Articles récents \ France \ Société Anne-Cécile Mailfert: « Je crois qu’une communauté de femmes réveillées peut changer le monde »

Ses longs cheveux châtains accentuent encore sa silhouette longiligne et son regard sérieux semble toujours un peu sur le qui-vive… C’est que, dans le contexte actuel de recul des droits des femmes et de montée de la brutalité, être militante féministe c’est forcément aussi être intranquille. Anne Cécile Mailfert est présidente et directrice générale de la Fondation des femmes qu’elle a co-fondé en 2016. Elle parle de son parcours et de cette fondation, forte aujourd’hui d’une équipe de 20 salarié·es et de 8,5 millions d’euros collectés et redistribués depuis huit ans à près de 600 projets d’associations luttant contre les violences subies par les femmes et pour les droits de femmes.

Anne-Cécile Mailfert, racontez nous cette aventure de la Fondation des femmes, ses objectifs. D’où vous êtes vous  partie, où en êtes vous et jusqu’où voulez vous aller ?

La Fondation des femmes est une organisation féministe créée pour les droits des femmes et contre les violences qui leur sont faites. Je suis partie du constat que sur les violences faites aux femmes, les associations féministes étaient souvent à court de moyens. De ce fait, il y avait beaucoup de choses qu’elles n’arrivaient pas à faire, ne s’autorisaient pas à faire sachant qu’elles n’auraient pas le financement nécessaire pour leur mise en œuvre. Cela réduit aussi les ambitions, voire conduit à y renoncer. Moi, en tant que militante, je voyais bien ce problème et je voyais aussi que les femmes victimes de violences ou de discriminations n’étaient pas toujours accueillies et accompagnées dans des conditions dignes, malgré la bonne volonté et l’engagement des bénévoles et salarié·es des structures dédiées. Tout cela par manque d’argent.

Dans le même temps, je constatais aussi que la société adhérait en général à l’idée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de lutte contre les violences et beaucoup souhaitaient faire quelque chose concrètement. Mais à l’époque, à part manifester ou signer des pétitions, on ne proposait pas forcément de faire ce qui se faisait sur d’autres sujets, à savoir faire un don. Pour moi, donner c’est une autre manière de militer, supplémentaire, et une possibilité de s’engager en étant immédiatement efficace car c’est immédiatement utilisable par des associations qui reçoivent des victimes de violences. C’est dans cet esprit que j’ai cofondé avec d’autres la Fondation des femmes. Elle est principalement concentrée sur les violences, parce qu’elles génèrent les plus grandes urgences, voire vitales. Mais sur les thématiques de plus long terme, notre objectif est aussi de soutenir les associations, de communiquer, faire des campagnes, ou encore lorsque j’ai l’occasion de prendre la parole dans les media, tout cela participe à élever le niveau de conscience féministe.

Vous étiez à l’époque présidente de l’association Osez le féminisme (OLF) après en avoir été porte-parole. 

Oui, c’est la période où après plusieurs années j’ai quitté Osez le féminisme, car c’était un militantisme passionnant mais épuisant. Nous travaillions énormément avec des moyens ridicules. Bénévoles, nous faisions tout nous-mêmes. Cette association étant parmi les plus connues et médiatiques, nous étions de plus en plus sollicitées pour rendre des avis dans divers domaines d’expertise, que nous n’avions pas forcément. La pression de l’urgence, du terrain et la charge mentale très lourde, faisaient que la violence était partout, y compris parfois en interne. Je n’ai pas été ménagée moi non plus (1).  On répète toujours que la vie des femmes est importante. A cette période où j’étais en plein burn out, je me suis dit que ma vie aussi l’était.

Mais je ne pouvais pas abandonner ma lutte pour les droits des femmes. J’ai décidé de poursuivre autrement, moins dans l’urgence et le militantisme de terrain, en agissant en soutien aux associations féministes, en leur apportant de l’argent, c’est-à-dire ce qui leur manque pour mener convenablement leurs missions. D’où l’idée de créer une fondation. Je savais comment lever des fonds, solliciter les réseaux pour trouver les bonnes personnes et constituer une équipe aussi solide que les détracteurs des droits des femmes qui, en face de nous, sont des lobbies puissants. Au début, j’étais toute seule dans mon salon et peu à peu j’ai rallié à mon projet des avocates, des communicantes, des spécialistes de la levée de fonds, des expertes dans les différentes thématiques de l’égalité femmes/hommes. Aujourd’hui, nous avons une équipe de vingt personnes et nous avons collecté auprès de donateurs et donatrices engagé·es 8,5 millions d’euros, redistribués à près de 600 initiatives d’associations de soutien aux femmes. Oui, c’est une belle histoire et j’espère pouvoir la porter le plus loin possible avec l’équipe qui est là depuis le début, pour la majorité, dans l’intérêt des femmes et de leurs droits !

Et vous, Anne Cécile Mailfert, au-delà de la militante féministe, qui êtes-vous ? Parlez nous de votre enfance, votre jeunesse, votre parcours professionnel et personnel.

Je vais bientôt avoir quarante ans, mais… je suis encore trentenaire ! dit-elle avec un sourire malicieux, qui tout à coup illumine son visage un peu grave. J’ai deux enfants, je suis native de Lorraine et parisienne depuis le début de ma vie professionnelle. Fille d’enseignant·es, aussi loin que je me souvienne j’ai toujours été rebelle. Je contestais volontiers ce qui me semblait absurde comme « le masculin l’emporte sur le féminin ». J’avais déjà le ferment féministe ! Et très tôt, le sens de l’engagement citoyen : enfant, j’étais déléguée de classe, puis à Sciences Po Lille, je me suis impliquée dans la vie étudiante. Ensuite, j’ai travaillé dans l’humanitaire pour développer un projet d‘énergies renouvelables auprès des peuples autochtones au Nicaragua. Ces questions d’environnement, d’égalité des chances, de cultures des peuples natifs m’intéressaient beaucoup. Pour moi, tout cela ressort du même système de domination que la condition des femmes. Moi aussi j’ai subi des violences, comme nous toutes. Nous les femmes, nous vivons, nous partageons un même vécu, partout sur la planète.

Au fil des ans, cette cause est devenue essentielle pour moi. Venir à bout du modèle de domination des hommes sur les femmes, système centré sur les hommes et qui ne s’intéresse pas aux autres, à ce qui est autre. Je crois que si nous partageons ce vécu des femmes, si nous en parlons, nous pouvons œuvrer pour que nos filles ne vivent pas la même chose. Je crois qu’une communauté de femmes réveillées peut changer le monde !

Quand on y pense, c’est vertigineux ce que les femmes sont détestées. Et, malgré toute cette haine, c’est incroyable tout ce qu’elles parviennent à faire ! Et tous les progrès qu’elles gagnent pour l’égalité et les droits, pour la planète, elles ne l’obtiennent pas en faisant des attentats ou en fomentant des guerres, elles… Le féminisme n’a jamais été violent. Nous demandons juste qu’on arrête de nous violer, de nous tuer et nous réclamons l’égalité. Rien d’exorbitant !

Outre la Fondation de femmes, vous chroniquez aussi à France Inter chaque vendredi « En toute subjectivité » sur les droits des femmes. Pourquoi avez-vous accepter cette charge supplémentaire, alors que votre agenda déborde déjà ?

Parce qu’il faut absolument communiquer. On ne peut pas faire sans. Toute cette violence et ces discriminations massives contre les femmes continuent parce que le système de domination masculine fait tout pour les invisibiliser, euphémiser, ou tout simplement ne pas en parler. Or, il faut parler, nommer, dire. Parler de ce dont on n’aime pas parler : les viols, l’inceste…

Il faut d’abord faire prendre conscience aux femmes qu’elles partagent une condition commune avec toutes les autres, qu’elles subissent une domination, que ce n’est pas leur faute et qu’elles ont tout intérêt à se lier entre elles. Puis sensibiliser l’opinion publique et les hommes qui, face à cette communauté de femmes « réveillées », ne pourront plus faire autrement que changer leur manière de voir et d’être.

En dehors de cette grande ambition pour la société, quel est votre rêve aujourd’hui ?

Mon rêve, là, maintenant ? J’aimerais simplement partir en voyage quelque part avec mes enfants et mon compagnon, pouvoir souffler un peu, retrouver un peu d’insouciance. C’est mon rêve, pouvoir avoir un peu de tranquillité.

Pour finir, si vous deviez vous définir par une qualité et un défaut, quels seraient ils ?

Je crois que ma qualité principale est l’enthousiasme car je suis souvent partante pour faire des choses, je suis positive, je pense que c’est possible de changer la vie, changer le monde. Je pense que c’est une qualité parce que sinon on n’avance pas. Et du coup, le côté négatif de l’enthousiasme c’est peut-être la précipitation, je peux aller un peu trop vite, ne pas faire assez attention. Oui, je peux être précipitée.

Un mot de conclusion ?

Je voudrais un peu de répit pour les femmes. 

Propos recueillis par Jocelyne Adriant Metboul 50-50 Magazine

Photo de Une ©  Laurie Bisceglia

1 Anne Cécile Mailfert  a subi du cyberharcèlement de la part de médecins pour avoir dénoncé une fresque sexiste dans un hôpital.

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