Articles récents \ Culture \ Livres Monique Dental : « Mai 68 a été la brèche par laquelle le mouvement féministe a ressurgi, contestataire, joyeux, mais aussi constructif » 2/2

Monique Dental est issue d’une famille ouvrière et très engagée. Elle commence à travailler à 15 ans. Militante féministe depuis son plus jeune âge, elle est présidente et fondatrice du Réseau Féministe « Ruptures ». Cette association se donne pour objectif de substituer à la société patriarcale une société fondée sur une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les domaines économique, social, politique et culturel. Monique Dental est co-autrice du livre De Mai 68 au Mouvement de Libération des Femmes (MLF).

Le livre que vous avez co-dirigé avec Marie-Josée Salmon « De Mai 68 au MLF » reprend les actes de trois tables rondes que vous avez organisées avec le Réseau Féministe « Ruptures » en mai 2008. Pourquoi ont-elles eu lieu au Conseil Régional d’Ile de France ?

Elles se sont déroulées au Conseil Régional d’Ile-de-France les 17-21 et 25 mai 2008. J’avais été candidate féministe aux élections régionales d’Ile-de-France en 2006 sur une liste alternative composée de militant·es des mouvements sociaux et des militant·es de partis politique de gauche, dirigée par Claire Villiers et Marie-Georges Buffet.

Claire Villiers, une fois élue vice-présidente à la démocratie m’avait demandé de travailler dans son équipe, puis le Président de la Région m’a confié une mission sur la place des femmes dans la Région Ile-de-France dont le rapport est consultable sur le site de la Région. Connaissant mon projet de colloque, elle m’a immédiatement proposé qu’il se tienne au Conseil Régional Ile de France. Claire Villiers a d’ailleurs ouvert la première table ronde le 17 mai, Francine Bavay et Michèle Loup le 21, Michèle Sabban le 25.

Quelles sont les raisons de sa parution 14 ans après ?

Nous avons connu bien des aléas pour convaincre les maisons d’édition que nous avions contactées les années qui suivirent. A notre grande surprise d’ailleurs. Les raisons étaient simples : nous n’entrions pas dans les critères de publication à la mode à cette époque et au mieux on nous proposait de réécrire toutes les contributions au nom d’une personne parce que « « les ouvrages collectifs n’intéressaient plus personne » ; pour nous, il n’en était pas question, cela revenait à nier le caractère collectif de ce travail ; ou bien, nous n’entrions pas dans les critères de scientificité des maisons d’édition universitaires et du CNRS. Mais il en a été de même avec les maisons d’éditions féministes lorsque nous l’avons proposé aux Archives du féminisme d’Angers qui ont décliné tout autant.

Les années passant, de guerre lasse, nous avions pratiquement abandonné l’idée de publier ces actes en attendant des jours meilleurs. C’est lors d’une journée organisée par l’ITS (Institut Tribune Socialiste-Mémoire et archives du PSU) de présentation de publications d’éditeurs militants que j’ai rencontré Louis Weber, responsable des Editions du Croquant, une petite coopérative d’édition, qui venait de publier un livre d’une ancienne militante du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception) sur son expérience. Je l’ai entretenu de notre projet de publication, et il a accepté très rapidement.

Pourquoi avez-vous décidé d’organiser, en 2008, avec le Réseau Féministe « Ruptures » les trois tables-rondes « Le Mai des féministes »

En 2008, nous sommes quarante ans après Mai 68. Nicolas Sarkozy est alors candidat à la présidence de la République. Dans un article publié dans le journal Le Monde le 29 avril 2007, il tient des propos qui fustigent les héritie·res de Mai 68, considérant que Mai 68 est responsable de tous les maux de la société française. Son objectif, en réalité, visait à liquider les avancées obtenues depuis 1968 pour faire de la mondialisation du capitalisme néolibéral le seul horizon indépassable dans la société française.

C’est en réaction à ses propos que Patrick Sylberstein, responsable des Editions Syllepse, a contacté des militant·es qui ont vécu Mai 68 (c’était mon cas). La décision est prise de constituer un comité « Mai 68 ce n’est toujours qu’un début » et de lancer un appel le 13 janvier 2008, visant à organiser tout au long de l’année différentes initiatives : réunions-débats publics, projections de films et de documentaires, expositions. L’objectif était de se réapproprier Mai 68 au-delà des mythes et des symboles et de sa représentation, pour comprendre les réalités de la situation politique d’alors, en faisant un retour critique si nécessaire. De plus, nous voulions faire connaître les expériences qui ont marquées et marquent encore nos imaginaires, pour cerner les traces qui en demeuraient et se questionner sur l’impact de mai 68 sur nos vies. C’était pour nous une façon de comprendre les changements de la période dans laquelle nous vivions en 2008.

Le succès fut immédiat. C’est ainsi que de nombreuses initiatives ont été organisées tout au long de l’année à Paris et en régions. Pour ma part, estimant que l’émergence du féminisme des années 68 était encore méconnue, organiser une initiative dans ce domaine s’avérait incontournable. C’est ainsi que j’ai proposé au groupe d’organiser trois tables rondes intitulées « Le Mai des féministes » en mai 2008 :

  • 1968 : La prise de conscience : des féministes à l’œuvre

  • 1970-1980 : La révolution féministe et ses conquêtes

  • 2008 : 40 ans après. Quel héritage ? Quelles transmissions générationnelles ? Pour quels engagements féministes ? 

    Mai 68, c’est un creuset d’où surgira, en 1970, le Mouvement de Libération des Femmes. En mai 68, en opérant une « révolution » dans la révolution, des femmes se constituent comme sujets en partant de leur vécu. Pour ce qui me concerne, le Forum « Les femmes et la révolution » à la Sorbonne occupée en Mai 68, c’est le passage d’une sourde révolte personnelle à une prise de conscience d’une oppression collective, tout en ayant suivi des parcours très divers.

A travers des témoignages et des analyses, ce livre nous fait vivre, ou revivre, l’avènement et l’essor du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). Mai 68 a été la brèche par laquelle le mouvement féministe a ressurgi, contestataire, joyeux, mais aussi constructif. Pour autant, cette brèche ne s’est pas refermée : en irriguant la société, il a contraint les partis politiques et les syndicats à le prendre en compte. Une histoire souvent houleuse faite d’avancées et de reculs.  Il apparait clairement que le mouvement féministe n’a rien de monolithique, qu’il se caractérise par la diversité des parcours de ses militantes et par la pluralité des courants.  

Nous étions convaincues qu’on inventait tout, comme l’exprimait : « MLF années O ! ». Ce qu’on appelle les acquis du féminisme sont le résultat de luttes opiniâtres et c’est pourquoi il importait de mettre en valeur les actrices souvent oubliées ou effacées de l’histoire. Leurs témoignages sont importants et n’exclut en rien un regard distancé.

Nous pensions qu’il était important de conserver les traces, parce que la mémoire des luttes féministes est fragile ; Simone de Beauvoir elle-même écrit dans Le deuxième sexe qu’elle faisait preuve d’une méconnaissance totale des luttes féministes du 19ème siècle ; il en était de même pour les féministes des années 1970, ce qui explique l’importance du travail de Michelle Perrot avec la parution des cinq volumes de L’histoire des femmes en Occident.

Nous avons aussi souhaité marquer l’évolution du mouvement féministe : ses avancées, ses reculs, ses stagnations. Parfois on le croit mort et il ressurgit quand on ne s’y attend pas, comme aujourd’hui où il revit avec MeToo.

Comme le dit Marie-Josée Salmon : « Loin d’être un long fleuve tranquille, le mouvement féministe est tantôt un torrent bondissant, tantôt une source souterraine. On le croit mort, il revit ! La ligne d’arrivée n’est pas fixée, l’histoire continue ».

Propos recueillis par Emma Pappo 50-50 Magazine

Monique Dental et Marie-Josée Salmon, De Mai 68 au Mouvement de Libération des Femmes (MLF) Ed. du Croquant 2022.

 

 

 

 

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