Articles récents \ Culture \ Cinéma Blandine Metayer : « les femmes développent après 50 ans un super pouvoir : elles deviennent invisibles »

Blandine Métayer, actrice et autrice, est membre de l’AFAA, Actrices & Acteurs de France Associés au sein de laquelle elle est active dans la commission AAFA-Tunnel de la Comédienne de 50 ans (initiée par Marina Tomé et Catherine Piffaretti) qui dénonce depuis plusieurs années l’invisibilité des actrices à partir de 50 ans. A l’occasion du Festival de Cannes, elle nous explique leurs actions pour dénoncer et lutter contre le phénomène et nous présente le test qui a été diffusé à la profession et à la presse pour attirer l’attention sur cette injustice encore trop ignorée.

Propos recueillis par Moïra Sauvage

Comme nous aimons à le répéter, les femmes développent après cinquante ans un super pouvoir : elles deviennent invisibles, surtout dans les fictions ! 

Lorsqu’on sait qu’aujourd’hui en France, une femme majeure sur deux a plus de cinquante ans, on se demande où elles sont représentées au cinéma ! Or, dans la société, beaucoup de femmes de cet âge -et plus – ont de fortes personnalités et tiennent une place importante. Mais on ne les voit pas représentées, or ce qui n’est pas représenté n’existe pas. Dans les films ou les séries, les femmes de cet âge n’existent que par leurs liens familiaux et non par leur fonction professionnelle ou leur engagement social. Leurs personnages n’ont souvent même pas de nom. On peut penser que ce n’est pas important, mais ce serait oublier que le cinéma, en véhiculant depuis toujours des normes et des stéréotypes, modèle notre inconscient collectif. Or celui-ci invisibilise les femmes, et c’est excessivement nocif. Une actrice doit obéir aujourd’hui à deux injonctions, être jeune et… rester jeune ! Il n’est pas rare ainsi de voir des acteurs de cinquante ans et plus avoir pour partenaires des jeunes femmes qui ont l’âge d’être leur fille.

A la constatation du problème faite par l’association, le milieu répond que d’une part le cinéma doit faire rêver, que les spectatrices préfèrent voir de jeunes et jolies femmes plutôt que des actrices plus mûres. Enfin, que c’est la même chose pour les acteurs, ce qui est faux, leur présence au-delà de cinquante ans étant de 18% des rôles, contre 7% pour les femmes. Et n’oublions pas, que dans ces 7% sont compris tous les grands noms comme Isabelle Huppert ou Catherine Deneuve… Donc si les actrices choisies sont éternellement jeunes, c’est bien à cause du « Male gaze » dénoncé par les féministes, autrement dit le regard du réalisateur masculin. La preuve : dans les films de femmes, qui bénéficient par ailleurs de beaucoup moins de financements, les chiffres s’équilibrent entre hommes et femmes de plus de 50 ans ! Lorsqu’ils disent que ça fait rêver, en fait, c’est que ça fait bander les mecs de ne voir que de jeunes actrices objets de fantasmes masculins ! Elles sont en fait objetisées et le couperet, c’est la ménopause, date à laquelle on considère qu’une femme ne sert en fait plus à rien. Ce qui est idiot, car la société évolue bien plus vite que le cinéma, encore influencé par des stéréotypes d’un autre âge. Pour lui, une femme qui vieillit, elle n’est plus désirable, infertile donc dépréciée, c’est péjoratif tandis que pour un homme, avec l’âge on parlera de sagesse, de pouvoir ou d’argent, donc c’est valorisé ! Pour résumer ce double standard du sexisme et de l’âgisme : un homme qui vieillit se bonifie, tandis qu’une femme qui vieillit n’est plus bonne qu’à jeter à la poubelle, c’est horrible à dire, mais c’est la vérité… .

Alors, pour essayer d’influencer à l’avenir la société, pour que les jeunes actrices de demain n’aient plus devant elles que de très courtes années de travail, le test inventé par les membres de l’AAFA-Tunnel de la Comédienne de 50 ans peut mettre en lumière l’injustice et contribuer à faire changer les choses…

Notre Manifeste du Tunnel des 50 avait déjà été signé par toute la profession, et lorsque nous avons récemment envoyé notre test, inspiré du fameux test de Bechdel (qui vise à mettre en évidence la sur-représentation des protagonistes masculins ou la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction), l’accueil a été enthousiaste. Nous avons demandé que chaque festivalière et chaque festivalier, pendant le festival de Cannes, répondent aux trois questions du test du Tunnel des 50, via un questionnaire en ligne. Nous analyserons les résultats et cela nous permettra d’avoir une vision qualitative des rôles proposés aux actrices de plus de 50 ans, car il ne suffit pas que des femmes soient présentes, il faut voir comment elles sont représentées, dans quels rôles, et de quelle importance.

Les trois questions du test sont : y-a-t-il au moins une femme de plus de 50 ans ayant un nom ou un prénom ? Si oui, a-t-elle au moins deux scènes parlées ? Si oui, en dehors de son éventuelle fonction familiale (épouse, mère, grand-mère…), a-t-elle un engagement social et/ou une activité professionnelle ?

Au-delà du test, l’association se félicite de l’accueil fait à leur propos par les agences de casting qui commencent à y être sensibilisées et elle travaille à obtenir du Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) un bonus incitatif pour favoriser la visibilité des femmes de plus de 50 ans au cinéma. Il nous semble avoir en quelque sorte brisé l’omerta par nos actions. Si bien qu’aujourd’hui, maintenant que la profession est sensibilisée, il faut inventer des solutions concrètes. Pour que plus jamais les femmes ne sentent, à partir de quarante ans, venir le vent du boulet ! … 

 

 

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