Articles récents \ Monde \ Pays Arabes Raneem Afifi : « le patriarcat est une prison et nous avons besoin du grand air » 2/2

Raneem Afifi rêvait de devenir reporter de télévision, elle a étudié la communication de masse et les médias. Quelques mois après la fin de ses études, la révolution de 2011 a éclaté en Égypte et elle a fait partie de celles et ceux qui sont descendu·es dans la rue, réclamant la liberté et la dignité et toutes ces merveilleuses choses qui ne se matérialisent jamais tout à fait.

Faites vous des actions éducatives avec votre groupe ?

Les actions éducatives ne sont pas vraiment à l’agenda en Égypte, mais avant la pandémie, quelques organisations féministes menaient des workshops à l’attention des enseignant.es du primaires pour réfléchir à la façon dont on devrait traiter les enfants de manière égalitaire et leur faire comprendre qu’il n’y en a pas qui soient supérieures aux autres du fait de leur sexe. Je pense que cela doit être mis à l’agenda. Il y a beaucoup de discussions sur l’éducation positive et comment permettre aux enfants de se réaliser pleinement. Nous avons aussi besoin d’une forme d’éducation à la sexualité et à l’égalité à l’école.

Quels sont les principaux obstacles que vous avez rencontrés ?

Souvent, des gens m’insultent sur Facebook et internet, ils m’envoient des messages plein de haine. La société elle-même pose parfois problème parce que certaines personnes résistent et défendent violemment leurs positions conservatrices en vous attaquant, en envoyant des messages. Elles interviennent parfois dans les conférences afin de vous saper votre confiance en vous et votre crédibilité : « Vous êtes contre l’Etat… contre la religion ! ». Elles ne sont plus aussi nombreuses qu’avant, mais elles restent à l’affût. Et puis il y a l’État bien sûr qui n’est pas ouvert, il y a toujours une limite au-delà de laquelle vous ne pouvez pas aller.

Quels leviers pouvez-vous utiliser dans vos combats ?

Nous travaillons à différents niveaux, pour ma part, j’essaie d’atteindre la jeunesse, particulièrement celle qui a accès à internet. J’organise aussi des workshops pour les institutions qui me le demandent, centrés par exemple sur les questions de genre dans les médias… J’essaie d’atteindre surtout les jeunes journalistes, les jeunes qui travaillent dans le cinéma, les arts, la culture… Ce sont les catégories que je veux toucher, celles qui ont accès à l’internet et les jeunes. Mais il y a d’autres organisations qui s’adressent à d’autres populations que celles du Caire ou d’Alexandrie et qui vont dans la Haute Égypte par exemple, où il y a beaucoup de pauvreté.

Les hommes vous soutiennent ils ?

Beaucoup plus qu’avant, la révolution a changé beaucoup de choses. On ne peut pas dire que ce soit largement répandu dans la société mais il y a aussi une forme de soutien, au moins partiel. Ils soutiennent certaines choses et en refusent d’autres. Aujourd’hui la plupart des familles en Égypte soutiennent l’éducation des filles et des femmes, ainsi que le fait qu’elles doivent pouvoir travailler. Ce sont des droits chèrement conquis qui font leur chemin, même s’ils ne sont pas encore envisagés dans la globalité de leur mise en œuvre. La question du corps reste un gros problème, la virginité par exemple est cruciale en Égypte.

Qu’espérez vous dans le futur ?

À mon niveau, j’espère voir un jour dans mon pays qu’un traitement non sexiste et genré devienne la règle dans les journaux et les magazines. Je travaille ardemment pour que cela devienne une réalité. Même dans les pages qui parlent de mode… Cette d’éducation doit se faire à tous les niveaux car tous les instants de nos vies sont marqués par les différences genrées. C’est très sensible dans l’utilisation du langage. Nous devons voir et dire le monde avec une perspective intersectionnelle et féministe, que ce soit la guerre en Ukraine ou en Palestine, la pandémie et tout autre sujet, nous devons les envisager de ce point de vue. C’est ce dont je rêve pour l’Égypte, et aussi que la perspective féministe soit mieux acceptée dans le milieu du cinéma parce que les réalisateurs et les acteurs s’y opposent. C’est comme en Amérique, ils prétendent que nous attaquons le merveilleux goût du cinéma en imposant des règles, des coordinatrices/coordinateurs  pour les questions d’intimité et de rapport aux corps des femmes. Ils affirment que le cinéma c’est la vie et ils refusent de suivre des règles et de changer leur regard. Il y a beaucoup d’écoles de cinéma maintenant dans le monde qui prennent en compte les analyses féministes et le test de Béchedel par exemple, mais en Égypte ils ne veulent pas entendre parler de tout cela ! Je suis une féministe en colère et je voudrais chambouler le monde du cinéma qui véhicule tellement de stéréotypes sexistes. Le cinéma  égyptien est vu dans tous les pays arabes, il touche beaucoup de gens. Mais les réalisatrices y sont très peu nombreuses, et les féministes encore plus rares ! Pourtant les premiers longs métrages en Égypte ont été faits par une femme, Aziza Amir ! Dans les années 1920/30/40 il y avait beaucoup de réalisatrices et de productrices mais durant les années 1950/60/70 et 80.. il y a eu un recul pour les femmes dans le cinéma ! Après la révolution elles sont un peu revenues.
C’est donc aussi un de mes objectifs : faire accepter des analyses féministes des films, pouvoir les publier ! C’est impossible de trouver un éditeur pour ce genre de choses. J’espère aussi pour les femmes que le public sera un peu plus ouvert afin que nous puissions faire davantage de travail de terrain parce que nous ne pourrons pas aboutir en ne travaillant qu’en ligne, en ne faisant des campagnes que sur internet.

Comment les organisations féministes du nord peuvent elles vous aider ?

Je crois beaucoup dans un féminisme transnational, nous avons besoin d’une sorte de féminisme global. Par exemple j’ai des projets avec le Fonds pour les Femmes en Méditerranée. C’est une organisation très active qui comprend très bien la diversité des mouvements féministes. Ses membres ne se comportent pas comme certains mouvements occidentaux qui se positionnent en surplomb pour nous dire ce que nous devons faire au Sud. Toutes les sensibilités peuvent s’y exprimer et on peut faire entendre nos différences. Tout ne peut pas être dit, tout ne peut pas fonctionner de la même façon au Sud comme au Nord. Trop souvent les mouvement occidentaux nous traitent comme si nous étions encore des petits enfants qui ont beaucoup à apprendre !

Par ailleurs, aujourd’hui la guerre nous affecte toutes et je pense qu’il est temps d’être solidaires et d’échanger. Nous avons toutes besoin d’être la voix les unes des autres, de faire entendre nos opinions, nos idées… et de rester en contact, d’être sur la même ligne. Je ne sais pas très bien comment cela peut se faire, mais en ces temps où les choses deviennent plus difficiles partout dans le monde, nous avons besoin de sentir la solidarité parce que nous avons besoin les unes des autres. Si la guerre s’étendait dans les mois à venir, nous serions tou·tes  affecté·es. Et les femmes paieraient le prix fort ! Cela renverrait le féminisme à l’arrière-plan, comme toujours en cas de crise. C’est aussi pour cela que nous écrivons des articles sur le changement climatique et l’écoféminisme. D’autant que la prochaine COP aura lieu à Sharm el-Sheikh, en Égypte, en novembre. Les gens commencent à parler beaucoup du changement climatique, mais encore une fois sans perspective féministe. Donc nous traitons ce sujet, faisons des infographies, des reportages en vidéos d’un point de vue féministe… pour commencer à faire comprendre aux gens que rien ne peut se faire sans la participation pleine et entière des femmes et leur faire comprendre que le changement climatique les affectera plus particulièrement. Elles représentent  80% des migrations liées au changement climatique donc il faut absolument faire entendre les perspectives féministes.

Je crois que nous changerons le monde, il ne changera pas sans nous… De toutes façons nous n’avons pas le choix, le patriarcat est une prison et nous avons besoin du grand air. Je pense aux Iraniennes qui sont si courageuses, elles ont besoin de notre soutien, que nous protestions partout, que nos médias relaient leur combat. Si le régime comprend que le monde entier les soutient, ils devront cesser d’agresser les femmes dans les rues. Je pense que le temps est venu de la solidarité. Nous devons descendre dans la rue pour protester, quand c’est possible, pour les femmes en Iran. Elles ont besoin de notre soutien de l’extérieur. Quand des femmes sont opprimées quelque part, que leur voix est bâillonnée et que les autorités tentent de les supprimer, les féministes du monde entier devraient se lever et protester pour défendre leurs droits ! 

Propos recueillis par Marie-Hélène Le Ny

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