Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Les valeurs universelles du sport. Un combat féministe

Historiquement le patriarcat s’est toujours caractérisé par l’appropriation du corps des femmes et par leur assignation dans l’espace privé. Le sport est un facteur d’émancipation dans la mesure où il casse cette logique en mobilisant nos corps dans l’espace public. Ce n’est pas sans raison que Nicole Abar, ancienne internationale de football, prononce à plusieurs reprises trois mots clés : « Corps, motricité, espace » dans le documentaire La conquête de l’espace avec comme objectif de vaincre les inégalités qui persistent entre les garçons et les filles dès le collège !

Autre atout du sport moderne, l’obligation de respecter des règles techniques mais aussi éthiques uniformes mises en œuvre par une puissante organisation pyramidale, avec au sommet le Comité International Olympique et les Fédérations internationales. Ainsi, la Charte Olympique affiche des « principes éthiques fondamentaux universels. Parmi ceux-ci, la non-discrimination y compris de sexe (principe N°6) ; et la neutralité politique, religieuse et raciale (règle 50.2).

L’obligation de neutralité est plus exigeante que la laïcité dite à la française, car elle s’applique dans des espaces publics aussi bien au personnel d’encadrement, qu’aux sportives/sportifs « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique »). A l’origine de cette obligation la notion de Trêve Olympique qui remonte au 9e siècle av. J.-C., lorsque les cités-États en guerre suspendaient les hostilités pendant les Jeux. Rappelons qu’ à l’initiative du CIO, cette notion est reprise par les Nations Unies chaque année Olympique. Pourtant, comme le souligne le Conseil des sages de la laïcité (2), la promulgation explicite de cette règle, n’est intervenue qu’en 1976 à la suite d’évènements ayant fortement entaché la sérénité des Jeux, le plus grave étant l’attentat perpétré par le commando Septembre Noir contre l’équipe israélienne en 1972.

Sans surprise, alors que certaines associations de défense du droit des athlètes contestent la limitation de leur droit à la liberté d’expression, le président du CIO, Thomas Bach, ne manque pas une occasion de souligner l’importance de la règle 50. Ainsi, dans son message de vœux de l’année 2020, il a rappelé que : « Les Jeux Olympiques sont et restent une plateforme mondiale réservée aux athlètes et à leurs performances sportives. Ils ne sont pas et ne doivent jamais être une plateforme qui permette de parvenir à des fins politiques ou qui soit susceptible d’être une source potentielle de discorde » . Réagissant à la « Déclaration des athlètes » de 2018, qui affirme, parmi leurs droits, (§.6) « la liberté d’expression », le CIO a remis les pendules à l’heure en publiant en 2020, un « guide d’application de la règle 50 » réaffirmant la règle, et précisant les quelques espaces où les athlètes peuvent s’exprimer.

L’universalité dans le sport ne s’applique-t-elle qu’aux hommes ?

La Ligue du Droit Internationale des Femmes (LDIF) fit une irruption très remarquée dans le monde olympique dès 1992, lors des JO de Barcelone. Alors que la presse du monde entier se réjouissait du retour de la délégation d’Afrique après 30 ans d’exclusion pour cause d’apartheid, personne ne remarquait l’absence de femmes de 35 délégations. Interpellant le CIO, la LDIF osa qualifier cette situation « d’apartheid sexuel », exigeant l’exclusion des pays en cause.

D’Olympiade en Olympiade, les interventions de la LDIF porteront leur fruit, et le nombre de délégations sans femmes ne cessera de diminuer. Enfin, en 2012 aux JO de Londres toutes les délégations comportaient des femmes ! Amère victoire, car, en contrepartie, le CIO avait accepté les conditions discriminatoires imposées par les théocraties islamistes à la participation des femmes aux Jeux : corps couvert de la tête aux pieds, participation aux seules compétitions non mixtes et compatibles avec le coran.

Alors que pour les hommes l’universalité se conçoit sans réserve, les conditions posées et acceptées par le CIO reviennent à admettre la cohabitation, dans le stade olympique, de deux modèles de développement du sport féminin : un modèle relevant de critères sportifs, et un modèle relevant de critères politico-religieux.

Ces entorses à la Charte sont le résultat du prosélytisme de la République Islamique d’Iran en faveur d’un « modèle sportif islamiste féminin ». L’objectif affiché étant d’éviter « la corruption qui pourrait naitre de la présence simultanée d’hommes et de femmes dans un même espace « . D’où une double stratégie : organisation à Téhéran tous les 4 ans, avec la caution du CIO, de jeux séparés pour les femmes et, simultanément, faire du lobbying auprès des réseaux femmes et sport pour obtenir leur soutien afin que des femmes voilées puissent participer aux compétitions internationales officielles.

2008 constituera un véritable un tournant avec la publication de la « Déclaration : Accepter et Respecter » élaborée avec le Réseau International Femmes et Sport IAPESGW regroupant des représentantes de plus de 40 pays, et s’adressant aux Fédérations Sportives Internationales en ces termes : « Nous exhortons les fédérations sportives internationales à manifester leur attachement à l’intégration en veillant à ce que leur code vestimentaire pour les compétitions satisfasse aux exigences musulmanes, en tenant compte des principes de convenance, de sécurité et d’intégrité ».

Les Fédération Sportives Internationales céderont à cette injonction les unes après les autres. Puis ce sera au tour des organisations internationales institutionnelles qu’il s’agisse en 2011 du Conseil de l’Europe, en 2013, des ministres et hauts fonctionnaires responsables de l’éducation physique et du sport  et enfin en 2015, de l’UNESCO qui révisera sa Charte de 1978 sur l’éducation physique, l’activité physique et le sport : la très belle phrase « le sport langage universel par excellence » disparait et l’article 1.3 stipule que : « tous les êtres humains, notamment les enfants d’âge préscolaire, les femmes et les filles, les personnes âgées, les handicapés et les populations autochtones, doivent se voir offrir des possibilités inclusives adaptées, sans risque de participer à l’éducation physique, à l’activité physique et au sport ». 

En résumé, les femmes dans leur ensemble sont reléguées dans la catégorie des personnes vulnérables. La notion d’inclusivité remplace celle d’universalité des droits.

Elargir le combat à la reconnaissance de la notion d’apartheid sexuel

La laïcité souffre de plusieurs handicaps dans le contexte sportif international qui nous occupe : tout d’abord elle est considérée comme une spécificité française, alors que le sport est régi par des règlements internationaux. Deuxième handicap, si on s’en tient strictement aux termes de la loi de 1905, la séparation des églises et de l’Etat concerne essentiellement les agents de l’Etat, et non le public en général, ni l’espace public. On notera cependant avec satisfaction la décision de cette année du Conseil d’Etat dans l’affaire des hijabeuses qui étend l’application de la laïcité aux joueuses en compétition : il n’y aura donc pas d’athlètes voilées dans la délégation française lors des JOP Paris 2024 ! Reste que la situation, y compris en France demeure fragile et qu’il apparait souhaitable d’étendre la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques au sport.

A propos de la décision du Conseil d’Etat sur l’interdiction du port du voile par les footballeuses :

Les requérant.es, dont la Ligue des droits de l’homme, soutenaient que cette interdiction, posée par les statuts de la Fédération, était contraire à la liberté d’expression religieuse. Le Conseil d’Etat rejette les requêtes, en distinguant la situation des cadres de la fédération, incluant les équipes de France, et celle des simples licencié·es. Pour les premier·es, qui sont en charge d’un service public, le principe de neutralité s’applique, de sorte qu’il leur est interdit de manifester leurs convictions personnelles. Pour les second·es, auxquel·les le principe de neutralité ne s’applique pas étant simples usager·es du service public, le Conseil d’Etat reconnaît toutefois aux fédérations sportives un pouvoir normatif leur permettant d’interdire le port de signes religieux afin d’assurer le bon déroulement des matches  29 juin 2023, Alliance citoyenne et autres).

Il est clair qu’il ne suffit pas d’invoquer la laïcité pour mettre un terme aux ingérences du religieux dans l’espace sportif. C’est pourquoi nous préconisons d’en appeler aux Instances des Nations-Unies en charge de la défense des droits humains. L’objectif est d’obtenir que la Convention Internationale de 1973 sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid soit élargie au cas de l’apartheid sexuel.

Cette convention est particulièrement efficace en ce qu’elle interdit aux Etats signataires sous peine d’être considérés comme complices, toute collaboration avec l’Etat en cause, qui devient ainsi une sorte d’Etat paria. A noter que l’une des retombées du texte sur l’apartheid racial a été le vote, en 1985, d’une convention contre l’apartheid dans le sport, à laquelle le CIO fera référence pour exclure l’Afrique du Sud des compétitions.

Dès à présent, à la lumière des violences dont sont victimes les femmes en Iran et en Afghanistan, des experts internationaux de haut niveau se prononcent en faveur de l’extension de la convention de 1973. Faut-il encore qu’un pays, pourquoi pas la France ait le courage de présenter cette demande en AG des Nations Unies ?

Il est encore temps de réagir et de faire en sorte que le choix de Paris réponde aux attentes qui ont été placés en lui. N’oublions pas que la candidature de Paris a été soutenue par plus de 50 métropoles dans le monde en ces termes : Paris « dispose des atouts et de la volonté nécessaires pour donner un nouveau souffle aux valeurs olympiques ». Le combat contre la radicalisation islamiste est avant tout un combat de valeurs et de modèle de société, où la place des femmes et la mixité sont des enjeux majeurs.

Annie Sugier Présidente de la Ligue du Droit International des Femmes

 

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