Articles récents \ Monde Fanny Petitbon : “ Le tic tac du changement climatique nous oblige à agir ! ”

Fanny Petitbon est depuis plusieurs années chargée du plaidoyer à Care France et une spécialiste du climat. Elle revient de la COP 27 qui a réuni en Egypte, sous l’égide de l’ONU, ses Etats membres pour organiser l’action nécessaire contre les risques du changement climatique. Les attentes étaient grandes, et à celles/ceux qui fustigent la frilosité des dirigeant·es de la planète, elle oppose l’adoption de mesures financières pour aider les pays les plus vulnérables.

Quel bilan peut-on tirer de cette dernière COP (Conférence des parties qui se réunit chaque année) ? Représente-t-elle une avancée ou une stagnation, comme certain·es le disent ?

C’est vrai, les attentes étaient grandes. Car lors de la précédente COP le message avait été clair : les pays du Nord prenaient enfin conscience des souffrances des pays du Sud. Et ils avaient promis de prendre des mesures précises, des plans climat par pays, pour ne pas dépasser les 1,5° de réchauffement de la planète. Donc aujourd’hui on peut parler d’un bilan en demi-teinte : une grande avancée consiste en la prise en compte des pertes et dommages, tandis que les financements promis restent très en deçà de ce qui serait nécessaire.

Pertes et dommages, de quoi s’agit-il ? Définis il y a plus de trente ans par les petits Etats du Pacifique, par exemple ces îles qui risquent de disparaître avec la montée du niveau de la mer, ils n’avaient jusqu’à maintenant pas été considérés par les pays du Nord. Or ces Etats ont à la fois des pertes économiques à cause de l’impact irréversible du changement climatique (ouragans, salinisation des terres par l’eau de mer lors d’inondations, ou sécheresse), mais aussi des pertes non économiques (disparition des cultures et des dialectes lors des déplacements forcés des populations). Et tout cela a été peu à peu reconnu au fil du temps, jusqu’à aujourd’hui où c’est devenu un sujet politique obligatoire. On a assisté à une montée en puissance des pays du Sud, soutenue par une mobilisation forte des sociétés civiles. Et ce thème des pertes et dommages est devenu le fer de lance pour inciter à l’engagement des Etats !

Aujourd’hui, des fonds ont été prévus, mais comment les rendre opérationnels ? Combien ? Qui va payer ? Les pays riches, bien sûr, qui sont responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi les pays émergents comme l’Inde, la Chine, ou l’Arabie Saoudite. C’est à la prochaine COP, qui aura lieu en Arabie l’an prochain de mettre ça sur pied, ou plutôt aux nombreuses rencontres de négociation qui seront organisées jusque là…

Des plans climats avaient été promis l’an passé. Ont il été réalisés ?

Seuls 30 Etats l’ont fait, sur 194 pays membres. Mais il n’y a pas eu de nouvelles annonces. Pourtant, dans ce genre de conférence, les Etats se regardent en chien de faïence et tous savent que c’est une course contre la montre ! Mais il faut un courage politique énorme pour tout changer, à la fois la consommation, la production et les déplacements et bien sûr, les lobbys du secteur privé s’y opposent. Heureusement, il y a les citoyen·nes pour faire pression. Et nous en avons besoin face au poids des lobbys des énergies fossiles. Ils étaient très représentés à Sharm El Sheik, plus de 600 personnes, extrêmement connectées et efficaces.

Pourtant, la situation évolue : la COP a souhaité écrire qu’il fallait sortir des énergies fossiles et non plus les  réduire ( les mots sont importants ), mais l’Iran, la Russie et l’Arabie s’y sont opposés. Et l’argent nécessaire pour accompagner la transition énergétique est là, on l’a vu avec le Covid, il existe des possibilités de rediriger des flux financiers énormes. Seul le tic-tac du changement climatique va finalement nous obliger à agir !

On a beaucoup dit que la crise climatique vulnérabilisait les femmes des pays pauvres. Mais de quelle manière ?

Pour Care, le genre est très important à prendre en compte. Nos actions dans le monde s’adressent beaucoup aux femmes, car celles-ci sont en première ligne dans la précarité. Et le processus qui s’enclenche lors d’une crise climatique est lié aux énormes inégalités qu’elles subissent partout. Et c’est là qu’on peut facilement analyser l’impact du genre dans la vie quotidienne, selon qu’on est un homme ou une femme. C’est pour nous la “ Double injustice ” qui lie inégalités de richesse aux inégalités qui découlent des normes sociales.

Prenez une femme d’un pays pauvre qui doit chaque jour aller chercher de l’eau et du bois : lors d’une sècheresse, ou d’une inondation, ou lorsque les ressources naturelles se raréfient, elle sera obligée d’aller plus loin, ça lui prendra plus de temps. Ce temps sera perdu pour d’autres activités qui pourraient lui procurer un revenu, mais aussi pour son éventuelle participation à des prises de décisions. Elles sera donc encore plus exclue de la vie de sa communauté. Pour se faire aider, elle va demander à ses filles, car on choisira le garçon pour continuer l’école. Ces petites filles seront donc déscolarisées et risquent d’être victimes de mariages précoces. En outre, puisque les hommes de la famille partent souvent à la ville pour gagner de l’argent, ces femmes et filles vont être à la merci de prédateurs qui peuvent leur infliger des violences. C’est donc un processus, toujours le même, qui les rend vulnérables à partir de l’évolution du climat !

Mais il ne faudrait surtout pas considérer les femmes que comme des victimes ! Au contraire, elles sont celles qui possèdent le savoir de la terre, des semences, et leur savoir-faire ne doit pas être négligé, il faut au contraire le valoriser ainsi que, dans les villages, renverser le processus de pouvoir en permettant à ces femmes l’accès au financement de leurs projets, même lorsqu’elles sont analphabètes. C’est ce que Care essaie de faire comprendre par notre plaidoyer auprès à la fois des ministères de la Transition écologique et des Affaires étrangères ainsi qu’auprès des parlementaires. Il faut absolument influencer la politique de la France sur les enjeux climats et humanitaires. Il s’agit tout simplement de justice.

Propos recueillis par Moïra Sauvage 50-50 Magazine

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