Articles récents \ Monde \ Pays Arabes Sherif Adel « La condition de l’Egyptienne d’aujourd’hui est moins égalitaire qu’il y a 4000 ans »

Détenteur d’une maitrise Egyptologie et d’Histoire de l’Art, Sherif Adel, est guide conférencier et a participé à plusieurs reportages culturels pour la télévision égyptienne, française et allemande. Il livre sa vision de la femme en Egypte d’hier et d’aujourd’hui. Ainsi on n’a jamais retrouvé de papyrus rapportant des violences faites aux femmes du temps des pharaons. 

Du temps des pharaons, est-ce que la quasi égalité chez les femmes concernait toutes les classes sociales ?

L’égalité n’était pas respectée dans la classe royale et cela pour des raisons mythologiques. Le roi, dans l’au-delà, rejoignait les dieux et devenait une étoile supplémentaire dans la voûte céleste (mais pas son épouse), d’où le fait que les épouses royales étaient enterrées dans la Vallée des Reines, très loin de la Vallée des Rois. Celles-ci n’ont jamais porté le titre de « Reine », elles se contentaient d’être des « Grandes Épouses Royales ».

Dans les autres classes sociales, les femmes bénéficiaient d’une quasi égalité. Enfants, elles avaient accès aux « Maisons de la Vie » comme les garçons et choisissaient leur époux, mais le plus spectaculaire c’est qu’elles avaient le droit d’imposer des conditions à leur futur époux dans des contrats prénuptiaux. Par exemple : le droit au travail ou pas, le droit d’interdire d’épouser une autre femme. En cas de séparation, l’Egyptienne pouvait obtenir une partie voire la totalité des biens en compensation. En fait, les conditions imposées aux futurs époux variaient énormément selon la région, l’époque, la condition sociale et parfois le caractère des femmes tout simplement.

Quels métiers exerçaient-elles ?

Les femmes travaillaient dans tous les métiers qui ne nécessitaient pas de force physique excessive, jamais dans les carrières de pierres, par exemple, ou dans les mines, ou encore sur les bateaux ou les hommes ramaient. Cependant, nous les voyons sur les fresques égyptiennes travailler dans les champs aux côtés des membres de leur famille. Certaines étaient musiciennes, chanteuses, danseuses ou prêtresses.

Quelles ont été les femmes puissantes de l’Égypte ancienne ?

Dans l’Égypte ancienne pour qu’un roi devienne un roi légitime, il doit épouser sa sœur Le résultat était une dégénérescence physique et mentale et à la fin de chaque dynastie, les rois étaient diminués physiquement et mentalement. Par conséquent, les rois mouraient jeunes et les femmes de la famille royale assuraient la régence des enfants. Donc, ces femmes étaient présentes, elles gouvernaient le pays, mais sans porter le titre de pharaon. Le seul cas connu est Néfertiti parce que Akhenaton avait fait une révolution religieuse vers 1400 avant JC. Akhenaton a fait de Néfertiti une reine qui partagea le pouvoir avec son époux. C’était une époque exceptionnelle. Citons aussi Hatchepsout qui régna pendant 20 ans et ne fit jamais la guerre. Le pays fut prospère sous son règne mais son successeur fit tout pour effacer sa mémoire et surtout qu’une femme était montée sur le trône des hommes. Cette reine était représentée avec la barbe, le pagne et la coiffe des pharaons. Cette reine-pharaon a été enterrée dans la vallée des rois.

Le dernier rapport de la CEDEF classe l’Égypte au même niveau que le Yémen en termes de discrimination et violences faites aux femmes. Peut-on dire que la condition de l’Égyptienne est moins égalitaire aujourd’hui qu’il y a 4000 ans ?

La réponse est oui, la condition de l’Egyptienne d’aujourd’hui est moins égalitaire qu’il y a 4000 ans. Sous l’époque de l’occupation arabe et même encore aujourd’hui dans certaines familles, les Musulmanes ne peuvent pas choisir leur époux ou de décider de travailler. Il n’existe pas d’imam femme en Egypte alors que des prêtresses officiaient sous le règne des pharaons. Être prêtresse sous Pharaon, c’était aussi gérer l’économie du temple qui regroupait plusieurs activités. Il existait des femmes médecin, juge, enseignante, trésorière… Elles administraient des régions entières. Aujourd’hui, les femmes n’ont pas le droit d’être juge, il y a peu de femmes dans l’armée ou la police. Les élèves étudient l’Égypte ancienne en 1 ou 2 ans selon les écoles et l’histoire de l’Égypte musulmane en 4 ou 5 ans. A cause de l’extrémisme musulman salafiste, les Égyptiens d’aujourd’hui connaissant mal leur histoire et considèrent les Pharaons comme des mécréants, ennemis de l’islam qui n’ont jamais connu la grande joie d’être musulmans. L’invasion des musulmans au VIIème est enseignée dans les universités comme étant une libération et non comme une occupation. Les Arabes sont en Egypte depuis 1400 ans et pourtant la civilisation égyptienne ancienne a duré plus de 3000 ans. Également, le fait que l’Egypte soit passée d’une religion polythéiste à monothéiste, a défavorisé le statut des femmes.

    Nefertiti et Akhenaton

Avec votre regard, pourquoi les violences faites aux femmes (féminicides, viols, violences conjugales, excisions, mariages forcés) perdurent au sein de la société égyptienne ?

On peut noter une volonté sociétale ancrée dans les institutions politiques et religieuses qui a complétement formaté nos mentalités depuis des siècles. Pour comprendre la pensée arabo-musulmane moderne sur les violences, il faut lire le coran classique qui contient 14.323 versets qui se divisent en chapitres et chaque chapitre porte un nom. Le chapitre (sourate) 4 du Coran est dédié aux femmes. Dans le 34ème verset de ce chapitre, il est écrit que les hommes ont autorité sur les femmes en raison des faveurs que Dieu leur a accordées sur celles-ci. Les femmes vertueuses sont obéissantes à leur mari et pour celles qui ne le sont pas, il est conseillé de s’éloigner d’elles, de les exhorter et de les frapper. Le problème vient de la traduction car le même mot signifie à la fois frapper et quitter. L’interprétation actuelle du Coran par certains religieux, donne le droit à l’époux musulman de frapper sa femme pour la discipliner sachant que les juges en Egypte suivent cette interprétation, c’est-à-dire quand une femme se plaint devant le tribunal, le juge donne raison au mari et même au père, frère, oncle, tant que la correction physique n’a pas causé des blessures graves ou handicap, et même dans ce cas, le délit est jugé insignifiant, parce que « l’époux s’était un peu emporté pour discipliner son épouse et sauver son couple » 

Ainsi, tous les imams depuis des 100taines d’années ont interprété ce verbe par frapper et ainsi justifier la violence faite aux femmes. Quand j’étais jeune, je croyais que le fait de ne pas frapper ma femme, était une faveur que je lui faisais car c’était normal de la frapper. En étudiant l’arabe classique, je me suis rendu compte du double sens de ce verbe. On quitte sa femme si on ne s’entend pas avec elle, on ne la frappe pas. Malheureusement, 95% des Musulmans croient en l’interprétation, Frappez votre femme ! et celui qui ne la frappe pas, ne suit pas le coran.

Également, l’Etat a donné au pope orthodoxe une interprétation très conservatrice de la bible en indiquant que les femmes coptes chrétiennes doivent porter leur croix auprès de leur mari adultère ou violent. Il existe ainsi cette même culture conservatrice et anti-femme chez les Musulmans que chez les Coptes orthodoxes. Il n’existe pas de mariage civil, tout est religieux. Entre 80% et 90% des femmes musulmanes sont excisées (petites lèvres et clitoris). En Arabie Saoudite, elles ne le sont pas car le Coran n’indique pas de le faire. Sous l’Egypte pharaonique, l’excision et la circoncision se pratiquaient. Ce ne sont pas les Arabes qui ont inventé ces pratiques. Les Salafistes et les Frères musulmans ne divulguent pas la vérité sur l’origine de ces mutilations et ne font rien pour les endiguer. Cela leur permet de continuer de subordonner et d’utiliser la femme comme un objet. L’excision est avant tout un sujet religieux et politique.

A-t-on retrouvé des papyrus qui rapportent des violences au temps des pharaons ?

Non, jamais ! En revanche, on a trouvé des papyrus rapportant des conspirations orchestrées par des femmes contre les pharaons comme, par exemple Ramsès III, dans le cas d’héritage ou de jalousie entre épouses.

Que faudrait-il faire pour que les petites filles grandissent en sécurité et s’épanouissent en tant qu’être humain en Égypte ?

Le respect de la liberté d’expression est essentiel. Or, les intellectuels, les opposants et les journalistes sont mis en prison quand certaines interprétations ou règles sont critiquées ou remises en cause. L’éducation de masse est primordiale. L’enseignement est obligatoire jusqu’à 12 ans et 30% des élèves ne continuent pas. Être éduqué.e permettrait que les idées salafistes et extrémistes n’influencent pas le peuple et que nos filles et femmes vivent en paix.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

 

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