fait que les circonscriptions où sont investies les femmes sont plus souvent celles où il est difficile de gagner. On a vu que c’était particulièrement le cas pour le Rassemblement national où il y eu 37% d’élues pour 49,4% de candidates. Cela pose la question de la loi sur les incitations financières. Est-elle efficace ? Non, puisque l’incitation financière à présenter autant de candidates que de candidats, sans obligation de résultats, on atteint la limite de l’exercice (1). Les partis politiques ne jouent pas toujours le jeu. Nous avons un exemple très probant : le groupe Les Républicains – UDI  reste le mauvais élève, avec 37,8% de candidates et 29,5% d’élues. Elles aussi a toujours été contre les pénalités financières, nous considérons qu’elles sont offensantes pour les femmes et qu’elles ne sont pas efficaces pour une réelle parité à l’Assemblée nationale.

Il s’est passé des événements pendant ces élections législatives qui pourraient nous rendre optimistes, avec une présidente à l’Assemblée nationale et un bureau avec 12 femmes et 10 hommes. Mais en regardant d’un peu plus près, tenir les comptes est encore une affaire d’hommes, avec deux questeurs et seulement une questeure. C’est le signe qu’une culture de la parité et de l’égalité s’installe peut-être progressivement. Cela montre qu’un exécutif peut être paritaire alors que l’Assemblée ne l’est pas. C’est la première fois qu’il y a des présidentes de groupes, trois femmes sur 11. On pourrait se poser la question : est-ce que la période de crise que nous traversons ouvre la gouvernance aux femmes, particulièrement avec ces présidentes de groupes politiques ? Mais des présidences de commissions stéréotypées perdurent : aux femmes, la culture, l’éducation, les affaires sociales, aux hommes, les finances, la défense, les affaires économiques, les lois. Il y a cependant une recherche de partage équilibré entre les femmes et les hommes dans les bureaux, avec des postes de vice-présidences et de secrétariats. Et enfin, un backlash : l’annonce du nouveau gouvernement nous fait revenir à un constat atterrant, les femmes sont minoritaires parmi les ministres, avec une seule femme chargée d’un ministère régalien, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Sinon, on a quatre femmes sur 11 pour les autres ministères. Par contre, 10 femmes sur 11 sont secrétaires d’Etat. Les femmes sont les variables d’ajustement de la parité numérique. Certains progrès répondent à nos objectifs : le scrutin binominal aux élections départementales, que nous réclamions depuis de nombreuses années, mais les progrès restent très insuffisants.

Quels sont vos projets ?

Danièle Bouchoule : À la lumière de cet état des lieux, nous nous disons qu’il faut poursuivre une action de sensibilisation pour que les choses avancent. La France présente une situation très particulière en Europe. Nous héritons d’une histoire très particulière qui a très longtemps exclu totalement les femmes de la citoyenneté. Rappelons qu’elles n’ont voté pour la première fois qu’en 1945. Nous héritons donc de cette situation dont nous ne sommes pas responsables. À Elles aussi, nous insistons sur le fait que cette histoire française rend nécessaire des lois et des contraintes pour faire évoluer la situation. Il peut s’agir de lois sur les modes de scrutin pour les élections législatives et sénatoriales, des lois pour une réforme du scrutin dans les Etablissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et dans leur exécutif. Sur ce point, en ce moment, dans la moitié des départements, nous menons l’action « La Marianne de la parité 2022 ». Nous allons décerner un prix aux EPCI qui ont été particulièrement vertueux pour essayer de mettre en place la parité et qui s’en rapproche le plus. Nous pensons qu’ainsi nous pourrons sensibiliser les médias, l’opinion publique, le monde politique sur la légitimité des femmes dans les EPCI, qui sont des institutions qui ont beaucoup de prérogatives, de responsabilités et de pouvoir.

Nous allons aussi utiliser et diffuser largement trois enquêtes que nous avons faites avec trois étudiantes de Sciences politiques : une enquête auprès de femmes têtes de listes en 2020, une autre auprès de femmes élues maire fin 2020 et une enquête auprès de membres des binômes des Conseils départementaux. L’idée est de montrer de manière qualitative l’apport des femmes dans la  démocratie locale. Dans le cadre de l’entrée des femmes dans les EPCI, nous voulons insister sur le fait que la fusion des petites communes permettrait de leur faire gagner en efficacité et en poids. Elles seraient mieux représentées, par un groupe plus important et dans ce groupe paritaire, il y aurait davantage de femmes. Actuellement, quand une commune envoie une seule personne dans un EPCI, c’est, dans 80% des cas un homme, le maire.

Nous luttons pour la limitation du cumul des mandats dans le temps. Nous nous félicitons de la loi contre le cumul des mandats parlementaires et nous sommes intervenu·es en novembre dernier pour que cette loi ne soit pas remise en cause comme le Sénat l’avait proposé. L’Assemblée nationale a rejeté ce projet. Nous pensons qu’il faut agir pour un statut protecteur de l’élu·e, qui permette aux femmes de s’investir dans la politique locale ou nationale, malgré les freins dont il a été question plus haut. Il faut sensibiliser la société pour que les femmes osent se présenter en tête et des formations pour sensibiliser les femmes et les hommes sur la lutte contre le sexisme en politique.

Pouvez-vous nous parler du colloque Elles aussi, 30 ans pour la parité, et demain ?

Reine Lepinay : Ce colloque permet de faire un point sur la situation de la parité, d’où son titre : 30 ans pour la parité, et demain ? Elles aussi a construit un engagement dans la durée pour travailler sur ce sujet. Il y a encore beaucoup à faire pour que nous ayons une réelle démocratie paritaire. Voilà l’esprit du colloque.

Avez-vous des contacts au niveau international ?

Danièle Bouchoule : Nous sommes parfois sollicité·es par le Ministère des Affaires étrangères pour des rencontres avec des invité·es de ce ministère. C’est dans ce cadre que nous avons rencontré une Kenyane, une Chypriote, une Cambodgienne et une délégation chinoise à deux reprises. Nous sommes intervenu·es en Roumanie en 2018, où nous avons rencontré des femmes du Parlement, ainsi que des universitaires. En 2019, nous avons été interviewée par la télévision coréenne, sur la nécessité de lois paritaires en France. Nous sommes au conseil d’administration de La Clef, qui nous a permis, entre autres, d’être représenté·es au sein de Women in Politics. Nous suivons la situation des femmes à une échelle internationale, dans notre newsletter nous consacrons ainsi un ou deux articles à ces sujets. Nous sommes vigilant·es et attentives/attentifs à la situation des femmes et aux questions d’égalité au niveau international.

Propos recueillis par Emilie Gain 50-50 Magazine

(1) La retenue financière pour non parité de candidatures ne s’appliquent que sur la première partie de la dotation faite aux partis politiques, c’est-à-dire en fonction du nombre de voix sur leurs candidat·es au premier tour de l’élection alors que la deuxième partie de la dotation, qui concerne le nombre d’élu·es est indifférente au sexe.

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