Articles récents \ France \ Société Un silence si bruyant

Être détruit par des actes sexuels d’adultes pratiqué sur son corps d’enfant, être réduit au silence, être réutilisé comme objet, encore et encore, subir et se taire, tel est le sort des enfants violé·es, soit un enfant sur dix. Un silence si bruyant est un documentaire co-réalisé par Emmanuelle Béart victime elle-même d’inceste.

Nous en avons tou·tes autour de nous, elles/ils vivent avec ce secret, s’absentent de leur corps pour survivre. Elles/ils deviennent des adolescent·es tourmenté·es, traumatisé·es et particulièrement susceptibles de devenir toxicomanes, dépressives/dépressifs, d’avoir des comportements à risques. Ou de surinvestir leur corps dans une course effrénée à la représentation de soi, à l’hypersexualisation, à la mise en scène d’un corps survalorisé…

L’actrice et co-réalisatrice du film Un silence si bruyant Emmanuelle Béart s’est reconnue dans cette description. Elle se revoit maintenant, au début de sa carrière d’actrice comme une jeune adulte traumatisée par l’inceste subi, désinvestissant sa vie et surinvestissant son corps, comme si le corps seul comptait. Ce corps avait été objectifié, utilisé d’une façon abjecte par un pédocriminel de sa famille qui avait mis au point des stratégies pour avoir accès à cette enfant, pour détruire son intimité, abîmer son corps et annihiler sa confiance.

Menaces et isolement condamnaient l’enfant au silence, mais elle a réussi à en sortir, au bout de quatre ans, et sa grand-mère, informée, l’éloigne du prédateur, la sauve.

Contrairement à beaucoup de victimes d’inceste, Emmanuelle Béart avait parlé. Cependant les gens qui l’entendaient faisaient comme s’ils n’avaient pas entendu. Elles/eux mêmes violenté·es dans leur intégrité psychique par ce récit, elles/ils excluaient ses propos du champs de leur perception, les oubliaient. Sa grand-mère elle-même lui redemande, des années aprés : « tu m’as vraiment dit ça ? » Les témoignages d’inceste ont une fragilité qui les rend particulièrement ténus, manipulables. Des victimes d’inceste qui en ont parlé sont parfois directement discréditées par leurs auditrices/auditeurs qui sont persuadé·es d’avoir face à elles/eux des folles/fous, qu’elles/ils ont tout inventé… Emmanuelle Béart et Anastasia Mikova en ont recueilli quatre pour ce film documentaire. Les enregistrer, les filmer, comme une protection, une accréditation de la véracité de leurs propos, une fixation dans le temps et dans l’espace d’une parole émergée de la muraille d’émotions indicibles, comme une revanche sur le silence imposée par l’agresseur.

Parler, dire l’indicible, faire ressortir les traumatismes de l’enfance et les verbaliser

Trois des témoins du film qui, enfants, ont été victimes de pédocriminalité se sont tu·es toute une partie de leur vie d’adulte, bien après même que les violences aient cessé, alors que les traumatismes subis ont continué à avoir des conséquences dans leur vie. Emmanuelle Béart et Anastasia Mikova ont fait un film sensible et esthétique, qui fait cesser ce silence imposé par les agresseurs, et laisse la parole déferler, rayonner, déborder…après des années de silence.

La quatrième témoin est une mère protectrice dont l’enfant a été assez lucide pour comprendre et dénoncer ce que son père lui faisait subir. Comme beaucoup d’enfants violé·es par leur père, cette petite fille a été sciemment confiée à son violeur dans le cadre d’une garde partagée. La justice, alertée par la mère, a ignoré ses témoignages et minimisé le danger de récidive de viol. Cette récidive a eu lieu, et la fillette n’en a plus parlé : pendant quatre ans elle a subi des viols au domicile de son père où elle se rendait deux week-end par mois. Les agresseurs verrouillent la parole des victimes, et lorsque celles-ci trouvent quand même le courage de parler, si elles ne sont pas protégées, elles ne parleront plus.

En n’écoutant pas les enfants et en ne les protégeant pas, les institutions éducatives et judiciaires assurent l’impunité des agresseurs, absents du film Un silence si bruyant. Le bruit en effet, celui des victimes, peut s’exprimer et être enfin entendu. En revanche, les criminels qui ont instrumentalisé ces enfants, mis en place des stratégies pour les objectifier, les violer, puis les ont menacé et manœuvré pendant des années pour les empêcher d’en parler, passent sous les radars. Ils ne sont que très peu inquiétés par la justice et rarement évoqués dans les débats et les politiques publiques de la protection de l’enfance.

Stratégies et contre-stratégies

Emmanuelle Béart l’a compris, elle n’a pas porté plainte. Elle voulait se protéger de ce deuxième traumatisme : celui de ne pas être crue, de subir un classement sans suite. Elle ne voulait pas s’entendre dire que son agresseur n’avait rien fait.

Charlotte Caubel, secrétaire d’état chargée de l’Enfance, a annoncé, lors de la présentation de ce film, des politiques volontaristes de protection des mineur.es contre les violences sexuelles, insistant sur le fait que c’est une responsabilité de tous les adultes que de protéger les enfants. Face aux stratégies des agresseurs, de silence et d’isolement, il faut mettre en place à l’échelle de la société une contre-stratégie du dévoilement et de la confiance. Elle a annoncé le démarrage d’une campagne de sensibilisation contre la culture du déni, un spot très court et très percutant qui sera diffusé sur tous les canaux. Le mot inceste, pour la première fois, est prononcé dans ce spot alors qu’il ne l’était pas lors des précédentes campagnes de sensibilisation.

Elle en espère un changement des mentalités et une évolution vers une véritable prise de conscience collective. Seules de nouvelles orientations dans les politiques publiques, alliant protection et répression pourraient faire changer les choses, redonner à ces millions d’enfants confiance en elles/eux et goût à la vie, même à celles/ceux qui sont devenu·es adultes entre temps.

Florence-Lina Humbert 50-50 Magazine

Extrait du discours d’Emmanuelle Béart Roselyne Segalen 50-50 Magazine

Un silence si bruyant sera diffusé le 24 septembre à 21h sur M6

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