Articles récents \ Matrimoine Bénédicte Flye Sainte Marie : « Camille Urso voulait ouvrir la voie aux musiciennes qui lui succèderaient. »

Je suis née au son du violon retrace le parcours de la première violoniste féministe, Camille Urso. La jeune nantaise surdouée à dépassé les barrières qui étaient érigées pour les femmes dans le milieu du violon au 19e siècle. Dans cet univers considéré alors comme viril, la jeune artiste est devenue une icône aux Etats-Unis et a parcouru le monde entier pour donner des concerts couronnés de succès. Tout au long de sa carrière, elle s’est battue pour que les musiciennes puissent être embauchées dans des orchestres. Malgré son succès et ses combats, Camille Urso a été effacée de l’histoire. La journaliste Bénédicte Flye Sainte Marie nous raconte l’incroyable parcours de cette musicienne prodige, si longtemps invisibilisée dans ce livre afin de lui rendre gloire. 

Pourquoi avez-vous choisi de raconter la vie de Camille Urso ?

C’est le fruit d’une lecture que j’ai faite. Dans Gabriël d’Anne et Claire Berest, Camille Urso est mentionnée en quelques lignes. Comme je ne la connaissais pas, je suis allée fureter… Et j’ai découvert une trajectoire absolument extraordinaire et exemplaire. A mesure de mes découvertes et recherches j’ai pris conscience de la vie hors norme de cette musicienne.

Comment avez-vous eu accès à tous ces détails concernant la vie de Camille Urso ?

Ce qui est merveilleux aujourd’hui, et que nous n’avions pas à notre disposition ne serait-ce qu’il y a cinq ans, c’est que toutes les archives sont numérisées. C’est-à-dire que la presse de tous les Etats des Etats-Unis est accessible de 1770 à aujourd’hui. Cela représente un incroyable vivier d’informations. C’est la même chose pour l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada… Pour moi c’était un émerveillement de trouver des textes aussi anciens. J’ai même trouvé, ce qui était très émouvant, des archives de Loire-Atlantique qui parlent de ses parents, avant même le début de sa carrière. J’ai fait un puzzle. Il fallait que je rassemble toutes les pièces, même si, évidemment, il y a certains détails notamment concernant sa vie privée qui resteront dans l’ombre. Mais je ne voulais pas la faire mentir, en lui prêtant des sentiments ou des événements qu’elle n’avait pas éprouvés ou vécus.

Et vous concernant, quel est votre rapport au violon ? 

Je n’y suis pas venue par le biais de la musique mais par le biais du féminisme parce que c’est tout un ensemble de thématiques qui m’interpellent et qui m’intéressent et qui m’ont permis de comprendre beaucoup de choses sur la société en général, sur mon parcours et mes ressentis.

Qu’est-ce qui explique la grande détermination de Camille Urso et le fait qu’elle devienne la première musicienne féministe ?

Je pense qu’elle avait la certitude d’être faite pour cet instrument, elle a eu une sorte de révélation qui lui a donné cette motivation de faire mentir toutes les conventions de l’époque. Je pense aussi qu’elle a puisé en elle cette énergie surtout pour les autres. Elle avait compris le poids que sa carrière et ses conquêtes pouvaient avoir pour celles qui deviendraient musiciennes par la suite. Il fallait qu’elle soit un exemple et que l’exposition médiatique dont elle bénéficiait, la parole qu’on lui accordait serve. Camille Urso voulait ouvrir la voie aux musiciennes qui lui succèderaient.

Avez-vous retrouvé des articles dans lesquels Camille Urso est dépeinte comme féministe ou militante ? 

Non. Même si évidemment le féminisme existait déjà, en tant que mouvement et en tant que combat, elle n’était pas dépeinte de cette manière là. C’est à posteriori quand on analyse son parcours qu’ on peut se dire qu’elle a eu une action militante et engagée.

Pourquoi l’histoire de Camille Urso est-elle tombée dans l’oubli ? 

Cet oubli s’inscrit dans un phénomène global. On le voit beaucoup en ce moment au travers des trajectoires de femmes peintres, scientifiques, musiciennes et autres, qui malgré toutes les entraves ont réussi à s’imposer et à s’introduire dans des domaines qui leur ont été barrés. Mais à posteriori, les personnes qui ont raconté leurs histoires sont des hommes. Et ces artisans de l’histoire ont toujours privilégié les réalisations des hommes. On appelle ça la mentrification. Les femmes ont été bridées de leur vivant et soigneusement gommées par la suite. C’est un double mouvement et je pense qu’en écrivant leurs histoires, il y a une vraie démarche à mener pour leur rendre justice, leur rendre la lumière dont elles ont été privées.

Dans le livre, vous expliquez que l’accès des femmes françaises au domaine musical est un parcours de la combattante au 19e siècle. Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Je crois que la pratique du violon est assez paritaire aujourd’hui. Mais il y a toujours davantage de solistes hommes. Les inégalités femmes/hommes dans la musique classique sont plus flagrantes quand on prend tous les instruments dans leur globalité. D’après les chiffres de l’association française des orchestres, sur les effectifs il y a 38% de femmes et 62% d’hommes, donc on est loin d’atteindre la parité. Concernant les chef·fes d’orchestre, 8% sont des femmes à l’échelle mondiale. Il y a la parité dans les écoles et plus on avance dans la carrière et moins les femmes trouvent leur place. On n’est plus au 19e siècle, mais il y a quand même des choses auxquelles se confrontent toujours les femmes musiciennes et les femmes en général évidemment.

Que voulez-vous faire passer comme messages avec votre livre ?

Ce que je veux faire passer comme messages c’est que le combat pour la parité, c’est pas une bataille d’arrière garde. Parce que le féminisme a enfin droit de cité et qu’il bénéficie d’espaces médiatiques, on a l’impression que tout est gagné, mais non. Quand on regarde les chiffres dans n’importe quelle profession, on réalise que non. Les conquêtes ne sont pas faites, elles sont à faire. J’aimerais également qu’on arrête de caricaturer ce qu’est le féminisme et son action. Le féminisme, ça ne se limite pas à la parole médiatique, c’est beaucoup d’actions sur le terrain pour éduquer les enfants, ce sont des associations de femmes cheffes d’entreprise, c’est Ghada Hatem-Gantzer qui a ouvert la maison des femmes de Saint-Denis et récemment la maison des femmes de Marseille…. C’est une volonté de changer la société en profondeur par des actions concrètes.

Propos recueillis par Camille Goasduff 50-50magazine

Bénédicte Flye Sainte Marie Je suis née au son du violon Infimes Ed. 2023

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