Articles récents \ Culture \ Sport France Marie Grasse : «Atteindre la parité pour les prochains Jeux Olympiques serait un signal fort »

130 années d’histoire du sport féminin sont actuellement retracées au Musée National du Sport, une exposition temporaire qui s’inscrit dans la célébration des 30ème Jeux Olympiques et des 17ème Jeux Paralympiques qui se dérouleront cet été à Paris. Une belle occasion de se rendre dans ce musée d’une qualité exceptionnelle à découvrir en famille qu’on pratique un sport ou non. Si aujourd’hui, expérimenter un sport est vivement recommandé pour notre santé physique et mentale à tou.tes, cela n’a pas toujours été le cas pour les femmes, et principalement pour celles qui souhaitaient devenir des professionnelles. On a encore en tête les attaques misogynes de Marc Madiot, à la cycliste, Jeannie Longo en 1987, ou encore les images de la marathonienne, Kathrine Switzer en 1967, empêchée de courir du temps où les femmes étaient interdites de marathons sous prétexte que leur utérus allait tomber. Pour les « Elles des jeux », le sport a été synonyme d’émancipation, de revendications et de liberté. Marie Grasse est directrice générale du Musée national du sport.

Pourquoi avoir choisi de retracer le combat des sportives pour accompagner les JO de Paris 2024 ?

A l’aube des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, il était évident et nécessaire pour le Musée National du Sport de traiter de l‘olympisme. Au moment de se pencher sur la thématique de l’exposition, nous étions déjà extrêmement sollicité·es par de nombreuses institutions qui souhaitaient, elles aussi, s’emparer du sujet. Il était donc important pour nous de proposer un angle différent, pas uniquement basé sur l’événement olympique ou sur la performance.

L’approche de la place des femmes au sein du mouvement olympique est une dimension plus sociétale qui correspond bien au Musée National du Sport. Proposer cette thématique d’exposition, l’année où l’objectif d’atteindre enfin la parité parmi les athlètes aux Jeux Olympiques nous est apparu comme un choix à la fois fort mais assez logique.

Pouvez-vous nous expliquer le titre de l’exposition, Les Elles des Jeux ?

Au départ le titre de l’exposition devait être « Femmes Olympiques » mais cela n’a finalement pas été possible pour des questions de droits concernant le terme « Olympique » dont l’utilisation est très encadrée. Une réflexion a donc eu lieu entre les équipes du musée, les commissaires de l’exposition et les partenaires du projet pour trouver un autre titre tout aussi évocateur. Le travail n’était pas évident puisqu’il était nécessaire de parvenir à faire cohabiter les notions de femmes et d’olympisme dans un titre suffisamment court.

Ce titre « Les Elles des Jeux » a été proposé en interne par notre régisseuse d’exposition. Il a très rapidement été validé par toutes les parties parce qu’il permet de se projeter dans chacune de ces histoires individuelles qui, mises bout à bout, symbolisent et résument les combats qui ont été menés, les victoires qui ont été remportées. Quand un titre est si évident et évoque aussi bien le principe de l’exposition, il est nécessaire de le mettre en avant et de le supporter, à la fois dans la communication mais aussi et surtout au sein même de l’exposition. C’est pourquoi tous les textes ont été réécrits en ayant ce titre en référence. Chaque sportive devient ainsi une « Elle » qui grâce à sa propre histoire a permis de faire bouger les lignes, avancer la cause.

Peut-on considérer que le sport est une des plus fortes résistances masculine à tomber puisque la parité femmes/hommes sera elle quasiment une réalité cet été pour la première fois ? Est-ce le cas pour les jeux paralympiques ?

Peut-on réellement dire que ce bastion masculin est tombé ? Le chemin parcouru depuis 130 ans est immense et spectaculaire mais est-ce que nous pouvons aujourd’hui affirmer que les femmes bénéficient de la même visibilité et des mêmes conditions de pratique que les hommes ? Je ne le pense pas.

Il reste encore beaucoup à faire et cette exposition, comme d’autres projets, permet de sensibiliser sur ce phénomène et sur les inégalités qui perdurent. Les sportives ne sont que trop peu mises en avant par rapport au sport masculin, les dirigeantes sont encore trop peu nombreuses, les disparités salariales demeurent… Atteindre la parité pour les prochains Jeux Olympiques serait un signal fort mais il est important que ce ne soit qu’une étape de plus vers une égalité totale.

Le sport est un rapport au corps. Depuis des millénaires, celui-ci a été contrôlé par les hommes et les religions. Qu’il soit professionnel ou pas, le sport est-il une forme de liberté et d’émancipation pour les femmes ?

Là encore, il nous faut faire preuve de prudence. Comme le démontre aussi l’exposition, le sport a depuis toujours ou presque été un instrument de communication ou de propagande. Certaines images peuvent parfois être trompeuses ou a minima, partiellement exactes. De plus, il semble délicat d’affirmer que le corps des femmes est aujourd’hui moins contrôlé qu’auparavant, notamment dans la pratique sportive. L’exemple de Caster Semenya, athlète hyperandrogène (1), est particulièrement révélateur des difficultés qui sont encore rencontrées aujourd’hui par les sportives.

Pour autant, le sport peut être, il est vrai, un formidable outil de liberté et d’émancipation. Certains exemples, en Iran ou ailleurs dans le monde, ou même en France, nous le rappellent régulièrement. La pratique sportive peut offrir un levier de revendication particulièrement puissant, notamment pour les femmes ou plus généralement, pour les personnes victimes de discrimination. Les athlètes le savent et tentent parfois d’utiliser ce terrain d’expression pour porter un message même si bien souvent les institutions essaient d’en limiter les possibilités. A haut niveau, un·e athlète qui exprime des opinions politiques risque des sanctions qui peuvent aller jusqu’à une interdiction de participer aux compétitions.

Comment est construit le parcours de cette exposition ?

Le parcours de l’exposition est à la fois thématique et chronologique. Il tente de permettre aux visiteuses/ visiteurs de mesurer le chemin parcouru par les femmes depuis plus de 130 ans, à travers les histoires de femmes emblématiques au destin exemplaire. Six parties composent le parcours.

Avec « Elles ne sont pas les bienvenues », l’exposition entame son voyage dans le temps par les premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne. Tout rénovateur qu’il fut, le baron Pierre de Coubertin, fidèle en cela à son milieu et à son héritage, ne s’est guère préoccupé de leur sort en même temps qu’il remettait les célébrations antiques au goût du jour. Les femmes furent inscrites aux abonnées absentes lors des premiers jeux de l’ère moderne en 1896 à Athènes et réduites, au mieux, à pratiquer quelques activités de loisirs (golf, tir à l’arc, etc.) à l’occasion des deuxièmes.

Dans « Elles prennent leur destin en main », l’exposition rend hommage aux (trop rares) femmes qui depuis un siècle ont essayé de jouer un rôle de premier plan dans le monde du sport. Des dirigeantes, des journalistes, des autrices, des photographes, des cinéastes, à commencer, évidemment par Alice Milliat, la première à avoir tenté de permettre aux femmes de participer aux compétitions sportives notamment aux Jeux Olympiques, par la création, en 1922, de Jeux mondiaux féminins. Les quatre éditions, jusqu’en 1934 préfigurent les compétitions féminines qui vont enfin se mettre en place à partir de la seconde moitié du XXe siècle.

La thématique « A jamais les premières » projette le visiteur dans l’espace olympique où se matérialise l’excellence sportive. Pour les femmes, il s’agit d’une compétition qui rime avec combat. Celui pour leur intégration qui se fait directement en lien avec l’évolution des mentalités. Des premières championnes olympiques,  aux championnes olympiques dans des disciplines catégorisées comme masculines, le sport au féminin a vu, et voit toujours, se succéder des pionnières. Progressivement, elles sont également placées comme égéries de leur pays et de l’olympisme … Tout un symbole de l’évolution du sport au féminin.

La lutte se poursuit et s’intensifie dans « Elles imposent leurs choix » qui présente les Olympiennes qui se sont élevées contre les ostracismes et les injustices pour accéder à une naturelle reconnaissance sportive. Nous mettons en avant les histoires exceptionnelles de celles qui ont osé, avant les autres, mieux que les autres, vivre leurs différences et leurs audaces sans tenir compte du regard d’autrui. Grâce à ces pionnières dignes d’un Panthéon d’exception, les sportives dans leur ensemble ont gagné de nombreuses batailles de manière parfois si exemplaire que leurs luttes ont servi la cause des femmes au sens large.

« Elles font face aux limites du corps » permet d’interroger les visiteuses/visiteurs sur un autre symbole sociétal. Outre les soucis d’égalité, la sportive est au cœur de représentations de beauté et doit répondre aux normes qui sont celles de son sexe biologique. Tout comme les hommes, les sportives sont parfois instrumentalisées par leur pays, mais aussi par le monde sportif. Elles sont également souvent des victimes mais aujourd’hui, leur parole se libère.

Enfin, la route se termine à Paris où, pour la première fois, 50 % des 10 500 athlètes engagé·es, originaires de 206 pays, devraient être des femmes. Aucun doute, « Elles nous attendent aux Jeux de 2024 » et une grande partie de l’histoire reste à écrire…

Quels sont les plus de votre exposition ?

Peut-être les différents niveaux de lecture. Il s’agit d’une exposition immersive qui permet à la visiteuses/ visiteur qu’elle/il soit d’accéder au contenu qui l’intéresse. Le retour d’expérience de ces premiers jours d’ouverture est très positif. Les enfants qui viennent dans le cadre scolaire sont très surpris·es, parfois choqué·es, et cela créé des échanges très intéressants. Les passionné·es de sport découvrent des tenues inédites de championnes de légende (Simone Biles, Serena Williams), des histoires méconnues et parviennent à apprendre de nouvelles choses, grâce à l’angle si spécifique de l’exposition. Enfin, les habitué·es de musées et des lieux de culture y trouvent certaines œuvres majeures, des contenus en lien avec notre société et sortent de l’exposition avec de nouvelles perspectives et interrogations. C’est une phrase commune mais il s’agit vraiment d’une exposition qui s’adresse à tou·tes, de 7 à 77 ans, et même avant et après…

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

1 L’hyperandrogénie surrénalienne est un syndrome dans lequel l’excès d’androgènes surrénaliens entraîne une virilisation.

Musée National du Sport – Stade Allianz Riviera 6 allée Camille Muffat Nice

Exposition jusqu’au 22 septembre 2024

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