Articles récents \ Chroniques Chronique Femmes du Monde : les Iraniennes au pays des ayatollahs

Mahsa, Nika et les autres…

Le 16 septembre 2022 mourait à Téhéran la jeune Kurde Iranienne Mahsa Jina AMINI, pour un voile mal ajusté. Elle avait 22 ans. Arrêtée par la police des moeurs parce que des mèches de ses cheveux dépassaient de son foulard – obligatoire pour les femmes soumises en Iran à un code vestimentaire très contraignant depuis l’instauration de la “révolution islamique” par l’ayatollah Khomeini en 1979 – elle était morte en détention quelques jours plus tard. Cette énième exaction d’un régime, qui opprime son peuple depuis quarante-quatre ans, déclenchait le plus important mouvement de révolte du peuple iranien depuis des années, mouvement bientôt rassemblé sous la devise kurde “Jin, Jiyan, Azadi” (Femmes, Vie, Liberté). Il allait traverser la planète dans une mobilisation internationale faisant déferler des millions de femmes et d’hommes dans les rues de Téhéran, Istanbul, Damas, New York, Sydney, Berlin, Tokyo, Athènes ou Paris. 

Quelques jours plus tard, le 20 septembre, l’adolescente Nikka Shahkarami allait, comme beaucoup de jeunes, filles et garçons, grossir les rangs d’une des grandes manifestations de la capitale en réaction à la mort de Mahsa.  

Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et devenue virale, on voit Nika juchée sur une benne à ordures : elle brûle son hijab puis le jette à terre tandis que la foule crie  : “ A  bas le dictateur ” à l’adresse de l’ayatollah Ali Khamenei, successeur de Khomeini à sa mort en 1989 comme  “guide suprême” , le plus haut grade de la hiérarchie de l’islam chiite.

Nika n’est jamais rentrée chez elle. Elle est morte, après avoir été torturée et violée, son décès maquillé en suicide par la police selon toute vraisemblance. Car malgré les dénégations des autorités, un certificat de décès délivré par un cimetière de Téhéran atteste qu’elle est décédée après avoir subi “de multiples blessures causées par des coups avec un objet dur”. Nika n’avait pas encore dix-sept ans.

Comme Mahsa et Nika, depuis plus d’un an, plus de 500 personnes ont été tuées et plus de 20 000 arrêtées par un pouvoir tétanisé par la force et le courage de sa jeunesse, de ces femmes et ces hommes qui exigent, au prix de leur vie, la fin d’un régime théocratique dictatorial et gérontocratique. Mais au lieu de lâcher un peu de lest, face à ce peuple debout et à la réaction internationale quasi unanime de solidarité qu’il suscite, les autorités iraniennes répondent au contraire par une vague de violences féroces et écrasent la protestation dans un bain de sang.

Depuis, la répression ne faiblit pas. Mais à l’intérieur du pays comme dans la diaspora, la  contestation du peuple iranien non plus. Certes, les manifestations sont plus sporadiques  et les protestations un peu plus diffuses, en raison de la brutalité du régime, de ses représailles et de son système de surveillance omniprésent. Mais la colère de ce peuple courageux est intacte, son inventivité et sa détermination deviennent toujours plus fortes. Les Iraniennes sont devenues le symbole mondial de la lutte des femmes contre un patriarcat inique et obtus. On vante leur bravoure et, autour de ce triste anniversaire, les projecteurs se sont rallumés, d’émissions de télévision en éditoriaux et en post vite écrits, vite oubliés. 

Elles, elles ne lâchent rien. Et ont bien l’intention de se battre pour leurs justes droits. Rejointes par de plus en plus d’hommes qui les soutiennent et réclament eux aussi davantage de liberté, d’égalité et de démocratie, les Iraniennes sont prêtes à en finir avec les ayatollahs et autres mollahs qui, à coups d’injonctions et d’interdictions d’un autre âge, leur font subir des discriminations multiples au mépris des droits humains fondamentaux.

De Khomeini à Khamenei

Le combat des Iraniennes n’est pas nouveau. Lorsqu’on revoit les images des manifestations en 1979, peu après l’arrivée au pouvoir de Khomeini, on est frappé par les similitudes avec celles d’aujourd’hui. 

A peine installé au pouvoir, le nouveau ‘guide suprême’, Rouhallah Khomeini – celui-là même que la France de Valéry Giscard d’Estaing avait accueilli à Neauphle-le-Château, où il avait tranquillement préparé sa révolution islamique – annonçait : “ Les femmes musulmanes ne sont pas des poupées, elles doivent sortir voilées et ne pas se maquiller […]”. 

La réaction est immédiate. Le 8 mars 1979, les Iraniennes manifestent contre cette obligation annoncée du hijab.  Elles contestent aussi la série de mesures restrictives prises à leur encontre. En effet, en moins d’un mois au pouvoir, Khomeini abroge la loi sur la protection de la famille, interdit l’accès des femmes au poste de juge, interdit qu’elles servent dans l’armée, refuse qu’elles participent à des compétitions sportives, même dans des équipes olympiques. Il rabaisse le mariage des filles à treize ans, restaure au profit des hommes la répudiation unilatérale, la polygamie et l’entière autorité parentale, décrète que seul l’homme peut décider de divorcer, multiplie les autorisations que doivent demander les femmes à leur mari pour voyager, travailler, quitter le foyer. 

Certes, le Shah Mohammad Reza Pahlavi n’était pas un parangon de vertu et ses trente-huit ans de règne furent sans partage tenus d’une main de fer. Le dernier empereur du pays réprimait implacablement toute velléité de contestation. Mais, longtemps allié des Etats-Unis, il avait modernisé le pays et promu de meilleures conditions de vie pour les femmes. Ainsi de l’éducation accessible aux filles comme aux garçons, du droit de vote et d’éligibilité des femmes, du recul de l’âge du mariage des filles de 13 à 18 ans, de leur accès à des postes de pouvoir législatif ou politique ( juges, parlementaires, ministres ).

Lorsque, lâché par ses soutiens occidentaux et contraint à l’exil, le shah cède sa place à Khomeini, les femmes – qui avaient espéré plus d’égalité et de justice avec son arrivée – réalisent rapidement que leurs libertés sont menacées.

Avec Khomeini et Khamenei, son successeur depuis 1989 et jusqu’à aujourd’hui, l’islamisme et le patriarcat se superposent et se renforcent l’un l’autre. Sous prétexte d’anti-occidentalisme, la révolution islamique a en particulier concentré son énergie à faire régresser radicalement les droits des femmes et réduire leur rôle à celui d’épouse et de mère, gardienne du foyer.

Le mécanisme est toujours le même : il s’agit finalement de contrôler le corps des femmes. Le voile, hijab ou foulard, est un symbole politique qui continue régulièrement d’agiter nos sociétés mondialisées et de déchaîner les passions. Tandis que Reza Shah Pahlavi, le père, l’interdisait en public dès 1936 pour illustrer un Iran moderne et laïc, Khomeini le rendait obligatoire en 1983, les femmes devant désormais véhiculer l’image d’un Iran religieux. Qu’il s’agisse d’interdiction ou d’obligation, les femmes se sont vu imposer par des hommes un code vestimentaire éminemment politique. Au déni de leur libre arbitre. 

Les Iraniennes d’aujourd’hui sont les fières héritières de leurs mères et leurs grand-mères, qui manifestaient dans les années 1970 et 1980. Elles refusent  l’instrumentalisation de leur corps et l’assignation à des rôles imposés. Elles le refusent, s’il faut, au prix de leur vie. 

Masha, Nika et toutes les autres, votre mort nous oblige. Votre combat est le nôtre. Celui de toutes les femmes.

Femmes, Vie, Liberté !

Jocelyne Adriant 50-50 Magazine

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