Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Être une femme dans un milieu d’hommes : Carole Colin, paysagiste entrepreneuse

Carole Colin, une bourguignonne au caractère bien trempé, témoigne sur son expérience de femme dans un milieu masculin : le paysagisme. Elle a cofondé son entreprise d’entretien des espaces où elle est responsable technique d’une équipe de six hommes.

J’ai toujours su ce que je voulais faire. Déjà toute petite, j’adorais être dehors et m’occuper des espaces verts. Dès le collège, j’ai décidé que la meilleure option pour moi, ce serait de devenir paysagiste. 

En 4ème, j’ai visité un lycée professionnel et je me souviens que le directeur m’avait dit : “ Tu sais tu es un peu jeune alors on verra bien si tu ne changes pas d’avis ”. Je lui ai répondu : “ Ne vous inquiétez pas, je serai là dans deux ans ”. Il a bien ri mais ça n’a pas manqué : j’ai eu mon bac de sciences et technologies de l’agronomie et du vivant dans ce lycée. Ensuite, j’ai fait un BTS aménagement paysagé. 

Je n’ai pas eu beaucoup de remarques négatives suite à mon choix. Quelques proches ont cependant voulu me mettre en garde sur le fait que c’était un métier “ difficile ”. On ne m’a pas dit que c’était dur dans le sens où j’aurais à porter des choses lourdes et que je n’en serais pas capable ; mais dur dans le sens où c’est un travail en extérieur donc il y a la dépendance aux conditions climatiques. 

À la sortie de mon BTS, j’avais envisagé de faire une année de licence en gestion de chantier mais j’ai vite changé d’avis. J’avais bel et bien l’ambition de diriger des équipes mais je voulais le faire à ma manière et en respectant mes valeurs. Pour moi, c’était essentiel de commencer tout en bas de l’échelle si je voulais diriger des équipes par la suite. Je pense qu’il faut avoir été à la place de quelqu’un si on veut le gérer. C’est la seule façon de vraiment le comprendre et c’est essentiel pour prendre les meilleures décisions pour elles/eux. Cela aide à trouver l’aspect humain dans le management.

J’ai donc commencé à travailler en tant qu’ouvrière paysagiste. J’ai fait de la création paysagère, ce qui était vraiment très physique. Je n’ai eu aucun traitement de faveur pour autant. J’ai dû faire mes preuves, de la même manière qu’un homme. 

Je travaillais en duo avec un homme et, de nous deux, c’était plutôt moi qui prenais les décisions. Pourtant, j’ai vite remarqué que beaucoup de client·es s’adressaient naturellement à lui et pas à moi. Surtout quand il s’agissait de personnes un peu plus âgées ou d’hommes. Dans ces moments-là, mon collègue n’hésitait pas à poliment leur dire : “ allez lui demander, c’est elle qui gère ”

Ensuite, j’ai commencé à gérer mes collègues un peu plus officiellement. Après avoir passé un an à leurs côtés sur le chantier, les patrons m’ont proposé de passer la moitié du temps sur le chantier avec eux et l’autre moitié du temps dans les bureaux à tout gérer comme les plannings ou les fournisseurs par exemple. Je trouve bien que ce changement se soit fait en douceur et que j’ai eu l’occasion de travailler à leurs côtés avant de les diriger. Je ne suis pas arrivée en mode Ravie de vous connaître maintenant ça va être comme ci comme ça ”. Cela a rendu la transition plus fluide qu’ils aient tous eu l’occasion de voir que j’avais travaillé comme eux avant d’en être là où j’en suis. 

Il y a un peu plus d’un an, le patron de l’entreprise dans laquelle je travaille m’a dit qu’il voulait voir plus grand. Son entreprise de création paysagère marche bien cependant il souhaitait s’étendre au niveau géographique. Il m’a donc dit qu’il aimerait créer une sorte de succursale et qu’il aimerait que ce soit ma société. J’ai donc fondé Tille Paysage, dans le bassin Issois, avec lui. Cette société propose de la création et de l’entretien des espaces verts en service à la personne. J’ai pu m’essayer à toutes les facettes de l’entrepreneuriat : les devis, le relationnel client·es, le recrutement… Aujourd’hui je gère donc deux employés sur le bassin Issois et six employés sur Dijon, tous des hommes, et ça se passe très bien.

Le seul moment où j’aurais pu avoir une confrontation difficile, c’est avec un de mes collègues qui a expliqué à mon chef qu’il ne pourrait pas venir travailler sur ma société parce que je suis une femme. Travailler avec moi ne le dérange pas mais être géré par une femme, ça lui poserait problème : “ Si Carole était ma patronne, ça ne marcherait pas ”. Donc je sais qu’il y a un souci de ce côté-là mais il ne me l’a jamais dit ouvertement. On parle d’autres choses quand on se voit. 

J’ai conscience que je pourrais avoir beaucoup plus de problèmes, comme d’autres femmes, mais ce n’est pas le cas. Est-ce que c’est parce que j’ai un gros caractère et que je fais peur ? Je ne sais pas. Je pense que je peux m’estimer très chanceuse. Peut-être que justement j’arrive à prouver que j’ai beau être une “ nana ”, tout marche très bien.

Justement moi je n’y pense pas beaucoup mais mon ancien chef a eu une réflexion qui m’a pas mal fait réfléchir. Quand il m’a proposé de monter Tille Paysage, moi j’ai dit oui parce que le challenge me plaisait mais lui il m’a dit que si ça marchait bien, je serais sûrement la première femme à monter une boîte florissante dans ce domaine dans la Côte d’Or. Il m’a dit : “ Tu vas leur montrer et là les gars ils auront plus qu’à se taire ”. Je n’avais même pas pensé à cet aspect de “ prouver quelque chose en tant que femme ”. C’est beau que ce soit un homme qui s’en réjouisse. 

Témoignage recueilli par Eva Mordacq 50-50 Magazine

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