Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Laurence Beldowski : « Capital filles fait se croiser trois mondes: des jeunes … le monde des entreprises et c’est essentiel l’Education Nationale »

Laurence Beldowski est depuis un an la directrice générale de Capital Filles. C’est une association créée en 2012, qui accompagne les jeunes filles des quartiers populaires et des territoires ruraux et qui, grâce à l’engagement de marraines, favorise leurs choix d’orientations et leur rencontre avec le monde de l’entreprise. Son but ? Donner à ces lycéennes la confiance en soi qui leur permettra d’oser choisir leur future vie. Laurence Beldowski n’est pas avare de projets pour Capital Filles. Elle aimerait développer son action en Outre-Mer ainsi que dans les régions rurales où il est encore difficile d’associer écoles et entreprises à cause d’une moins grande implantation. Pour cette mère de deux jeunes femmes brillantes et engagées, le féminisme  signifie aussi tendre la main à celles qui en ont besoin.

J’ai longtemps travaillé dans la communication, mais j’ai rapidement découvert le sexisme qui infiltrait ces métiers, à travers les clichés que nous utilisions. Alors, nous avons décidé à plusieurs de lutter contre  ces habitudes souvent inconscientes et avons créé l’association Toutes femmes toutes communicantes. Ce qui nous a amenées plus tard, à faire partie du Collectif Ensemble contre le sexisme, rejoignant une quarantaine d’associations venues de tous horizons, car le sexisme est partout!. Alors, lorsqu’on m’a confié la direction de Capital Filles, ce nouveau job m’a semblé être en phase avec à la fois mes valeurs et mes convictions : nous travaillons en effet sur des enjeux sociaux, de l’égalité femmes/hommes à la lutte contre les discriminations, bref, à faire évoluer la société.

Sur le modèle américain du “mentorat”, Capital filles crée des liens entre des jeunes lycéennes et des marraines . Ces dernières sont en entreprise un peu partout en France, que ce soit des grandes comme Orange ou la SNCF ou bien des PME  Il s’agit de transmission mais aussi de sororité : lorsque nous rencontrons ces femmes, combien nous ont dit qu’elles auraient aimé être ainsi accompagnées dans leur jeunesse… Il ne s’agit pas de pousser les élèves à avoir des ambitions démesurées mais tout simplement de leur permettre l’accès à une vie libre, grâce au choix qui leur est ainsi permis ; sans les orienter contre leur gré, nous leur permettons d’avoir une meilleure conscience de ce qui s’offre à elles, ce qu’elles ignorent trop souvent lorsqu’on ne les pousse que vers des métiers dits « féminins ».

En pratique, Capital filles fait se croiser trois mondes : des jeunes, que je trouve captivantes car elles montrent un engagement sans bornes, et pas seulement en vue d’un futur travail; le monde des entreprises qui choisit de les soutenir, et enfin, et c’est essentiel, l’Education Nationale dont le soutien sans faille nous a permis que s’investissent plus de vingt-cinq académies. Mais je n’oublie pas non plus le rôle des associations de terrain avec qui nous travaillons dans les régions, car c’est ensemble que nous construisons ces projets. Un exemple : Become Tech qui propose de former nos filleules à l’informatique.

Comment se montent nos projets ? D’abord nous nous faisons connaître auprès des rectrices/recteurs d’académie qui, si elles/ils sont intéressé.es, transmettent ensuite aux proviseur.es de lycées. Il ne faut pas oublier que la réussite de nos programmes dépend énormément de l’investissement à différents niveaux des acteurs de l’éducation ! Cela nous permet ensuite d’organiser des interventions dans les classes, à partir de la 3éme et jusqu’au bac. Ensuite nous recherchons et contactons les entreprises locales qui accepteraient d’envoyer des ambassadeurs/embassadeurs pour parler dans les établissements et organiser les marrainages. En 2023 par exemple, nous sommes fiers d’avoir monté 1300 binômes de mentorat, soit plus de 12000 depuis notre création. Ce qui signifie qu’aujourd’hui 12000 jeunes femmes ont pu se dire que, contrairement à ce qu’elles imaginaient, tout leur était possible…

Il s’agit donc bien d’émancipation. Les grosses entreprises l’ont bien compris. L’Oréal s’est mise aux côtés d’associations féministes comme En avant toutes ou la Fondation des Femmes pour participer à nos “Rendez-vous des possibles” organisés plusieurs fois par an dans différentes villes. Lors de table ronde, des marraines y parlent de leur métier, racontent leur parcours, et deviennent des “role models”, des exemples à suivre pour leurs filleules”.

A raison de deux fois par mois, les marraines aident leur filleule à rédiger un CV, une lettre de motivation. Elles expliquent le parcours des études supérieures ainsi que les passerelles possibles plus tard. Elles suivent avec elle les formations de coaching que nous organisons, sur la prise de parole en public, par exemple, aidés en cela par la comédienne féministe Typhaine D.

Il y a aussi des ateliers organisés au sein des entreprises, mais je dois dire que nous préférons, pour l’ensemble des ateliers que nous faisons, séparer les filles des garçons ! Pourquoi ? Tout simplement pour libérer leur parole, les garçons ayant tendance à la monopoliser ! Ils aiment également nous expliquer que dénoncer le sexisme n’est pas normal, que la société est ainsi faite et que les filles sont naturellement plus douées pour le care, à la différence d’eux. De plus, quand les filles parlent, ils leur coupent la parole. Pourtant, nous aimerions à l’avenir ne plus avoir à fonctionner ainsi, organiser par exemple des séances séparées pour les filles et les garçons en les réunissant ensuite pour échanger.

Témoignage recueilli par Moira Sauvage 50-50 Magazine

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