Articles récents \ Chroniques Chronique méditative d’une agitatrice : lettre ouverte à ces hommes qui ignorent la loi

A Jean-Michel Apathie, Gabriel Attal, Yann Barthès, Eric Dupond-Moretti (par ordre alphabétique des noms de famille).

Paris, le 5 septembre 2023.

Messieurs,

Le lundi 4 septembre, un drôle d’échange a eu lieu sur le plateau de l’émission Quotidien. Dans cette interaction, vous étiez presque quatre hommes. Presque, car trois étaient présents (Jean-Michel, Gabriel, Yann), et le quatrième, dont vous parliez (Eric), était absent. Vous quatre avez d’une façon ou d’une autre ignoré la loi. J’ai choisi délibérément le terme « ignorer » parce qu’il a plusieurs sens. D’après le dictionnaire, l’ignorance couvre en effet plusieurs degrés, allant de l’état d’innocence la plus pure à la mauvaise foi absolue :
– « Être dans l’état de ne pas pouvoir connaître quelque chose, quelqu’un »,
– « Ne pas connaître par défaut d’information » ou « Ne pas avoir conscience de quelque chose »,
– « Ne pas vouloir connaître, feindre de ne pas connaître » ou « Ne pas prendre en considération de façon délibérée ».

Rappel des faits : notre ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a non seulement pris position plusieurs fois en défaveur de la reconnaissance des violences sexistes et sexuelles, mais s’est illustré dans l’accumulation de propos sexistes. Elisa Covo retrace ses sorties dans Madmoizelle dans un article du 30 août dernier. Un enregistrement atteste que le 28 août, il s’est adressé ainsi à des femmes journalistes dans un point presse : « Je constate que parmi les journalistes femmes qui m’ont interrogé, personne n’était devant moi les seins nus. Il ne faisait pas assez chaud ? » Le 4 septembre sur le plateau de Quotidien, après un rappel justement indigné sur ces faits, Jean-Michel Apathie, journaliste, demande à Gabriel Attal, ministre de l’Education, de réagir au comportement du ministre de la Justice. Monsieur Ecole botte en touche. Malheureusement, à aucun moment la loi n’est convoquée dans l’argumentaire journalistique… Désespérant.

Juridiquement, depuis la création de la contravention pour outrage sexiste en septembre 2018, Monsieur Justice est punissable pour ce motif. En consultant le site service-public.fr et celui de LégiFrance, nous pouvons en effet nous assurer que :

  • « L’outrage sexiste ou sexuel consiste à imposer à une personne un propos ou un comportement à connotation sexiste ou sexuelle, qui porte atteinte à sa dignité ou qui l’expose à une situation intimidante, hostile sinon offensante ». La circulaire du 3 septembre 2018 précise en exemple : « Des commentaires dégradants sur l’attitude vestimentaire ou l’apparence physique de la victime ». L’amende s’élève à 1500 €.
  • Les personnes coupables de cette contravention encourent également des peines complémentaires : 1° Un stage de citoyenneté ; 2° Un travail d’intérêt général pour une durée de vingt à cent vingt heures.
  • L’outrage sexiste peut être aggravé, notamment s’il est commis par :
    • une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions,
    • une personne déjà condamnée pour la contravention d’outrage sexiste et sexuel et qui commet la même infraction en étant en état de récidive.

L’outrage sexiste aggravé devient un délit et relève donc du Code Pénal. Il est alors punissable d’une amende de 3750 €.

Voici donc ce qui aurait dû :

  • être utilisé comme argument par un journaliste qui fait sa chronique sur le sujet et par un autre qui anime une émission d’actualités,
  • être connu par un ministre de l’Éducation dont le ministère œuvre en théorie pour l’égalité des sexes et pour l’éducation du peuple (la connaissance de ses droits, et donc de ses devoirs, car si nul n’est censé ignorer la loi, il faut bien l’apprendre quelque part pour la respecter…  fait-elle assez partie du topo éducatif ? Assurément non),
  • être reconnu par un ministre de la Justice auteur de l’agissement sexiste… mais qui est encore là, missionné pour que la loi s’applique.

Je doute qu’aucun de vous quatre soit concerné par le premier niveau d’ignorance évoqué en introduction : vous savez lire, vous suivez voire faites l’information, vous avez suivi des études de droit ou de journalisme. Bref : vous pouvez connaître la loi. En revanche, parmi vous, il y a ceux qui ne se sont pas donné la peine d’aller au bout de leurs arguments (la loi), ce qui aurait évité le débat d’opinion stérile devant un public qui va continuer à donner son avis sur ce qui est « déplacé » ou « borderline » ou que sais-je encore alors que C’EST LA LOI. Dont acte. Quelle occasion manquée d’informer les citoyen·nes sur la loi que nous devons connaître et appliquer !!! Et puis il y a ceux qui la connaissent sans doute parfaitement (Monsieur Justice n’en voulait pas, on sait pourquoi, il ne s’en est même pas caché ; j’ose espérer que Monsieur Ecole la connaît très bien dans le cadre de ses fonctions passées et actuelles).

Pour résumer, votre mise en cause, Monsieur Justice, devant la justice, ne serait que justice. Elle permettrait :
– de donner l’exemple de la non impunité au plus au niveau de l’Etat,
– de crédibiliser de temps à autre le système judiciaire français quand il s’agit des violences sexistes et sexuelles,
– de prévenir votre récidive (un garde fou pour le garde des sceaux)
– de vous faire apprécier l’efficacité des sanctions encourues : stages citoyens, contravention, travaux d’intérêt général. Leur but étant de faire adopter à QUICONQUE SANS DISTINCTION les valeurs de notre société civilisée. Changeront-elles votre comportement ? Ou bien faut-il une réforme de fond pour CHANGER TOUTE LA SOCIETE ?

Si vous ne devenez pas plus connaisseurs des valeurs de la République inscrites dans la loi, peut-être faudra-t-il éduquer enfin toute la population (sans exception) ? Monsieur Ecole, vous pourriez alors mener tambour battant la campagne de votre vie en annonçant toutes les mesures nécessaires pour instruire l’ensemble du monde scolaire sur les lois relatives aux violences sexistes et sexuelles, et tant qu’on y est toute la population, dont les médias, la justice, la police, le monde du travail, les services publics, l’enseignement supérieur, etc. Peut-être qu’alors, enfin, plus aucun « dérapage » n’aurait lieu.
Ensuite, bien sûr, la question de votre maintien, en tant que contrevenant à la loi, à la tête du ministère de la Justice, pourrait utilement être (re)posée.

Je vous souhaite de faire vôtres les lois qui nous régissent,
Qu’elles soient connues de tou·tes et qu’enfin elles s’appliquent.

Une citoyenne comme les autres Violaine Dutrop  50-50 Magazine 

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