Articles récents \ Monde \ Afrique Kayan Leung : « Notre objectif est de faire changer la politique sud-africaine pour qu’elle respecte les droits humains »

Kayane Leung

Kayan Leung travaille au sein de l’ONG sud-africaine Lawyers for Human Rights. Cette ONG s’intéresse aux différents aspects des droits humains, abordés à travers différents programmes thématiques. Aujourd’hui, le travail de Kayan Leung est dédié aux questions d’égalité de genre et du programme en charge des litiges stratégiques. Elle était présente au congrès qui célébrait les 100 ans de la Fédération Internationale pour les Droits Humains qui s’est tenu au mois d’octobre à Paris. 

Quels sont les objectifs de l’ONG Lawyers for Human Rights ?

Lawyers for Human Rights (LHR) est une ONG fondée en Afrique du Sud en 1979. Plusieurs avocat·es se sont rassemblé·es pour s’opposer à l’Apartheid qui était encore en place à cette période, ainsi qu’aux lois discriminatoires qui encadraient ce régime oppressif.  Aujourd’hui, LHR est composée de 46 membres réparti·es entre les quatre antennes présentes dans le pays. Il s’agit toujours majoritairement d’avocat·es mais aussi de personnes en charge des aspects plus administratifs de l’ONG.

Il existe six axes de travail au sein de LHR. Ils concernent les réfugié·es et la migration, l’égalité de genre, le droit à la propriété et à l’accès au logement, le droit de l’environnement, le système carcéral et les réformes pénales, et enfin les litiges stratégiques (1). Nous envisageons ces programmes comme des axes complémentaires. Ainsi, notre approche est holistique et ces différentes thématiques se croisent pour permettre de traiter les sujets de manière transversale. Notre principal objectif est d’impliquer les différentes communautés concernées par notre travail, en leur donnant de la visibilité et en leur offrant un espace pour s’exprimer, mais aussi et surtout, notre objectif est de faire changer la politique sud-africaine pour qu’elle respecte les droits humains. Nous attachons une attention particulière à la situation des personnes issues des communautés marginalisées et plus spécifiquement à celle des minorités de genre et de classes, ainsi qu’à celle des migrant·es.

Quel est votre parcours et pourquoi avoir choisi d’intégrer Lawyers for Human Rights ?

J’ai grandi en Afrique du Sud à la fin de l’Apartheid. Je faisais partie d’un groupe minoritaire et j’évoluais au sein d’une communauté dont la culture était très différente de la mienne. Cette situation a beaucoup influencé ma perception du monde concernant l’inclusivité, en particulier lorsque j’ai dû choisir le domaine vers lequel j’allais m’orienter. J’ai su assez tôt que je souhaitais aider les minorités sud-africaines à se sentir plus représentées et incluses au sein de la société. Dans cette idée, j’ai hésité entre les études de psychologie et le droit, mais je me suis dit que j’aurais davantage l’opportunité de faire changer les choses si je me dirigeais vers le droit. Au cours de mes études, j’ai eu la chance de pouvoir faire un stage au sein de LHR. Pendant une longue période j’ai travaillé pour le programme dédié aux réfugié·es et à la migration. Puis je me suis concentrée sur les questions de droit environnemental, en particulier sur l’implication des femmes et des jeunes générations dans ce domaine, qu’il s’agisse de leur engagement ou de l’impact que la crise environnementale peut avoir sur elles. J’ai également œuvré pour le programme qui s’intéresse au droit carcéral et plus spécialement aux détentions arbitraires et à la détention de migrant·es. Aujourd’hui, je suis en charge du programme qui gère les litiges stratégiques, ainsi que du programme dédié à l’égalité de genre.

Pouvez-vous nous donner plus de détail sur ce programme dédié à l’égalité de genre ?

Notre programme dédié à l’égalité de genre s’intéresse à différentes problématiques. Tout d’abord, il s’agit d’étudier les discriminations qui touchent les minorités de genre au niveau légal. Notre objectif est donc de rendre les lois plus égalitaires pour les femmes et les personnes issues des communautés LGBTQIA+. Nous avons déjà beaucoup œuvré en ce sens, en nous intéressant à ce sujet à travers un prisme intersectionnel, qui intègre à la fois les minorités de genre et les groupes vulnérables, comme les femmes migrantes ou les enfants migrants. Nous nous sommes également intéressé·es aux différentes formes de violences, principalement à l’encontre des femmes, ce qui inclut ces sujets comme les féminicides, ainsi que les violences économiques qui sont très présentes dans notre société.

Par ailleurs, nous luttons pour la mise en place d’un revenu universel pour améliorer les conditions de vie de tous les groupes vulnérables. Dans cette idée, nous cherchons également à compenser des conséquences de la ségrégation qui ont encore des effets aujourd’hui. Cela concerne en particulier les femmes noires qui peuvent ne pas avoir accès à un logement à cause des lois sur la propriété qui sont des lois patriarcales qui favorisent les hommes. Ces lois ont été abolies en 2019 car elles étaient anticonstitutionnelles mais elles peuvent perdurer en tant que coutumes, notamment dans le cadre du mariage. En effet, dans la coutume de certaines ethnie sud-africaine, les femmes peuvent se retrouver sans logement en cas de divorce car elles sont mises à la porte par leur ex-conjoint et sont censées retourner dans leur famille. Les lois sur la propriété et le logement peuvent entraver leurs accès au logement, ce qui est une situation d’autant plus problématique dans le cas des femmes migrantes qui n’ont pas la possibilité de rejoindre leur famille. Pour nous, il s’agit de violences fondées sur le genre. Là aussi nous cherchons à faire avancer les lois pour protéger ces femmes.

Enfin, un dernier exemple de nos actions dans le cadre du programme dédié à l’égalité de genre concerne la xénophie et l’afrophobie institutionnelle, très fréquente en Afrique du Sud. Dans ce contexte, les femmes enceintes ou allaitantes migrantes ou sans-papier et leurs enfants de moins de six ans doivent généralement payer pour accéder aux premiers soins dans les cliniques et les hôpitaux, alors que l’accès aux soins est un droit fondamental, normalement garanti par notre Constitution. Ce sont des situations auxquelles nous sommes fréquemment confronté·es et que nous tentons de faire évoluer au niveau légal en travaillant main dans la main avec d’autres ONG et associations, car nous pensons que chaque femme enceinte ou allaitante, ainsi que tous les enfants devraient avoir accès aux soins. Il s’agit d’un droit fondamental à une échelle nationale mais aussi mondiale.

Propos recueillis par Emilie Gain 50-50 Magazine

1 Le litige stratégique est un procédé qui vise à mettre en avant une affaire particulière ou plusieurs affaires qui relèvent des mêmes questions de droit afin de mettre en lumière la violation de droits humains et faire évoluer le traitement de certains groupes

print