Articles récents \ France \ Politique AUX GRANDES FEMMES, LA PATRIE RECONNAISSANTE !

olympes de gouges

Elles ne sont que 6 femmes sur 81 à être entrées au Panthéon. Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante ! Mais où sont les femmes ? Et pourtant elles sont nombreuses à avoir contribué à la grandeur de la France. Elles sont inventrices, scientifiques, artistes, résistantes, politiques, philosophes, religieuses, autrices, juges, économistes… Depuis 1989, l’Élysée refuse la panthéonisation d’Olympe de Gouges, guillotinée pour ses idées égalitaires comme le droit de vote, l’accès à l’éducation, le droit de travailler ou de divorcer, la suppression de l’esclavage… Le Panthéon est un symbole de la reconnaissance de la France envers ses citoyens…. et citoyennes. Une nouvelle pétition est en ligne depuis le 7 janvier. Interview croisée de Catherine Marand-Fouquet, historienne et autrice, spécialiste de l’histoire des femmes et de Sylvia Duverger, qui tient un blog sur Médiapart, spécialiste du Genre.

Comment expliquez-vous cette résistance de l’Élysée depuis 1989, date à laquelle vous, Catherine Marand-Fouquet, avait effectué une première demande ?

Catherine Marand-Fouquet : Le simple fait qu’on ait été interpellé·es si tard sur l’absence de femmes ès qualités au Panthéon constitue en soi une réponse. Le dédain, la non-prise en considération des femmes comme actrices de l’histoire à part entière, ont perduré durant des siècles en France. La misogynie a durablement imprégné notre mentalité. Or, il se trouve que par sa personnalité, par son histoire, Olympe de Gouges incarne la féminité même. De son temps déjà, les pamphlétaires la disqualifiaient pour ce motif, la qualifiant de courtisane. Ce n’était qu’une femme libérée par un veuvage précoce, qui eut quelques amants mais entretint une liaison de près de vingt ans avec un homme dont elle eut une fille et qui la soutint financièrement. Aucune inquisition de ce style pour les hommes élus à la panthéonisation. En France, durant des siècles, pour être consacrée héroïne nationale, une femme se doit d’être pucelle, telle Jeanne d’Arc. Aussi le destin posthume de la renommée d’Olympe fut-il, durant deux siècles au moins, enseveli sous cette image de gourgandine incompatible avec les honneurs nationaux.

Une contestation plus politique s’y ajouta, orchestrée par les dévots de Robespierre dont elle avait osé critiquer vertement l’idole. Ceux-là lui collèrent l’étiquette de royaliste ou de girondine, au choix. Ce n’est qu’à partir des années 1970, avec l’essor d’une histoire plus soucieuse de faire revivre l’histoire dans sa totalité, avec un nouveau regard posé sur les écrits et actions des femmes, qu’elle acquit un autre statut. Son principal biographe, Olivier Blanc, a joué un rôle majeur dans cette redécouverte. Mais il faut du temps pour que les croyances anciennes reculent devant une vérité nouvelle.

Une génération nouvelle d’hommes politiques, étrangers à cette misogynie séculaire, ayant déjà éprouvé un statut plus égalitaire entre femmes et hommes, était sans doute nécessaire pour arriver à sauter le pas : reconnaître à une femme, quoique séduisante, ayant eu une vie ni de célibataire consacrée ni de mère bourgeoise, le droit d’être une figure symbolique exemplaire de la revendication des femmes à exercer les mêmes droits et devoirs que les hommes.

Faire entrer Olympe de Gouges au Panthéon, est-ce aussi reconnaître une injustice des hommes envers les femmes et la réparer ?

Sylvia Duverger : En 1791, l’Assemblée constituante transforme la basilique Sainte-Geneviève édifiée par Soufflot en « temple de la république », destiné « à recevoir les grands hommes de l’époque de la liberté française ». La constitution de 1791, précédée de la Déclaration des droits de l’homme votée par les députés en août 1789, prive les femmes de tout accès au pouvoir politique, tant législatif qu’exécutif (elle durcit même la loi salique puisqu’elle interdit l’accès des femmes à la régence également). Immédiatement, dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne adressée à la reine en septembre 1791, Olympe de Gouges conteste cette injustice faite aux femmes, dont elle observe qu’elle est en outre préjudiciable à la nation, puisqu’elle limite ou corrompt les capacités de la moitié de ses membres. Après avoir apostrophé l’Homme qui maintient les femmes dans une citoyenneté passive : « Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? », elle soutient dans l’article premier que « La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ». En dépit de la majorité des révolutionnaires qui, à l’instar de Rousseau, bafouent le principe égalitaire en refusant de l’étendre à l’humanité tout entière, et malgré le sexisme éhonté des Talleyrand, Marat, Robespierre, Saint-Just, Roederer, Thibaudeau, Lanjuinais, Amar, Chaumette…, Olympe de Gouges s’empare du droit à la parole politique dénié à son sexe. Elle ose écrire que femme, elle n’en est pas moins un homme politique et que, d’ailleurs, pour le bien de la nation, elle est prête à faire le sacrifice de sa vie, vertu jugée virile et dont en effet elle fera preuve (comme, à la même période, Mme Rolland (1)

Il serait donc juste, et judicieux, que la France exprime officiellement sa reconnaissance à celle qui a défendu l’universalisme des droits humains avec une logique qui fit défaut à bien des hommes panthéonisés, n’oublions pas qu’elle s’engagea aussi contre l’esclavage.

Il est nécessaire qu’elle rejoigne ces « personnalités qui dessinent le visage de notre identité nationale » (c’est ainsi que sont définies sur le site du Panthéon celles qui sont hébergées dans sa crypte). Et que l’on retire du « temple de la République » les dignitaires de l’Empire que Napoléon y a placés (beaucoup parmi les « 77 personnalités honorées au Panthéon » à ce jour (2). Savez-vous qu’il y a même inhumé le banquier suisse, Jean-Frédéric Perregaux, qui a financé le coup d’État du 18 Brumaire ?

Dans le dossier de presse du Panthéon, il est précisé que la ou le panthéonisable doit avoir « permis à la France de faire rayonner ses valeurs (3) » celles de liberté, égalité et fraternité (qu’il serait temps de remplacer par les termes non genrés de solidarité ou d’adelphité). Or Olympe de Gouges symbolise précisément ces valeurs aujourd’hui : beaucoup des signataires de notre pétition appartiennent à la francophonie, et certain·es viennent d’universités anglophones.

Enfin, si toute entrée de femme au Panthéon fournit des modèles à opposer au sexisme (prégnant, voire même croissant, selon le Rapport annuel 2023 du Haut Conseil à l’égalité en la matière), celle d’Olympe de Gouges remplirait doublement cette mission : Olympe de Gouges ne s’est pas contentée d’affirmer haut et fort que les femmes étaient capables d’exercer tous les métiers et de remplir toutes les responsabilités, elle s’est mise à écrire et à « politiquer », à rebours du destin auquel semblaient la vouer son sexe et son origine sociale.

Quel a été le rôle d’Olympe de Gouges dans notre histoire à toutes et tous?

Sylvia Duverger : Elle a magistralement dénoncé les contradictions de la législation républicaine, l’inconséquence mortifère de certains révolutionnaires, qui, comme elle le souligne dans le postambule de sa Déclaration, « devenus libres, sont devenus injustes avec leur compagne », et dont certains,  Robespierre, Marat…–ont en outre prétendu justifier des massacres, des arrestations et des exécutions au nom de l’égalité et de la liberté.

Olympe de Gouges est un modèle de résistance à l’oppression, un modèle d’émancipation. Quand on la lit, on ne peut qu’admirer son audace, son refus de rester à la place subalterne à laquelle les femmes étaient assignées (et le sont encore trop souvent) ; sa liberté, son aptitude à penser par elle-même, sa ténacité doivent être saluées. On lui ferme la porte ? Elle passe par la fenêtre ! Parce qu’elle a des choses à dire sur la constitution et le gouvernement de la « chose publique » et veut que « ses réflexions utiles » soient prises en compte. Cécile Berly a bien raison d’observer que « quand on la lit, on a l’impression que rien ni personne ne pourra la faire taire (4)»

Elle s’autorise d’elle-même. C’est une bâtarde ; en un sens, elle n’a pas de père, puisque celui qu’elle reconnaît comme tel, l’écrivain, marquis, dévot et académicien, Lefranc de Pompignan, manque (heureusement) à l’appel. Alors que fait-elle ? Elle se garde du remariage comme de la peste (c’est « le tombeau de la confiance et de l’amour », écrira-t-elle plus tard, et pour les femmes, assurément, celui de la liberté). Puis elle s’empare des possibilités de l’écrit, se forge le nom qui lui sied et l’identité qui lui agrée. Elle devient une « femme essentielle », qui pense, crée et donne à sa vie un sens. Elle n’a reçu qu’une instruction sommaire ? Elle monte à Paris, elle fréquente les cercles lettrés, elle lit. Et la voici qui bientôt écrit des pièces de théâtre qui est alors le lieu par excellence de diffusion des idées et le plus coté des genres littéraires… Nous avons toutes et tous à gagner à la lire !

Encore au XXIe siècle dans une France supposée humaniste et éclairée, comment expliquez-vous que certains groupuscules continuent de minimiser le rôle des femmes dans notre histoire et freinent l’égalité à tous les niveaux ? Est-ce une question de génération, d’éducation ?

Sylvia Duverger : Il faut des livres entiers pour répondre à cette question ! On trouvera des réponses, par exemple, dans Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui, dirigé par Christine Bard, Mélissa Biais et Francis Dupuis-Déri ou dans Le Temps des féminismes, que Michelle Perrot vient de publier en collaboration avec Eduardo Castillo.

Le Rapport sur le sexisme que vient de rendre le Haut Conseil à l’égalité, auquel j’ai fait allusion plus haut, invalide l’espoir d’une régression du sexisme : 40 % des hommes, tous âges confondus, trouvent normal qu’une femme s’arrête de travailler pour s’occuper de ses enfants ! Les violences conjugales s’aggravent, les féminicides augmentent…

Souvenons-nous de l’observation de Virginia Woolf dans Une chambre (ou un lieu) à soi : « Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l’homme deux fois plus grande que nature »… Les représentations de la différence des sexes qui s’exprimèrent avec force au moment de la Révolution (aux hommes la sphère publique, aux femmes l’espace domestique) (5), cette pernicieuse complémentarité qu’assènent les monothéismes (dans une moindre mesure les protestantisme et judaïsme libéraux) et que vantent « la manif pour tous », « la marche pour la vie » (dernière manifestation en date le 22 janvier, composée de catholiques traditionnalistes et de partisans de l’extrême droite) ou Eugénie Bastié et ses émules, prétendent mettre ou rendre chaque sexe à « sa » place et au nom de la nature, assurent l’hétéronormativité et la domination masculine (grâce à l’inculcation de stéréotypes et l’absence ou la limitation des droits sexuels et reproductifs…). Quelle aubaine pour ceux qui craignent la rivalité avec des égales, qui ne supportent pas l’amplitude des possibles que libère la critique des assignations genrées.

Est-ce une question de génération et d’éducation ? Sans doute la génération des Zemmour, Finkielkraut, Brukner… est-elle plus encline à vouloir conserver des privilèges auxquels elle est habituée. Mais l’on a pu voir, par exemple au moment de la dénonciation de la ligue du LOL que des hommes plus jeunes tentaient de maintenir ces privilèges en chassant de ce qu’ils estimaient être leurs terres les intruses, des femmes aussi (voire plus) compétentes qu’eux, en multipliant les attaques sexistes à leur encontre.

Aujourd’hui, cinq ans après le début de #MeToo (qui se poursuit), l’on observe que toute dénonciation de violences commises par des hommes en vue conduit à des réactions antiféministes et qu’il faut que les accusatrices fassent nombre pour être entendues. Il arrive même que des femmes volent au secours des accusés quand des brèches sont ouvertes dans leur impunité. Dernier épisode en date : la défense de la présomption d’innocence de Sofiane Bennacer menée dans les colonnes du Point par une psychanalyste qui semble considérer que s’opposer à la liberté d’expression des plaignantes c’est faire preuve d’indépendance d’esprit et d’une perspicacité sans égale. Car cette défense du mis en cause omet de prendre en considération le droit des trois accusatrices à prendre la parole dans la presse et celui des journalistes à publier les résultats de leur enquête ; elle oublie aussi qu’elles ont d’autant plus droit à une présomption de véracité que les fausses accusations de viols sont rarissimes tandis que l’impunité en matière de violence sexuelle demeure la règle. Les réactions anti#MeToo s’inscrivent dans la continuité des hostilités lancées dans les années 2000 contre les féministes qui mettaient en évidence l’ampleur des viols et agressions sexuelles : toute avancée du droit des femmes à disposer de leur corps – qu’il s’agisse du droit de choisir de ne pas avoir d’enfants ou de celui de refuser une interaction sexuelle – donne lieu à des tentatives de backlash.

Le Haut Conseil à l’égalité préconise notamment que soit donnée à l’école une éducation sexuelle et affective axée sur l’égalité, à l’opposé de la pornographie violente dont il s’agit de contenir la diffusion. Il recommande aussi que les manuels scolaires visibilisent les contributions des femmes. Mais il tire l’alarme : la « sphère antiféministe et masculiniste » est active et « l’année 2022 est marquée par la réémergence d’un mouvement réactionnaire à l’égard des femmes », en Iran, en Afghanistan, mais aussi aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie, en Italie.

L’arrogance masculine, que l’autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne a d’emblée épinglée (« Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? ») ne relâche pas ses prétentions. Il serait donc particulièrement bienvenu de la célébrer aux yeux du monde entier !

Quelle autre femme aimeriez-vous voir au Panthéon aux côtés de Joséphine Baker, Simone Veil, Marie Curie, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Sophie Berthelot ?

Après Olympe de Gouges, Gisèle Halimi, incontestablement. Parce qu’elle aussi, comme Olympe, est une transfuge de classe et qu’elle témoigna d’une audace et d’un courage hors pair pour défendre les droits humains, son engagement politique a failli lui coûter la vie. Gisèle Halimi est l’une de celles qui ont joué un rôle crucial dans l’obtention du droit d’avorter et la reconnaissance du viol comme crime. Ses plaidoiries, admirablement pensées et écrites, devraient faire partie des textes étudiés au lycée. Ses livres insufflent le refus de l’injustice et de l’inhumanité. Gisèle Halimi était une très grande femme ; nous sommes extrêmement nombreuses à trouver honteux qu’elle n’ait pas été panthéonisée aussi vite que son amie Simone Veil et qu’il ne lui ait pas même été rendu hommage !

Ensuite, n’oublions pas la mulâtresse Solitude, qui résista à la restauration de l’esclavage en Guadeloupe et fut pour cela exécutée le lendemain de son accouchement. Sa panthéonisation a été demandée en même temps que celle d’Olympe de Gouges en 2007 afin de rappeler que la lutte contre l’esclavage fut d’abord le fait des esclaves eux-mêmes et que parmi ces résistants il y avait des femmes.

Il me semble en outre absolument nécessaire que d’autres autrices rejoignent Olympe de Gouges : les philosophes Simone de Beauvoir et Simone Weil (également résistante), les écrivaines Georges Sand et Colette ; j’aimerais beaucoup y voir entrer aussi Madeleine Pelletier, l’une des premières psychiatres, ­­­­­qui fut emprisonnée pour avoir pratiqué des avortements et mourut d’avoir sauvé des vies de femmes, puis Jeanne Deroin, Flora Tristan, Louise Michel, Hubertine Auclert… et sur le parvis du Panthéon, des nanas de Nikki de Saint-Phalle !

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

La pétition Pour la signer, il suffit d’envoyer un mail à sylvia.duverger@orange.fr en mettant en objet Olympe de Gouges.

1 Voir Guillotinées de l’historienne Cécile Bergy, Passés composés, parution le 1er février 2023.

2 Cette liste ne figure pas sur le site du Panthéon, on l’obtient en demandant le dossier de presse du constitué pour le monument.

3 Dossier de presse susmentionné.

4 C. Berly, Guillotinées, op. cit., p. 95.

5 Un seul exemple suffira, celui de l’intervention le 22 mars 1790 de Roederer, député du tiers état : «(…) il faut laisser aux travaux des champs, aux fonctions sociales, au métier glorieux des armes, des hommes robustes appelés à jouir de la liberté la plus entière. Les femmes, au contraire, sont des infirmières que la nature a données aux enfants et aux malades » et aux hommes, aurait-il dû ajouter (intervention citée par Christine Fauré, « Des droits de l’homme aux droits des femmes : une conversion intellectuelle difficile », in Nouvelle encyclopédie politique et historique des femmes, sous la direction de C. Fauré, Les Belles lettres, 2010, p. 251.

 

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