Articles récents \ Culture \ Cinéma Johnny Depp n’aurait pas dû fouler les marches du tapis rouge de Cannes

Une incompréhension flotte face à la révolte des femmes au festival de Cannes. Pourtant, le cinéma français revêt une facilité déconcertante à acclamer les célébrités victimes de violences conjugales, et Johnny Depp en est un exemple. Le festival justifie une carrière et un combat gagné contre la cancel culture, mais montre une schizophrénie dans ses revendications. Pour rappel, Johnny Depp et Amber Heard ont tous les deux été condamnés pour propos diffamatoires, sous entendant alors que les deux célébrités ont commis et subi des violences conjugales.

Le procès s’est soldé par la confirmation qu’Amber Heard avait diffamé dans une intention malveillante Johnny Depp en se présentant dans une tribune publiée dans le Washington Post comme une victime de violences conjugales. Elle a dû verser 10 millions de dollars à Johnny Depp, quand lui s’en tire avec « seulement » 2 millions de dollars à octroyer à son ex-femme.

Toutefois, les féministes fustigent l’arrivée de Depp, du tapis rouge jusqu’à l’ovation qu’il reçoit. Osez le féminisme! appelle au boycott du festival de Cannes en l’accusant de célébrer les agresseurs et de participer à la banalisation de la violences masculines. L’opinion se demande pourquoi. Pourquoi un tel revers ? Pourquoi dénigrer Heard, voler au soutien de Depp pour finir par le vilipender lui aussi ?

Les raisons invoquées derrière le harcèlement d’Amber Heard

Si Depp revient, pourquoi Heard n’en ferait pas de même ? L’inverse est aussi possible :  si Heard est mise à pied par l’industrie, pourquoi pas Depp ? La réponse commune est qu’elle a « prétendu” être une victime de violences conjugales. La couverture du magazine The Sun a créé un tollé médiatique en montrant la jeune femme avec une ecchymose au visage. Elle se portera ensuite comme porte-étendard des femmes battues (de ses propres mots) mais la découverte de violences a discrédité sa position. Ensuite, elle serait “folle” : En effet, elle a lancé la bouteille qui avait sectionné le doigt de Johnny Depp et a déféqué sur le lit conjugal après une dispute. Enfin, elle a causé la ruine d’un homme “innocent” : Johnny Depp a été cancelled dès la publication de la tribune de Heard en 2018 dans le Washington Post alors que ce nom n’avait pas été cité. Seul son contrat avec Dior a persisté malgré l’avalanche de hashtags. Le préjudice s’estimerait pour lui à 50 millions de dollars. Ce caractère d’homme innocent a été amplifié par le capital sympathie de l’acteur : Sa carrière cinématographique , Amber Heard, était déjà considérée par les internautes comme une “briseuse de ménage” après avoir officialisé sa relation avec Johnny Depp quelques semaines après sa rupture avec Vanessa Paradis. On peut faire un parallèle ici avec Angelina Jolie qui avait reçu le même titre. Mais la vraie réponse, sournoise et insidieuse, est que dans un monde patriarcal, on ne peut pas garantir une justice sans sexisme, et surtout pas quand il s’agit de justice populaire.

Une justice sexiste

La justice populaire est plus dure envers les femmes, notamment parce que cette justice est facile à instrumentaliser : l’affaire Depp/Heard a été portée à bout de bras par des masculinistes qui n’ont pas hésité à harceler et à désinformer massivement. Oui, les hommes peuvent et sont victimes de violences conjugales, les invisibiliser seraient une erreur et ce ne sont pas ce que les féministes clament. Ils représentent, par exemple en France, 28 % des victimes de violences conjugales, soit 82 000 victimes masculines en moyenne par an sur la période 2011-2018, selon une étude de l’Insee de 2019. Amber Heard a elle-même sous-entendu qu’on ne croirait jamais son ex-mari s’il clamait être victime de violences conjugales. L’une des preuves du procès est le passage sur lequel l’on entend l’actrice lancer à Depp : « Dis-le au monde Johnny ! Dis-leur : ‘Moi Johnny, un homme, je suis victime de violences conjugales !’ Et on verra combien de personnes te croiront et seront de ton côté ». Mais n’oublions pas cependant que ce phénomène est si récurrent qu’il a fallu le nommer. Toutes les trois minutes en France, une femme est victime de violences conjugales, qu’elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques, et la tendance a augmenté de 21 % en 2022. Il ne suffit que d’un grain de sel pour faire passer la victime pour une sorcière, (terme dont on a souvent affublé Amber Heard).

Ajoutons aussi que la carrière de Johnny Depp était déjà sur la pente descendante, notamment à cause de son mauvais comportement sur les plateaux de tournage (drogues, alcool, retard…) et son contrat avec Disney n’avait pas ambition à être renouvelé avant l’affaire.

N’oublions pas que « folle » est un adjectif qu’on a beaucoup utilisé dans l’histoire pour enfermer les femmes. Johnny Depp avait utilisé son sang pour inscrire des messages insultants sur les murs, les miroirs et les abat-jour de leur maison, mais on ne l’a pas traité de fou. Tout simplement parce que c’est un mot hors de propos pour qualifier une victime puisque Heard a été instigatrice, mais aussi victime de violences conjugales. 

L’avocat de Johnny Depp, Adam Waldman, avait tenu des propos diffamatoires en qualifiant les allégations de violences sexuelles d’Amber Heard de coup monté dans le journal Daily Mail en 2020, d’où les 2 millions de dollars de dommages et intérêts qu’elle a reçu. Et surtout, en 2020 à Londres, Amber Heard avait témoigné en faveur du tabloïd The Sun, qui avait qualifié Johnny Depp de « cogneur d’épouse« . Elle avait raconté une dizaine d’agressions dont elle aurait été victime durant leur mariage et le juge chargé du dossier avait estimé que la plupart des faits rapportés lui semblaient « substantiellement vrais« . Johnny Depp avait donc perdu son procès en diffamation contre le tabloïd britannique et Amber Heard avait été reconnue comme victime de violences conjugales. Pourquoi harcèle-t-on alors une victime ?  Pourquoi tuez sa carrière dans l’œuf ? Depp reflète l’accomplissement d’un système oppressant toujours les femmes en premier. Heard a perdu le combat médiatique et le combat contre les violences conjugales a régressé. 

La responsabilité du festival de Cannes

Quand le festival de Cannes prétend applaudir Depp pour sa carrière et pour sa victoire contre la cancel culture, pourquoi pas. Néanmoins, cela se fait sous une toile de fond bien particulière : la France offre la protection aux violences sexuelles et c’est pour ça que la justification ne tient pas. Citons Roman Polanski récompensé pour son film J’accuse, exilé en France, car il est sous le coup d’un mandat d’arrêt aux États-Unis pour le viol d’une adolescente de 13 ans. Citons Gérard Depardieu, 13 femmes l’accusent d’agressions sexuelles, mais il enchaine les films et garde le rôle principal dans Umami, sortit le 17 mai. “Le cinéma français ne cesse de montrer sa solidarité et sa complaisance envers les hommes accusés de violences, dont la carrière et la réputation restent préservées », dénonce Osez le Féminisme! “Cette valorisation sociale, médiatique et professionnelle des agresseurs banalise les violences masculines, dans un mépris total des femmes et des enfants qui en sont victimes ».

Johnny Depp a gagné non seulement la bataille juridique, mais aussi la bataille médiatique. N’oublions cependant pas qu’Amber Heard a été victime de violences tout comme Depp mais que seul l’un des deux en est revenu indemne. C’est un échec, six ans après #MeToo pour les femmes. Les féministes savent que si Amber Heard a pu être humiliée alors qu’elle a été reconnue comme victime, les autres femmes victimes de violences conjugales pourront l’être aussi.

Océane Koukodila 50 50 Magazine

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