Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Zahra Agzous : « Il y a aujourd’hui un recul sur la question des violences et une forte contre attaque des masculinistes »

Zahra Agzous est chargée de mission à la Maison des femmes de Paris qui est située dans le 12 ème arrondissement de Paris. Sa principale activité est l’accueil des femmes et des filles qui ont vécu toutes sortes de violences. Comme pour nombre d’associations féministes, le manque de financement de la Maison des femmes empêche ses salariées et ses bénévoles d’aller au bout de leur projet.

Témoignage recueilli par Caroline Flepp 50-50 Magazine

Début avril, nous avons fait le bilan des activités de notre association qu’il faut publier pour les financeurs. Nous, nous sommes une petite association avec un petit budget, mais avec un bilan assez conséquent.

L’action contre les violences masculines à l’encontre des femmes et des mineures est l’action la plus importante à la Maison des femmes de Paris. Les femmes s’y rendent essentiellement parce qu’elles ont été victimes de violences. Pour nous, elles sont toutes les bienvenues, qu’elles veuillent se reposer ou pour une autre demande, il n’y a pas de soucis. Si elles veulent parler, elles parlent, sinon elles reviennent quand elles se sentent prêtes. A la Maison des femme il y a d’autres actions telles que l’insertion, l’accueil.

Moi je suis chargée de mission, je travaille le mardi et le mercredi à la Maison des femmes pour l’action contre les violences, mais je suis mobilisée toute la semaine puisqu’il y a des suivis à faire. Nous sommes une petite association, nous ne sommes pas en temps plein, moi je travaille 14 h par semaine, nous sommes une dizaine dans l’équipe mais toutes en temps partiel.

Comment les femmes nous trouvent ? Tout d’abord sur internet, le mot clef qu’elles posent c’est groupe de parole, effectivement nous en faisons. Depuis le confinement ça a explosé car avant, les thérapeutes refusaient que leurs patientes soient dans des groupes de parole, et maintenant, il y a un revirement, je l’ai constaté. Nous ce que nous disons aux femmes est qu’il leur faut une thérapie individuelle car nous ne sommes pas thérapeutes.

Nous travaillons également les questions collectives, par exemple le fait que nous sommes des femmes, nous parlons des stratégies des agresseurs, de l’emprise, chose que les médecins ne font pas, car ils ne sont pas formés. Nous travaillons en réseaux féministes, avec la famille, les amies, également avec les missions locales pour l’autonomie et l’insertion professionnelle des jeunes et aussi avec les assistantes de police.

Nous recevons les femmes toute l’année sauf au mois d’août. En 2022, nous avons reçu 206 femmes nouvelles, sur 241 rendez vous pris. Pour mieux accueillir les femmes nous leur donnons des rendez-vous, mais nous pouvons les accueillir sans rendez-vous. Nous avons 206 femmes juste sur l’action accueil contre les violences le lundi et le mardi. Sur ces 206 femmes, 53 % viennent de Paris, 9 % viennent du 93. Nous avons des femmes qui viennent de toutes la région Ile de France, mais nous avons aussi des femmes de toute la France, par téléphone, qui fuient leur mari. 74 % des femmes sont célibataires et 26 % en couple, 51 % sont des femmes avec enfants et 49 % de femmes sans enfant. Le nombre d’enfants va de un à six.

Nous sommes un lieu pour toutes les femmes de toutes les nationalités, de 17 ans à 75 ans en ce moment, par exemple. Nous avons reçu aussi des femmes ukrainiennes qui recherchaient un espace pour femmes, qui voulaient connaître les réseaux pour femmes qui puissent les aider à s’intégrer, pas toujours pour des histoires de violences bien qu’il y en ait en effet.

Les types de violences subies, ce sont des violences physiques, des viols, des violences intra-familiales anciennes ou actuelles, ici, nous ne disons pas violences conjugales. Nous accueillons les femmes qui ont subi tous types de violences, qu’elles soient anciennes ou actuelles. Si une femme de 65 ans vient en nous expliquant qu’elle a subit un viol à l’âge de 15 ans et que c’est maintenant qu’elle veut en parler nous respectons son besoin de s’exprimer des années plus tard.

La première violence est sexuelle, suivi de la violence physique, psychologique, économique, administrative, beaucoup d’incestes notamment dans l’enfance, de tentatives de féminicide, de mariages forcés, de cyber violences, de lesbophobies. Les lieux des violences, sont en premier dans le couple, intra-familiales, au travail, à l’école, dans l’espace public, il y a aussi des violences et tortures de guerre.

Nous avons donc reçu 206 nouvelles femmes. Pour les nouvelles, 70 % sont passées d’une fois à huit fois. Il y en a qui ne reviennent pas pour diverses raisons. Cette année, nous avons reçu six femmes que nous avons mises en sécurité, c’est-à-dire que le danger était imminent. Nous avons eu trois mises en sécurité du côté des femmes de Sarcelles et aussi sur Marseille.

Ici nous faisons de l’écoute, de l’information et de la formation sur les droits, et de l’orientation. Il y a beaucoup d’ateliers, de permanences d’accès aux droits. La première orientation va être faite sur les groupes de parole, ensuite sur l’écoute confidentielle, généralement avec des femmes encore sous emprise, donc avec des psychologues. Nous ne sommes pas un centre médical, il n’y a pas de thérapies. Beaucoup de femmes, n’arrivent pas à partir de chez elles, nous les orientons vers des associations féministes. Bien sûr, nous leur conseillons aussi d’appeler le 39 19 pour l’écoute. Nous faisons beaucoup d’orientations vers la santé comme Agir pour la Santé des Femmes, vers des avocates également, des psychologues, la CAF de Paris…

Quand nous faisons un entretien ce qui ressort ce sont les violences, la situation sociale, économique, et nous travaillons sur tout afin de mieux les orienter.

Nos groupes de parole sont très importants. Nous avons un groupe contre les violences sexuelles. Nous avons repris le groupe de mère à femme, c’est un groupe de parole pour les femmes qui subissent des violences et qui ont des enfants. Il y a également les ateliers Art thérapie, et nous continuons avec l’écoute confidentielle. En 2022, la psychologue a reçu 48 femmes.

Je parle du bilan car nous avons beaucoup de militantes bénévoles qui donnent beaucoup de leur temps, et nous ne voyons pas les choses avancer. Les femmes reviennent et continuent à venir car les violences existent toujours et partout. Je ne revendique pas des milliards, il faut l’argent qu’il faut et moi je propose le budget de l’armée ! Il y a aujourd’hui un recul sur la question des violences et une forte contre attaque des masculinistes.

Je le constate tous les jours, c’est une catastrophe, personne ne veut corriger les inégalités.

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