Articles récents \ France \ Société Alice Apostoly : « Les cyberviolences peuvent constituer un premier pas vers des violences dans la vie hors ligne »

Le think tank l’Institut du Genre en Géopolitique (IGG) et l’ONG féministe de solidarité internationale Equipop viennent de publier le rapport « Contrer les discours masculinistes en ligne » Rapport important qui propose des recommandation à l’Union Européenne et à ses Etats membres pour lutter contre les cyberviolences sexistes et lgbtiphobes, si prégnantes aujourd’hui. Alice Apostoly, la co-fondatrice et co-directrice de l’IGG souligne l’importance d’alerter tous les Etats membres de l’Europe sur ces violences qui laissent des traces indélébiles sur nos écrans, brisent des vies, tuent…

Comment vous est venue l’idée de ce rapport et d’y travailler avec Eqipop qui est une ONG féministe ?

Le sujet des masculinismes était un sujet que nous voulions aborder depuis longtemps car c’est un communauté active depuis des années. Le déclic a été le procès Depp v Heard où nous avons réalisé la désinformation et la force des mécanismes de silenciation des femmes victimes, qui influençaient même certaines militantes. Cette campagne de désinformation allait de pair avec des influences politiques très conservatives qui ont, à ce moment-là, gagné en visibilité sur les réseaux sociaux.

Ces effets-là sont visibles aussi en ce qui concerne la géopolitique on a vu de nombreux pays qui sont tombés dans l’extrême droite, je pense notamment à la Corée du Sud qui a élu un président qui proposait de fermer le ministère des Droits des femmes et de la Famille. Ce backslash, donc ce phénomène sur les retours en arrière des droits des femmes, et des droits des LGBT, avait fait l’objet du rapport d’Equipop plus tôt cette année. Nous avons partagé l’idée de réaliser un rapport ensemble sur les stratégies des mouvements masculinistes, acteurs puissants dans cette mouvance conservatrice des sphères politiques .

Quel est le but du rapport ?

Le but du rapport est visibiliser et d’analyser ce backslash. Nous démontrons une porosité entre ce backslash politique dans de nombreux pays dans le monde, les mouvements militants et les communautés sur internet. Il y a des influenceurs qui appartiennent à des partis d’extrême droite, il y a des communautés masculinistes qui soutiennent certaines promesses phares de ces partis. Nous essayons de démontrer que ce phénomène politique ne vient pas de nulle part mais il vient d’une influence bien réelle d’un nombre non négligeable de personnes qui sont actifs sur les réseaux sociaux principalement. Notre idée est de montrer que si l’on s’attaque à une des causes du problème qui est l’impunité totale et le manque de modération sur les réseaux sociaux, ce qui fait que ces communautés se sentent dans leur bon droit, on se retrouve par exemple avec de très jeunes hommes et garçons exposés à des discours ultra-misogynes qui sont encore plus violents que ceux de la génération précédentes sur TikTok ou Reddit.

Ce backslash est déjà très concret, aussi bien dans les mouvances politiques que dans la sphère personnelle. On voit un radicalisme monter en ce qui concerne les droits des femmes et les droits des LGBT. Cette polarisation là touche dans un premier temps les droits des femmes mais souvent tend vers ce que l’historienne Christine Bard nomme une « intersectionnalité des haines » : des discours antiféministes mais aussi racistes, anti écologiques, nationalistes,…

Qu’est ce que la masculinise pour vous ?

Le masculinisme est un ensemble de mouvements qui se constitue depuis les années 1980 qui veulent défendre les droits des hommes dans une société qu’ils estiment désormais dominée par les femmes. En occident il y a des théories de la crise masculinité , il y un lobby dès les années 1980 vers les médias, vers les partis politiques. Cela a commencé en France par les associations des droits des pères qui essayaient de pousser l’aliénation parentale, une théorie qui continue à persister dans les tribunaux. Ils sont particulièrement actifs depuis meetoo car on a libéré la parole, mais elle n’a pas été réellement accueillis mais on n’a pas eu franchement de réelles conséquences pas à la hauteur du phénomène. Ces hommes là on vu une attaque : maintenant ce sont les femmes qui décident nous sommes accusés de toutes les violences . Ces phénomènes là existent aussi en Afrique de l’Ouest et en Asie. L’idée de ces hommes est que quand les droits des femmes avancent, cela signifie une attaque à leurs propres droits. Une attaque à une société hétérosexuelle, traditionnelles bien encadrée avec un père chef de famille, une femme qui s’occupe des enfants . Ainsi une de leur bataille est de contrer le droit à l’avortement .

Donnez nous quelque exemples ce qu’il se passe aujourd’hui, par exemple sur les Réseaux Sociaux ?

Les cyberviolences demeurent mal comprises et banalisées, elles ne sont pas considérées par les forces de police comme des menaces directes envers la personne qui en subit. Participant ainsi au sentiment d’impunité des harceleurs.

Les conséquences sur la santé mentale et physique et de manière plus générale sur la vie personnelle, professionnelle ou familiale des personnes cyberharcelées sont dévastatrices d’une baisse de la confiance en soi, au retrait de la sphère publique que constitue les réseaux sociaux, de l’anxiété,…

Les cyberviolences peuvent constituer un premier pas vers des violences dans la vie hors ligne : publication des données personnelles, intimidations physiques et visites au domicile. Il y a des attaques très médiatisées des Incel qui est une communauté particulièrement violente. Elle revendique un attentat à Toronto en 2018, et plus récemment une tuerie de 5 femmes en 2021 au Royaume-Uni.

Face à ça, on constate une déresponsabilisation des entreprises qui produisent ces plateformes là et ne les modèrent pas.

Les attaques sont mal comprises, les algorithmes sont vraiment très imparfaits et reproduisent les biais de ceux qui les ont créés (à 80% des hommes en Europe), et les plateformes n’investissent pas dans la modération humaine. Twitter souffrait déjà d’un manque de moyens humains, avec moins de 2000 modérateurs dans le monde pour environ 400 millions d’utilisateurs. Et c’était avant qu’il licencie une partie de cette équipe.

Quelles sont vos recommandations ?

Nos recommandations se déclinent en 5 axes thématiques

Le premier c’est de renforcer l’arsenal juridique, politique et financier pour la lutte contre les violences faites aux femmes et contre ces violences en ligne. Cela nous paraît être le plus évicet et pourtant pas assez fait . Quand on parle de politique publique en matière de numérique si on ne prend pas en compte la protection des femmes et des LGBT, la politique publique n’avance pas.

Dans un deuxième temps, Il faut intégrer le genre dans toutes les politiques publiques nationales et internationales. En ce qui concerne le numérique, si on n’inclut pas la lutte contre les discours de haine ces politiques là ne serviront à rien.

Dans un troisième temps, il faudrait réguler les multinationales du numérique, les tenir responsable de ce qui se passe afin qu’il y ait une transparence et une vraie collaboration avec les pouvoirs publics afin qu’ils puissent nous transmettre le nombre de signalisations, le nombre de plaintes recueillies, le nombre de contenus dangereux qu’ils ont pu modérer et surtout que leurs efforts de modération soient à la hauteur des violences qu’ils permettent.

Soutenir et protéger les associations, les activistes spécifiquement investis contre les cyberviolences qui ont été ciblés également à cause de leur engagement. Si on ne protège pas ces femmes là,qui mettent le doigt sur un sujet très concret, moins de personnes parleront c’est un enjeu démocratique de voir autant de personnes se retirer de réseaux sociaux par sécurité et ne participent donc plus à des débats , à des idées. Il s’agit d’un grand enjeu démocratique aussi .

Enfin, Il faut sensibiliser les citoyen·nes au discours des masculinistes et leur donner les moyens d’agir quand elles/ils sont témoins de violences sur les réseaux sociaux, les signaler . Peu de gens le font car ils pensent que cela ne sert à rien donc si on pouvait changer et prouver que les réseaux sociaux et les plateformes agissent cela donnerait plus envie aux citoyen·nes d’âgir aussi de leurs côtés et de leur donner des moyens de prévention, de sensibilisation et de prévention sur les réseaux sociaux. 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

 

print