Articles récents \ Monde \ Pays Arabes MARIAM ABU DAQA : “JE NE COMPRENDS PAS POURQUOI LE PAYS DES DROITS DE L’HOMME SUR QUI J’AVAIS TANT ÉTUDIÉ EST AUSSI INJUSTE AVEC MOI”

Mariam Abu Daqa, militante féministe Palestinienne de 72 ans et dirigeante d’une grande organisation de défense des droits des femmes à Gaza a été expulsé le soir du 10 novembre. Elle était arrivée en France avec un visa régulier délivré par les autorités françaises suite à l’invitation de plusieurs associations dans le cadre d’une série de conférences pour les droits des femmes. Quelques semaines après son arrivée, elle s’était vue signifier un arrêté d’expulsion en plein milieu de sa tournée. Cet arrêté avait été suspendu par une ordonnance du tribunal administratif le 20 octobre. Le gouvernement a fait appel de cette décision devant le Conseil d’Etat et a annulé la décision du Tribunal administratif. Elle a été arrêtée la nuit du 9 novembre par la police française et s’est fait expulser du territoire français le soir du 10 novembre, alors que son billet retour, pris il y a deux mois, était pour le lendemain. Les autorités françaises ont saisi une grande partie de ses effets personnels, ainsi que ses médicaments. Elle est actuellement en Egypte où elle attend de pouvoir rentrer à Gaza.

L’interview avec Mariam Abou Daqa a été faite en amont de son expulsion, la veille de son arrestation.

Vous êtes dépeinte de différentes manières dans la presse, qui êtes-vous en réalité ?

Je suis une militante palestinienne qui a vécu l’injustice et la Nakba depuis 1967. Quand j’avais 15 ans, on m’a exilée de la Palestine et je suis partie en Jordanie. J’ai vécu ensuite où je pouvais, notamment en Bulgarie où j’ai obtenu un doctorat en philosophie. Après 30 ans passés loin de ma terre natale, j’ai pu rentrer chez moi et je vis à Gaza depuis 1995 où je travaille avec l’union générale des femmes palestiniennes. Je suis militante pour les droits des femmes du monde arabe et j’interviens dès que j’en ai l’occasion pour défendre les droits de toutes les femmes opprimées.

Vous avez fait du féminisme le combat de votre vie, pourquoi ?

En Palestine, les femmes souffrent évidemment de l’occupation israélienne, mais aussi des discriminations basées sur le genre dans les lois et les diktats sociaux archaïques qui essaient de faire reculer leurs droits. J’ai l’intime conviction que si les femmes sont fortes, la société le sera encore plus. Il n’y a pas de démocratie si les femmes ne sont pas aux postes à responsabilités où les décisions sont prises, c’est pour ça qu’une égalité entre les hommes et les femmes est indispensable à mon avis. Le combat des droits des femmes dans le monde arabe épouse parfaitement celui des femmes du reste du monde. Je considère chaque réussite d’une femme comme une réussite collective des femmes du monde. Je revendique une justice sociale, l’égalité et la liberté pour les femmes.

Pour quelle raison êtes-vous venue en France ?

J’ai été invitée par des associations pour intervenir dans plusieurs conférences en faveur des droits des femmes et contre l’occupation israélienne. Parmi les associations qui m’ont invitée, il y a l’Union juive française pour la paix, ce qui est une preuve qu’à titre personnel, je suis ouverte sur le monde et que je n’ai aucune haine contre le peuple juif. Je suis arrivée avec un visa valide délivré par les autorités françaises une semaine avant l’attaque de Hamas, et depuis, j’ai commencé à ressentir des formes d’intimidation lors de mes interventions auprès des associations jusqu’à recevoir un avis d’expulsion.

Comment avez-vous vécu cet avis d’expulsion ?

On m’a adressé un arrêté d’expulsion en plein milieu de ma tournée de conférences, mais il avait été suspendu par une ordonnance étant donné qu’il n’y avait pas de motif valable d’expulsion. Le gouvernement français a fait appel de cette décision devant le Conseil d’Etat dans la journée et a annulé la décision du Tribunal administratif. De nouveau sous le coup d’un arrêté d’expulsion, je sais que mes jours en France sont comptés et je ne comprends pas pourquoi le pays des droits de l’homme sur qui j’avais tant étudié est aussi injuste envers moi. Je suis une militante palestinienne et je n’ai aucun discours de haine, je jouis simplement d’une liberté d’expression qui est d’ailleurs approuvée par les lois françaises. Je me sens injustement traité, et ce sentiment est décuplé, car il ne s’agit pas de ma personne, mais plutôt de ce que je représente dans le cadre de mon militantisme et des conférences que j’ai tenues en France pour les droits des femmes.

Qu’allez-vous faire à présent ?

Il est évident que je vais quitter la France. Je vais partir au Caire et attendre de pouvoir rentrer chez moi, ou de ce qu’il en reste. De toute manière, je n’avais pas dans l’idée de rester en France, ni ailleurs. Je veux vivre et militer près des miens, dans mon pays.

Propos, traduits de l’arabe, recueillis par Sonia Gassemi 50-50 Magazine

print