Articles récents \ France \ Société Annie Boucau : « J’étais tellement sous emprise, tellement dominée que j’étais incapable de le quitter »
Annie Boucau a subi pendant 10 ans des violences de la part de son compagnon. Jamais de violences physiques mais des violences morales, mentales, émotionnelles. Elle pense au suicide puis trouve une solution pour le quitter, tromper ce pervers narcissique. Après 5 ans de thérapie, elle revit…
Comment avez-vous rencontré cet homme violent ?
Je l’ai rencontré chez un ami qui me l’a présenté en me disant : « Je te présente un polytechnicien ». Nos yeux se sont croisés et je fus fascinée comme il l’a été. J’étais tout ce qu’il n’était pas.
Nous avons commencé à vivre ensemble très rapidement. Les premiers mois furent idylliques mais rapidement, les choses ont commencé à prendre une tournure différente. Je le dis aujourd’hui mais je n’aurais pas pu le dire à l’époque. Je dirais qu’il y avait comme un étau qui se resserre, comme une toile d’araignée qui se tisse. Progressivement, il a commencé à me soumettre à ce que j’appelle une douche écossaise.
Ce fut progressivement une forme d’enfermement. Au début il y eu quelques petites réflexions. Et puis au fur et à mesure des années, ça s’est intensifié. Au bout de 2 ans de vie commune, j’ai failli le quitter parce qu’il s’est permis d’intervenir sur mon fils. Hélas, c’est la seule erreur qu’il ait faite, et moi la seule erreur que j’ai faite c’est de ne pas de me barrer à ce moment-là. Évidemment, il s’est excusé : “ je suis intervenu juste parce que je pense qu’il doit évoluer, il doit faire ceci et cela…”
Vous êtes donc restée tout de même 10 ans avec lui ?
Il faut bien situer le contexte. Hormis quand il s’est permis d’avoir une action sur mon fils que j’estimais dévalorisante, je ne me suis rendue compte de rien. Moi j’ai commencé à prendre conscience qu’il y avait un problème au bout de 8 ans. Durant tout ce temps, son travail de fourmi, d’araignée tissant sa toile a été très efficace. Si, à un moment donné, je remettais les choses en question, c’était par rapport à moi. Je pensais que le problème venait de moi et pas lui.
Comment décririez-vous-la façon dont il vous a enfermé ?
Chez lui, tout était très subtil. Tout a commencé par des petites réflexions sur qui j’étais, qui je fréquentais, qui étaient les gens de ma famille avec qui je n’avais d’ailleurs pas une relation particulièrement forte. J’adorais mon père qui était un intellectuel mais avec qui j’avais une relation compliquée. Quant à ma mère, c’était encore plus compliqué. Ne m’ayant jamais désiré, nous avons toujours eu des rapports extrêmement tendus. Les premières attaques, si je puis dire, les premières restrictions étaient vis-à-vis de ma famille et de mes ami.es. Petit à petit, il a réussi à m’écarter de tous les gens que j’aimais. Avec des phases de valorisation et des phases de dénigrement mais quasi imperceptibles dans un premier temps. Les choses se sont accentuées avec le temps : par exemple, il arrivait qu’il m’enferme dehors. Je rentrais chez nous et la porte était fermée. Je ne pouvais pas rentrer et si je sonnais, il n’ouvrait pas. Autre exemple : il me réveillait la nuit pour me dire : « mais pourquoi tu as fait ça ? » Je pourrais le comparer à une araignée qui a tissé autour de moi un cocon ou un serpent qui m’a progressivement et complètement étouffée.
Parfois je me disais : mais comment fais tu pour te le mettre à dos, lui qui est si bien ? Bien évidemment, il n’avait jamais un mot plus haut que l’autre, c’était quelqu’un d’extrêmement policé. En fait, l’idée, je pense, c’était que je devienne comme lui.
Et vos proches, vos amies, votre famille, vous disaient-elles/ils de faire attention ?
Non elles/ils n’ont rien dit, ne voyaient rien. Mon père s’est rendu compte qu’il y avait un problème mais il m’a rien dit, il m’en a juste parlé quand il a su que j’étais partie.
Comment avez-vous fait pour partir ? Qu’est ce qui a déclenché votre départ ?
En fait, il y a eu deux événements déterminants.
Tout d’abord, mon père a fait une tentative de suicide à 80 ans passés. Parce que physiquement, il était très malade et qu’il ne supportait pas son état. il a pris une grande quantité de médicaments, mais ça n’a pas marché et là la réaction de mon compagnon a été délirante. Et alors je me suis dit ok, il n’aime pas mon père, car il est d’une envergure médiocre alors qu’ils étaient tous les 2 polytechniciens . Cela a été un choc, il était à ce moment-là parti au Kazakhstan. Et là je dîne avec un ami que je n’avais pas vu depuis des années puisque je ne voyais même plus mes ami·es. Et cet ami à un moment donné me dit « Est ce que tu attends de crever pour partir ? »
Et là, j’ai eu un déclic. Je me suis dit, mais finalement, tu n’es pas l’unique responsable. Mais j’étais dans un état émotionnel et psychologique, effrayant. Quelques mois plus tard quand j’ai réussi à partir, je ne me reconnaissais même plus dans la glace quand je me regardais.
Le deuxième évènement, c’est lorsque mon fils que j’ai eu de mon premier mari a du venir à Paris pour continuer ses études. Et mon compagnon a refusé qu’il vive avec nous. Il m’a dit : « Oh non, ton fils vient pas vivre avec nous, ce n’est pas possible. » Ce fut le deuxième déclic.
Et puis après ces évènements que s’est-il passé ?
J’étais tellement sous emprise, tellement dominée que j’étais incapable de le quitter . Alors j’ai eu cette idée : le tromper avec un ami très proche. En le lui cachant évidemment. Nous avions un ordinateur commun, il avait donc accès à mes mails et il a tout de suite compris. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour qu’il accepte de me libérer
Il m’a dit : « va t’en. Tu vas le payer très cher, mais va t’en, tu m’as trompé »
Je l’ai fait descendre de son piédestal.
Quand vous l’avez quitté avez-vous fait une thérapie ?
Pendant 2 ans j’étais en larmes en permanence. J’avais tout à fait les moyens économiques de prendre un appartement mais j’étais incapable de vivre seule donc j’ai habité chez des amis pendant 2 ans. Et un jour où j’étais dans le métro j’ai failli sauté sur la voie. Ce qui m’a sauvé la vie, c’est que j’ai vu mon fils ça a été très clair. Je me suis dit, Annie, tu vas vraiment mal.
L’assistante sociale n’arrêtait pas de me dire, Madame Boucau, il faut absolument que vous preniez soin de vous, vous n’allez pas bien du tout. Et moi je lui répondais invariablement, ce ne sont pas mes priorités. Donc j’étais juste dans les choux,
Je pense que les prédateurs veulent tout, c’est ce que je pense aujourd’hui, c’est à dire qu’ils veulent que tu sois comme eux, que tu sois dans la même énergie, dans la même mouvance.
J’ai un parcours psychiatrique qui a quand même duré quasiment 5 ans. Je l’ai fait avec une des grandes spécialistes de la perversion narcissique. J’ai commencé à lire les bouquins de Marie-France Hirigoyen et je suis allée à ses conférences,
Marie France Hirigoyen qui au cours du temps est devenu une amie a fini par me dire un jour : « en fait Annie, je le savais que tu vivais avec un pervers » et je lui dis « mais pourquoi tu m’as rien dit ? Elle m’a alors répondu : « mais comment voulais tu que je te dise une chose pareille, j’ai essayé de te parler, mais tu n’entendais rien, tu ne voyais rien » .
Ces hommes sont des séducteurs. Donc en fait, s’ils décident de vivre avec quelqu’un, c’est parce qu’ils sont totalement amoureux de cette personne. Mais cet amour implique cette domination qui pour eux est complètement normale.
Et donc c’est ce qui me fait dire que leur objectif est que ce qu’a voulu mon ex compagnon c’est que je sois comme lui mais il n’a pas pu me transformer comme il a transformé sa première femme et il a fini par la tuer psychologiquement. Et la mort psychologique entraîne souvent la mort physique c’est ce qui lui est arrivée.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine