Articles récents \ Monde \ Europe Le patriarcat reste très sûr de lui en Croatie
Après avoir été membre de la République fédérative socialiste de Yougoslavie de 1963 à 1990, la république socialiste de Croatie devient, en 2013, le 28ème Etat membre de l’Union Européenne. Ce petit pays d’à peine 4 millions d’habitant·es, enclavé entre la Slovénie et la Bosnie-Herzégovine, fait rarement la Une des médias français. Le statut des femmes croates s’est globalement dégradé dans les années 1990 avec la guerre et l’accès au pouvoir d’un parti nationaliste et conservateur qui s’est solidement arrimé à l’Église catholique qui va alors connaître un renouveau important en tant qu’élément caractéristique de l’identité croate. Cette collusion entre les catholiques intégristes et les nationalistes va permettre la diffusion de l’influence de l’Église dans la société. La loi sur la famille de 1994 insistera sur le rôle fondamental de la fonction maternelle pour les femmes. Mais l’amélioration de la condition des femmes fut l’une des clauses de conditionnalité nécessaires à l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne. Par ailleurs une ONG est fondée en 1995 à Zagreb : le Centre pour les Études Femmes, dédié à l’éducation, la recherche et l’édition. En 2000, plus de trente groupes féministes œuvraient en Croatie, que ce soit sur la défense des droits humains pour les femmes, la santé, la résolution de conflits, le lesbianisme, l’éducation ou la recherche. Conscientes de leur position marginale, elles se sont structurées en un réseau d’organisations féministes se soutenant mutuellement et coopérant dans différents projets.
Le Fonds pour les Femmes en Méditerranée soutient plusieurs associations de femmes croates. Chaque année elles organisent des rencontres stratégiques pour faire le point sur leurs activités et sur les problèmes qu’elles rencontrent. Des membres du FFMed étaient présentes à ces rencontres en février dernier, elles marquaient des retrouvailles attendues après une interruption due au covid. Elles avaient un grand besoins de se revoir, de réévaluer tous leurs besoins et aussi d’identifier les obstacles. Lors de ces rencontres où elles étaient assez nombreuses, elles ont retrouvé leur énergie, avec beaucoup de jeunes parmi elles.
Les obstacles qu’elles rencontrent sont toujours les mêmes. Le premier est le fondamentalisme catholique, qui freine l’accès à l’avortement. En effet, si celui-ci est légal, il est quasi impossible de faire appliquer la loi et de trouver un médecin pour l’effectuer ou de se procurer les soins y afférent. Par ailleurs les Croates payent une taxe au Vatican et les enfants sont oblig.ées d’aller au catéchisme à l’école, celles/ceux qui n’y vont pas sont très très mal vu.es. La question de la laïcité en Croatie est presque « clandestine », il y a des milieux où l’on ne peut pas en parler. Le FFMed soutient l’association Center for Civile Courage dont c’est le cœur du projet. Ses membres ont connus beaucoup de difficultés dont des problèmes de sécurité !
A Zagreb, il y a ce qu’on appelle « les prieurs à genoux », des hommes qui, de partout en Croatie, viennent dans la capitale tous les premiers samedis du mois. Ils prient à haute voix pour la chasteté des femmes, pour qu’elles arrêtent d’avorter. Les féministes ont décidé d’organiser une manifestation face à ces prieurs qui étaient là à 8 heures du matin, sur une la grande place de Zagreb. Elles se sont habillées en noir et portaient des foulards qu’elles ont enlevés à un moment donné, en soulignant que l’intégrisme catholique est le même qu’en Iran, pour faire aussi un clin d’œil aux Iraniennes. Et dans cette manifestation il y a eu un moment incroyable, deux féministes ont déployé le drapeau LGBT face à ceux qui priaient. Ce fut un moment de défi très fort !
Le problème de la relève
Un second problème pour les féministes croates, rencontré aussi dans d’autres pays, est celui de la transmission des associations vieillissantes. Ces mouvements cherchent à inspirer les jeunes femmes et à trouver de nouvelles leaders.
Ce problème de relève est dû à plusieurs causes, d’une part les faibles perspectives économiques du pays font qu’une part non négligeable de sa jeunesse le quitte. Par ailleurs le manque d’intérêt du système éducatif pour les droits des femmes, associé au fondamentalisme religieux, ne les encouragent pas à y rester. Enfin les aînées n’ont pas toujours su faire une place aux plus jeunes et les accompagner. De ce fait, il se crée de nouveaux collectifs, aussi parce que les jeunes ont envie de militer différemment… Elles aspirent à une militance joyeuse et colorée alors que certaines associations plus anciennes portent encore des stigmates liés aux souffrances de la guerre, de ses viols et de ses meurtres. Dans leurs manifestations, elles expriment quelque chose d’assez noir et sombre qui est relié justement à cette période de la guerre.
Par ailleurs, les associations féministes croates auraient besoin de financements plus souples pour mener leurs actions, ensuite elles font face à un problème de centralisation, tout se passe à Zagreb, et l’application des lois peut être difficile, et enfin la question des violences faites aux femmes par les hommes reste très préoccupante. Au centre de Split une association travaille sur les violences et les femmes victimes de violences. C’est la plus grosse association de Split. Elle accompagne les femmes, organise des rencontres avec des psychologues, propose des ateliers sur le bien-être… Elles ont dû installer des caméras dans leurs locaux parce qu’elles ont reçu des menaces, il y a des hommes qui sont venus les agresser ! Le patriarcat reste très sûr de lui en Croatie, pourtant une grande manifestation a eu lieu en 2019 pour demander une meilleure protection des femmes victimes des violences des hommes. A la suite de celle-ci le Premier ministre a reconnu la nécessité de modifier la législation contre les violences faites aux femmes, ainsi que d’augmenter les fonds destinés aux victimes. Changer les mentalités prendra encore du temps car en 2019 Zagreb a aussi été le théâtre d’une manifestation de catholiques intégristes suite à l’annonce du premier ministre de la présentation au Parlement de la Convention d’Istanbul, en vue de sa ratification. Ils se sentaient « menacées dans (leur) propre pays ». Selon l’une des organisatrices, Gordana Turic : « La Convention d’Istanbul est contre le christianisme ».
Pour faire progresser la question des droits des femmes, les féministes croates se sont organisées en pôle, l’un va s’occuper de la relève, un autre va s’occuper « des équipes mobiles. » Cela va consister à faire le tour de la Croatie pour faire le point sur les besoins et les problèmes. Le FFMed va organiser une rencontre entre les Croates et un de leur contact une féministe marocaine Najet qui organise des caravanes féministes au Maroc. Elles pourront échanger sur leur expertise et se donner des conseils… Najet part avec un bus, elle va dans différents endroits où elle installe une tente sur la place publique pour recevoir les femmes.
Un autre pôle va travailler sur le multimédia et une plate-forme multimédia, car elles se rendent compte que les actions des femmes ne sont pas suffisamment relayées.
Et bien sûr elles travaillent toutes au renforcement du réseau féministe croate. Il regroupe beaucoup d’associations et il était présent à New York en mars dernier pour plaider sa cause à l’ONU.
Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine