Articles récents \ Chroniques CHRONIQUE L’AIRE DU PSY : «Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique»

Il y a urgence à voir ce documentaire édifiant, qui sort en salles le 4 octobre prochain !

Après avoir vu ce film de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, on ne saurait rester indifférent à cette question du cyberharcèlement. Quatre femmes qui ont l’audace d’exercer le pouvoir de dire, de prendre la parole publiquement se retrouvent menacées via les réseaux sociaux. Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, les deux cinéastes ont suivi l’histoire de ces quatre femmes à travers le monde. Deux en Europe et deux outre-Atlantique.

Dans son récent ouvrage, Ovidie questionne sa grève du sexe avec les hommes. Son livre adresse un clin d’œil à Mallarmé en empruntant la première phrase du poème Brise marine pour titrer sa réflexion : La chair est triste hélas. Je m’y réfère car elle définit une «salope»(…) «par le fait d’être désirée par tous mais sans que jamais personne ne soit prêt à s’afficher avec elle en société, sans qu’aucun homme ne veuille en faire sa compagne». Ovidie sait de quoi elle parle ! On ne lui pardonne pas une expérience brève dans l’industrie pornographique. Son intelligence vive, sa formation universitaire, ses travaux ne compteraient pas dans la balance. Aujourd’hui, elle affirme ne plus vouloir donner accès à son corps aux hommes et elle argumente avec authenticité et engagement sa position.

Dans le film de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, il n’est pas question de pornographie, mais de femmes qui soutiennent un discours politique pour deux d’entre elles :

  • Kiah Morris, représentante démocrate américaine, noire – particularité qui a son importance, puisqu’elle va subir de nombreuses attaques racistes. Elle vient de Chicago et a été la seule élue noire dans le Vermont.
  • Laura Boldrini, qui a été présidente du parlement italien et a fait l’objet d’attaques sexistes et de menaces de viols prononcées par des hommes politiques. 

Deux autres femmes ont également fait l’objet de harcèlement en ligne :

  • Laurence Gratton, une future enseignante québécoise, va se voir dégradée, humiliée et perdre confiance. En en parlant avec d’autres étudiantes, le harceleur sera identifié, mais jamais poursuivi pénalement.
  • Marion Séclin, youtubeuse et comédienne française a également connu les attaques en masse via les réseaux sociaux.

Ce qui est édifiant, c’est la lâcheté des agresseurs anonymes, qui agissent en masse et insultent, rabaissent, menacent des femmes. Parfois, ils se la jouent «machos virils», tel Beppe Grillo, qui lance des appels au viol de la parlementaire italienne. D’autres tel le harceleur des étudiantes en Sciences de l’éducation, qui se dissimule sous des identités féminines multiples pour déverser son fiel.

De quoi se nourrissent les attaques : le thème du retour est omniprésent : «Retourne dans ta cuisine, dans ton pays ! Rentre chez toi !». Il s’agit de déloger les femmes du droit de s’exprimer : «Tu n’as pas ta place !». La thématique de l’orifice est également toujours là, qu’il s’agisse de fermeture «Tais-toi ! Ferme-la !» ou de pénétration, d’où les multiples menaces de viol ou de meurtre. Une volonté de faire régner la terreur, de conduire les femmes à renoncer à être les égales des hommes se déploie. «On ne sait jamais ce qui peut arriver… s’ils ne vont pas mettre leurs menaces à exécution.» La cruauté n’a d’égal que la lâcheté de ces bonimenteurs. La perte du sentiment de sécurité qu’ils orchestrent redonnerait une consistance illusoire à leur organe pénien. La thématique prostitutionnelle envahit leurs propos : «Sale pute féministe !» clame tel suprémaciste américain se revendiquant de l’ex président blond.

Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist interrogent la responsabilisation des plateformes. L’arsenal juridique semble à construire urgemment car ni les responsables universitaires, ni les forces de l’ordre ne semblent en mesure de venir en aide aux victimes de cyberharcèlement. La bêtise d’une foule lorsqu’elle est de surcroît dans l’espace virtuel est indécente, déshumanisante. Il y a aussi le témoignage poignant de Glen Canning, père de Rehtaeh Parsons. Il affirme que sa fille est morte de «misogynie systémique» et milite pour la prévention du suicide dans les établissements scolaires suite au harcèlement : la méchanceté insistante a tué sa fille. Il est des mots qui tuent. La parole en ligne doit obéir à des règles d’humanité. Les vomissures, l’abject fascinent et font vendre, mais le prix à payer par celles et ceux qui en font les frais est bien trop élevé. Intimidations, moqueries, propagation de rumeurs, tels sont quelques-unes des armes des harceleurs. C’est à l’image de «la balance», vocable auquel recourent les univers mafieux pour empêcher la dénonciation des actes malveillants.

Solidarité et sororité doivent prendre le pouvoir sur ces nuisances dégradantes. Dénoncer un acte relève du courage et non de la lâcheté. Souvenons-nous que la balance est le symbole de la justice.

Daniel Charlemaine 50-50 Magazine

Chronique déjà publiée le 2 octobre 2023

Le 10 décembre  à 11h00 le film sera projeté au Cinéma Majestic Bastille 

La projection sera suivie d’une rencontre en présence de

Ketsia Mutombo, co-fondatrice et actuelle présidente de Féministes contre le cyberharcèlement, coautrice de Politiser les cyberviolences. Une lecture intersectionnelle des inégalités de genre sur Internet, afro-féministe engagée sur les questions de sûreté dans l’espace numérique et la propriété intellectuelle des personnes minorées.
Marie-Hélène Le Ny, photographe, membre de la LDH, rédactrice à 50/50, le magazine de l’égalité femmes/hommes.
Maryse Artiguelong, membre du Comité national de la LDH, spécialiste des données personnelles et de la protection de la vie privée.

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