Articles récents \ France \ Société Bernadette Rwegera : « Ikambere … continue à accueillir, consoler, relever ces femmes qui arrivent fracassées dans ses locaux de Saint-Denis »

Ikambere est une association fondée en 1997 par Bernadette Rwegera. Créée au cœur des «années sida» et installée à Saint-Denis, Ikambere accueille et accompagne les femmes touchées par cette maladie, qui en Île-de-France sont pour la plupart africaines. Ces femmes cumulent la double peine de l’exil et de la maladie. Loin de leurs repères, de leur famille et de leurs réseaux, elles vivent dans des conditions précaires. C’est généralement une fois en France, à l’occasion d’une grossesse ou d’un bilan de santé ou parce que leur enfant est malade, qu’elles découvrent qu’elles ont le virus du sida. Dans les années 1990, cela équivaut à une annonce de mort. C’est pour faire face à cette déflagration que ces femmes se rassemblent autour de Bernadette Rwegera. Sa volonté est d’accueillir les femmes vivant avec le VIH, de leur offrir un lieu convivial et chaleureux où elles puissent se reposer, prendre leurs médicaments, rire, pleurer, et tout simplement partager une parole, une expérience.

Vingt-deux ans plus tard, des progrès colossaux ont été faits dans le domaine médical, il existe désormais des traitements qui permettent de contrôler le virus. On ne meurt plus du sida, mais il faut apprendre à vivre avec. En revanche, s’installer en France reste un parcours de la combattante : les femmes qui arrivent sans connaître personne sont de plus en plus nombreuses car elles fuient des pays où elles sont en danger, doivent trouver où dormir, chercher un travail pour se nourrir. Quand elles apprennent qu’elles sont séropositives, elles le cachent car, même si cette maladie peut être aujourd’hui traitée, elle suscite toujours angoisse et rejet, en particulier dans la communauté africaine.

L’association Ikambere, qui a pris de l’ampleur, continue à accueillir, consoler, relever ces femmes qui arrivent fracassées dans ses locaux de Saint-Denis, et les aide à se redresser, mais ce sont les femmes, et elles seules, qui puisent au plus profond d’elles-mêmes la force d’avancer,

Ikambere agit au quotidien pour permettre à chaque femme qui pousse la porte de vivre dignement. Elle se bat pour permettre à une minorité, désignée comme telle en raison tout à la fois de ses origines, de son statut administratif et de sa maladie, de vivre la vie que connaît la majorité, ignorante ou indifférente de son sort. Ikambere porte pour ces femmes plusieurs petits noms : « le village», «la maison blanche», «chez la tante», ou encore «là-bas à Saint-Denis».

Prouver aux femmes que tout n’est pas perdu et qu’un avenir s’ouvre à elles, tel est le défi des professionnel·les de la maison accueillante.

Echange avec Bernadette Rwegera, fondatrice et directrice de l’association.

Comment et pourquoi Ikambere a-t-elle été créée ?

Je faisais un mémoire dans le cadre de mon master en anthropologie sociale sur les femmes et les enfants immigrées d’Afrique subsaharienne porteuses du VIH. C’est à ce moment-là que j’ai compris leurs souffrances, leurs l’isolements et leurs grandes solitudes. Je me suis dis ce serait bien que les femmes puissent se rencontrer pour être ensemble, faire une famille, pour avancer ensemble. J’ai donc créé Ikambere. Pour moi, c’était un lieu où les femmes vont se rencontrer pour rompre l’isolement, à la base je pensais juste à l’isolement et très rapidement, quand les femmes ont commencé à venir, il y eu d’autres problèmes qui nécessitaient des solutions. L’isolement était une chose, mais il y avait des besoins physiques à savoir manger, se mettre à l’abri ou autre qui étaient capitaux.  Donc, tout de suite, je me suis improvisée assistante sociale.

Je pense que c’est bien car, quand on est jeune on pense qu’on peut sauver le monde. Alors voilà je me suis improvisée assistante sociale, dès qu’une femme venait, je me mettais à appeler pour elle.

J’ai créé l’association j’ai demandé des locaux à la mairie de Saint-Denis, qui m’a donné un petit appartement à la cité des cosmonautes, avec quatre pièces et c’était parti. L’association s’est développée petit à petit en fonction des besoins des femmes, on mettait en place une activité, un projet, petit à petit et aujourd’hui nous avons beaucoup de projets.

Quels sont vos projets en cours ?

Nous avons le projet mère enfant, nous avons un atelier des femmes âgées, nous avons un projet de permanence hospitalière, nous avons des médiatrices qui vont dans les hôpitaux pour accompagner les malades qui viennent en consultation ou qui sont hospitalisées. Nous avons un projet de prévention, de formation, nous avons des appartements passerelles, nous avons cinq appartements en ville où il y a deux trois pièces, c’est-à-dire que chaque femme a sa chambre. Nous avons aussi l’éducation thérapeutique, l’insertion professionnelle.

Tous nos projets sont là pour répondre aux besoins des femmes. Ce sont les femmes qui nous ont inspiré tous ces projets. Maintenant elles apprennent à se servir d’ordinateurs, elles font de la couture, elles font du sport, des activités esthétiques, des ateliers d’alphabétisation, d’éducation à la santé. Nous organisons des sorties. Ce sont des choses qui se sont peaufinées petit à petit en fonction des besoins des femmes.

Nous faisons des actions de prévention, de formation auprès des professionnel·les de santé, sur la façon d’aborder la question de santé sexuelle auprès des femmes migrantes.

Finalement votre association s’est construite pour et avec ces femmes

Oui tout à fait, par exemple pour l’atelier des personnes âgées, ce sont les femmes elles-mêmes qui l’ont créé. C’est parti d’une rencontre, une discussion sur les hommes et les relations amoureuses et sexuelles. L’une d’entre elle disait que ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas eu de mecs et les jeunes ont rigolé, elles se sont moquées d’elle en disant : « ce n’est plus de ton âge ». Alors les seniores ont décidé de se mettre à parler en groupe de leur sexualité, des problèmes spécifiques comme la ménopause. C’est un groupe où elles peuvent parler de ce qui les touche sans avoir de retenue ou de honte devant les plus jeunes. Ce groupe s’appelle les « femmes roseaux » et elles peuvent parler ensemble de ce que c’est de vieillir en France, de la façon dont la sexualité évolue avec la ménopause ou autre.

Concrètement, quand une femme vient pour la première fois, que se passe-t-il ?

Quand une femme arrive, elle est reçue par l’assistante sociale, et elle va alors évaluer ses besoins, sa demande, et en fonction de ses réponses, nous allons pouvoir répondre à sa demande. Tout dépend d’elles finalement. Si elles veulent rester elles restent elles viennent comme elles veulent, il n’y a pas d’obligations. L’accueil ici est inconditionnel.

Aujourd’hui, nous accueillons en moyenne une trentaine de femmes chaque jour. Un jeudi sur deux, quand on fait les colis alimentaires, on peut facilement accueillir jusqu’à 100 femmes.

Qui sont les membres de votre équipe ?

Nous sommes 30 personnes au total. Nous avons des assistantes sociales, des médiatrices de santé qui accompagnent les femmes, des comptables, des chef·fes de projets, une animatrice, des animateurs d’ateliers, un prof de sport, une diététicienne, des cuisinières, et un homme à tout faire.

Et vous que faites vous ?

Ça c’est une bonne question. Je fais couteau suisse. Je ne peux pas vous raconter une journée type puisque les journées ne se ressemblent pas. Je peux aller à des rendez-vous à l’extérieur, je peux répondre à des appels à projet, je peux accueillir mes collègues, échanger avec elles sur des appels à projet. Parfois fois je vais à Ivry dans le 94 où nous avons un site de maladies chroniques. Parfois  je vais dans le 95 dans la maison de vacances et d’autres fois je travaille ici sur des projets avec mes collègues. Pour moi, les journées ne se ressemblent pas.

Comment se passe une journée ici au quotidien ?

Nous sommes ouvert de 9 h à 18 h, tous les midis il y a un repas pour tout le monde et chaque après-midi, il y a une activité. Tous les mercredis et vendredis après-midi, c’est le sport, après le sport du vendredi, il y a l’activité mère-enfant par exemple. Toutes les semaines ça se répète. D’une façon générale, quotidiennement les femmes se soutiennent entre elles, avec l’animatrice. Ce qui est le plus important, se sont les moments d’échange, d’expériences. C’est un soutien moral et psychologique, de voir qu’on peut s’en sortir.

Aujourd’hui, vous avez plusieurs centres ?

Oui tout à fait, on a deux centres et l’autre site c’est notre maison de vacances. C’est la maison où nous accueillons les femmes une semaine dans le 95. Elles y vont du mardi au samedi, elles y restent, quelqu’un fait la cuisine et elles, elles font leur vie. Elles font du sport, elles sont ensemble, elles discutent, elles profitent ensemble, elles échangent des expériences, et surtout elles font des marches dans la nature. Ce sont des moments de bien-être.

Le centre d’Ivry est similaire à Saint-Denis, sauf qu’il accueil des femmes qui ont des maladies chroniques. C’est-à-dire qu’ici à Saint-Denis notre centre est spécialisé pour les femmes vivant avec le VIH, et à Ivry il est ouvert aux femmes souffrant d’obésité, d’hypertension et de diabète. Il est ouvert depuis le 1er février 2022.

Votre association a vue le jour il y 25 ans. Avez-vous remarqué des évolutions sur la vision que les gens ont du VIH? 

Moi je pense que oui beaucoup de choses ont changé. Aujourd’hui  il existe beaucoup de traitements, les malades vont bien, vivent plus, elles font des projets. Elles sont toujours rejetées, juste par un manque d’information, rejetées par l’entourage, par les gens qui découvrent leur maladie. En fait, dès que les gens savent, ils ont peur d’attraper la maladie, et rejettent les malades encore aujourd’hui. C’est pour ça qu’on fait de la prévention. C’est encore un frein pour l’emploi. Parfois, quand l’employeur le découvre, les malades sont renvoyé·es.

Finalement, quel est le but principal d’Ikambere, la maison accueillante ?

Le but c’est le soutien et l’autonomie. Par exemple, nous aidons ces femmes dans leur recherche d’emploi, nous les aidons à retrouver confiance en elles, à retrouver l’estime d’elles-mêmes et ainsi elles peuvent plus facilement chercher du travail. Il faut d’abord qu’elles se sentent bien elles-mêmes. Nous aidons à la recherche de logement, à l’obtention des papiers, puisqu’avoir une situation régulière est nécessaire pour trouver du travail. Tout ça permet d’avoir plus de stabilité.

Vous avez des projets pour 2023 ?

Nous avons toujours des projets ! Nous allons faire deux travaux scientifiques, nous allons faire un travail de recherche sur les représentations de diabète chez les femmes migrantes, nous allons faire ici l’état des lieux sur les logements, les hébergements des femmes que nous accueillons, des femmes qui sont dans la rue. Nous allons aussi faire une recherche sur les femmes qui sont victimes de violences conjugales ou de violences tout court.

Nous allons faire une étude d’impact, nous avons une chercheuse de la santé qui mesure l’impact de notre action auprès des femmes, donc nous avons démarré avec elle. Elle fait des entretiens tous les trois et six mois puis au bout d’un an pour voir ce qui a changé.

Nous avons créé un outil, ce sont des cartes que nous appelons « réponse pour elles ». Nous avons sorti trois petits films sur ces cartes, Savoir c’est pouvoir, et maintenant, nous allons faire « réponse pour lui ». Nous allons essayer de faire des petits films sur la santé sexuelle des hommes. Ces trois films, sont à destination des femmes, de tout le monde afin d’éduquer, et cette année nous allons essayer d’en faire trois de plus sur l’éducation des hommes.

Nous allons aussi fait des petits films sur la nutrition et la santé, comment éviter de mal manger, éviter trop de gras, comment changer les habitudes alimentaires. Ainsi avec le sport et une alimentation adaptée, les femmes perdent du poids.

Nous allons faire un travail avec un stagiaire qui fait un master en économie sociale et solidaire, sur l’état des lieux des hébergements des femmes que nous accompagnons, de même que sur les violences qui sont faites aux femmes.

À long termes, quels sont vos objectifs ?

Notre objectif est que les femmes qui viennent nous voir déjà soient autonomes, c’est le grand projet. C’est mettre en place un lieu où nous pourrions héberger les femmes qui attendent le 115 (numéro national dont la gestion est départementalisée) car les hôtels coutent cher. Les week-ends par exemple, nous ne pouvons pas rentrer en nous disant que ces femmes dorment dans la rue sans savoir où elles sont, donc en attendant le 115, on paye quelques nuitées d’hôtel.

Nous essayons de faire des choses simples à notre niveau avec notre réseau d’associations.

Aujourd’hui, les gens ne s’informent pas beaucoup, et c’est pour ça que les gens qui vivent avec le VIH sont toujours rejetées. Les gens n’ont pas de formations, non le VIH ne s’attrape pas en mangeant sur une même table, même en dormant dans le même lit. Les modes de contaminations sont bien connus mais les gens rejettent les malades et les mettent dans des conditions ou les malades peuvent avoir un mal-être, vivre caché, ce qui est un gros problème. Alors il faut s’informer pour se comporter en fonction. Et pour finir, le VIH ce n’est pas la maladie de l’autre, tout le monde peut l’attraper alors il faut réduire les risques, et se faire dépister.

Propos recueillis par Emma Pappo 50-50 magazine

print