Articles récents \ Monde \ Afrique Meganne Boho : « Nous avons été la première association ivoirienne se réclamant féministe »

En 2019, une nouvelle ère du féminisme souffle sur les réseaux sociaux ivoiriens. Huit femmes féministes créent la première organisation féministe pour porter haut et fort toutes revendications et luttes pour les droits des femmes. Meganne Boho est la présidente de la Ligue ivoirienne des droits des femmes, symbole d’un féminisme florissant en Côte d’Ivoire.

Quelle féministe êtes-vous ?

Je pense que je suis féministe depuis toute petite. Je n’avais juste pas les mots qu’il fallait pour les poser sur toutes formes d’injustice faites aux femmes. J’ai réellement connu le mouvement fin 2018, début 2019. C’est à cette période que j’ai su que ce que je faisais depuis longtemps était du féminisme.

Pouvez-vous nous présenter la Ligue ivoirienne des droits des femmes ? 

La Ligue est née sur les réseaux sociaux et particulièrement sur Facebook. Nous sommes un pur produit de la génération 2.0 et nous revendiquons ce type de féminisme avec la dernière énergie. La Ligue c’est huit femmes féministes qui, en 2019, se sont mises ensemble pour créer une organisation pour la défense des droits des femmes. Nos actions ont cependant débutées en 2020 en pleine crise du COVID-19. Nous avons été la première association ivoirienne se réclamant féministe dans une Côte d’Ivoire qui était hostile au féminisme à cette période. Nous revendiquons cette empreinte qui est d’ailleurs inscrite dans la description de l’organisation. La Ligue ivoirienne des Droits des Femmes est une organisation féministe créée par des jeunes femmes ivoiriennes en vue de lutter contre tous types de violences faites aux femmes et e faire la promotion des droits des femmes. 

Nous faisons énormément de sensibilisation dans les écoles et beaucoup de prises en charge des survivantes. Nous essayons de trouver des activités génératrices de revenus pour celles qui ont besoin de se remettre en scène. Depuis l’an passé, nous avons trouvé un moyen assez efficace pour faire de la sensibilisation dans les écoles, avec la création de notre première fresque à Adiaké dans le Sud-Comoé. Nous avons ajouté des numéros verts pour signaler les cas de viol ainsi que des statistiques. 

Nous souhaitons mettre en place des moyens efficaces pour faire passer un message comme  dans la ville de Bondoukou, avec la sensibilisation en langues locales par exemple ou encore l’utilisation de bandes dessinées ou de dessins animés. En mars, nous avons organisé aussi des diffusions de films qui traitent de violences conjugales dans une société ivoirienne assez patriarcale.

Nous faisons de la réinsertion sociale. Pour la petite anecdote, nous avons organisé une table ronde sur le féminisme et la femme qui a proposé ces services pour le cocktail fait partie des premières survivantes que nous avons aidées.

Où en sont les droits des femmes et des filles en Côte d’ivoire ? 

Les droits des femmes et des filles en Côte d’ivoire avancent à petit pas. Il y a énormément de choses à faire, mais nous nous réjouissons de chaque petite victoire. Cette situation est souvent source de frustration puisque logiquement, on se dit qu’on ne devrait même plus se battre pour des droits qui ont été acquis depuis longtemps avec la déclaration des droits humains. Mais, je suis optimiste en l’avenir. Je suis de celles qui croient que cette génération va faire bouger les lignes et faire avancer la lutte pour les droits des femmes ivoiriennes.

En Côte d’Ivoire, vous êtes invitées sur de nombreux plateaux télés ou encore à la radio pour parler des violences faites aux femmes. Comment percevez vous cette médiatisation ? 

A nos débuts, nous ne nous attendions pas à autant de médiatisation, mais le travail que nous effectuons chaque jour nous a permis de nous hisser à cette place qui fait qu’ il est difficile aujourd’hui de parler de droits des femmes ou de violences faites aux femme sans citer la Ligue. Les réseaux sociaux sont nos bureaux, nous sommes tout autant efficaces avec internet que sur le terrain avec des personnes physiques. L’impact de la Ligue aujourd’hui n’a été possible qu’avec la détermination et l’expérience de toute l’équipe. Nous avons dans nos rangs des profils exceptionnels de femmes engagées, qui dès les premières heures ont su analyser la question des droits des femmes. Malgré les insultes, les menaces de mort et humiliations diverses essuyées, je suis fière aujourd’hui du chemin parcouru et de la constance dans notre mission. Je pense que cette médiatisation n’est pas le fruit du hasard. C’est juste le résultat du travail abattu. En plus, si cette reconnaissance peut servir à garder la question des droits des femmes sous le feu des projecteurs, c’est parfait pour nous. Je me dis que dans une dizaine d’années, plusieurs se rappelleront comment des femmes ont fait bouger les choses en termes de droit des femmes en Côte d’Ivoire.

Avec quelles associations travaillez vous ?  

Nous avons collaboré avec l’association Overcome (violences faites aux femmes), Weforher qui travaille avec les femmes dans les zones rurales. Il y a aussi le centre Manowach à Bouaké qui soutient des femmes victimes de violence sexuelles et aussi l’association Stop au chat noir qui lutte contre les violences sexuelles négligées dans le cercle familial.

Depuis 2021, il y a un collectif d’activistes de Côte d’ivoire qui compte plus de 35 associations y compris la Ligue et défend les droits humains. Nous travaillons avec tout le monde parce que nous savons que c’est l’union des associations de la société civile qui fait avancer le monde.

Quelles sont vos ambitions à travers les différentes ligues mises en place dans les pays limitrophes de la Côte d’Ivoire ? 

Le féminisme, c’est un état d’esprit qui se voit partout. Nous nous sommes rendues compte qu’il y avait des femmes en Afrique qui partageaient les mêmes états d’esprit que nous. La Ligue ne vient pas s’imposer à un pays, ce sont les féministes du pays qui se mettent ensemble et qui disent qu’elles ont a envie de mettre en place la Ligue chez elles. C’est de cette manière que la Ligue est née au Bénin, au Tchad et au Mali. Ensuite, les pays sont chapeautés par la Ligue de Côte d’Ivoire, car nous avons les mêmes manières de communiquer et de travailler

Récemment, il y a une féministe qui m’a annoncé qu’elle voulait créer une Ligue au Congo. J’ai dit constitue l’équipe et nous arrivons. Nous sommes donc pour le moment dans trois  pays : le Tchad, le Bénin et le Mali. Trois sociétés différentes, c’est un beau challenge !  À la fin, nous souhaitons que la Ligue soit un groupe féministe qui couvre toute l’Afrique avec sa propre marque.

Quelles sont, pour vous, les priorités pour une réelle mise en œuvre de l’égalité femmes/hommes ? 

Les priorités sont l’éducation et les sanctions. Je me dis lorsqu’il y a des personnes qui violentent des femmes, qui violent, il faut systématiquement qu’il y ait des sanctions, qu’on arrête de faire des règlements à l’amiable. 

Il faut qu’on éduque dans nos maisons, qu’on réévalue les manuels scolaires parce que ce n’est pas possible qu’on voit dans un manuel Jeanne va au marigot ou Georges roule la moto, pourquoi ? Il faut que dès le bas âge les enfants comprennent qu’on a le même cerveau et qu’on peut faire les mêmes choses si on est fille ou garçon. 

En tant que présidente de la Ligue, quels sont les événements et/ou activités les plus marquants de votre parcours ? 

Je dirai que c’est notre première exposition médiatique, concernant une jeune femme qui est tombée d’un immeuble à Yopougon. C’était la première fois que je vivais le cyberharcèlement, ça été très difficile. Nous nous sommes vues insultées, lorsque la victime a décidé de ne pas porter plainte. Mais, nous étions sur le terrain et nous savions ce qui se passait réellement, la violence psychologique, la pression … 

Ça m’a fait hyper mal après, mais nous nous sommes dit que nous nous étions engagées pour ce combat. Je me dis je suis née pour ça parce que même si à la fin j’arrêtais d’être féministe je pense qu’il y a une partie de moi qui mourrait. Souvent, les gens pensent que je n’ai pas peur, mais j’ai peur, il y a des menaces de mort parce qu’il y a de gros dossiers, de grosses têtes. 

Il y a aussi une série d’événements marquants comme le fait d’être contactée par une femme qui m’a dit on a vu votre travail, on veut travailler avec vous, alors que la Ligue venait juste de naître. Il y a aussi le fait que les organisations onusiennes veulent aussi travailler avec nous et pour finir la rencontre avec le représentant des Nations Unies.

Quel est l’impact des réseaux sociaux dans la stratégie numérique de la Ligue ? 

Les réseaux sociaux, c’est notre arme numéro un. Ce que nous faisons sur les réseaux sociaux est énorme car nos bénévoles et l’équipe de communication qui vivent à l’extérieur peuvent être partout et travailler. Nous sommes sur Instagram et nous sommes récemment allées sur LinkedIn, parce que nous nous sommes dit qu’il allait falloir que le monde professionnel sache ce que nous faisons. 

Aujourd’hui, par le biais de Ligue ivoirienne des droits des femme, certaines personnes ont peur de mal parler des femmes sur les réseaux sociaux. Avant, on pouvait rester sexiste, misogyne, parler de viol, en rire sans problème. Dès que la Ligue est sur un dossier, on sait qu’il y aura une suite et ça c’est grâce aux réseaux sociaux. Maintenant, tout le monde fait attention à ce qu’il dit parce qu’ il y a une génération qui guette et c’est notre victoire la plus parlante au niveau des droits des femmes. 

Quelles sont les difficultés rencontrées et les projets pour l’avenir ? 

Les difficultés sont les traditions, la société patriarcale, la manière de penser de certaines personnes. Il a fallu beaucoup de temps pour qu’on arrête de nous voir comme des fauteuses de troubles, ça continue mais ce n’est plus comme au début. 

Il y a aussi les moyens financiers, on ne peut pas faire tout ce que nous faisons sans soutien. Malgré, les cotisations des bénévoles et des membres du bureau, c’est difficile. On essaie d’appeler d’autres organisations à l’aide, on fait des levées de fonds très souvent. 

Pour le futur, nous aimerions avoir nos propres locaux, trouver un bon fonds de roulement pour recommencer à vendre dans notre boutique, avoir un centre d’hébergement, mettre en place un rassemblement pour les féministes de l’Afrique de l’Ouest et diffuser des bandes dessinées simplifiées pour apprendre le consentement aux enfants.

Propos recueillis par Alexandra Koffi 50-50 Magazine

 

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