Articles récents \ Chroniques Theâtre’Elles : terre brulée
D’ABORD
La lumière
Une ligne de lumière
Qui se dessine sous la porte
Puis s’élargit sur le sol
Quand la porte s’ouvre
Doucement
Et le pas qui enjambe
Franchit la ligne
Pourquoi provoquer un dernier sursaut quand j’étais au bord de sombrer ?
Une surprise ?
« Dors, un dernier regard avant ton sommeil, tout va bien »
La main sur le front
Tendre, chaude
Les yeux se ferment
PUIS
Revient la ligne
Tu la franchis encore
Ton corps près du mien
J’entends
De plus en plus souvent
Ton souffle qui s’amplifie
Pendant que les paupières se ferment
De plus en plus souvent
Tu retires la couverture
J’ai froid
« Laisse-moi faire, tu dis,
Vois comme tu es belle sous la main qui réchauffe »
Et la main se promène
Ne demande pas son chemin
Déambule où elle veut
Pendant que le souffle s’accélère
Encore
« J’aime ces moments où l’on est tous les deux,
Tu me fais tellement de bien, je t’en ferai aussi »
APRÈS
J’attends la ligne
Guette les pas qui la précèdent
Je ne sais pas pourquoi
Elle est apparue
Est devenue
Le nouveau contour de l’espace et du temps
Mais je sais qu’elle reviendra
Dessin indélébile qui annonce
La main maîtresse en sa demeure
Envahissant des zones
Que je croyais interdites à tout autre que moi
Et puis la main saisit la mienne
Réclame, Ordonne
« Promène-toi aussi sur mes contours, donne autant que tu reçois, je te guiderai
Et tu verras comme je t’aime »
POURTANT
Le temps de la ligne franchie
-Vois mon ingratitude !-
Est devenu celui de la terreur
Les yeux ne se ferment plus
Ne peuvent plus
Plus rien n’a la saveur d’antan
Le présent anticipe la ligne qui revient
Et tout est abîmé
Par les papillons lumineux qui restent dans les yeux
Aveuglée par la lumière
Qui obscurcit
Puisqu’elle reviendra
Puisque la porte que tu ouvres
La dessinera
Que tu la franchiras
Rien ne s’oppose et ne s’opposera
J’ai compris ça
Ces moments que tu m’offres je voudrais les aimer
MAIS.
Non je ne dirai rien, mes lèvres sont scellées, je promets, je suis grande, je sais garder un SECRET
Même
Si maintenant je pleure
Tout le temps
« Qui peut comprendre la force et la beauté de notre amour ?
Personne, non jamais, ne pourra t’aimer autant que moi
Désormais nous sommes liés, nos lignes se confondent,
Plus rien ne distingue ta chair et puis la mienne
Dis merci »
MAINTENANT
Je me dis
Que j’ai abdiqué
Sans lutter
Je me suis abandonnée
Et parfois j’ai joui de l’ennemi
De ÇA
Je ne m’absoudrai pas
De ÇA
Je ne me relèverai pas
Comment je saurai désormais à qui me fier ?
Comment je saurai désormais si j’aime ou si je hais ?
Comment je saurai reconnaître le danger
Puisque d’abord
Mon corps n’a pas su m’alerter ?
Il restera la honte
A perpétuité
Je voudrais tant
DIRE
L’obligation
CRIER
J’ai été vaincue par
La force et la violence de l’envahisseur
Tout ce qui pourrait prouver ma résistance
Pour empêcher que
ÇA
Arrive
Plutôt que le soupçon du consentement
MAIS
Je n’ai pas pris les armes
Je n’ai pas su
Monter les murs, ériger des murailles
Pour te laisser
Derrière la ligne jaune
A ta place
Te tenir en respect, te tenir à distance
Derrière la ligne rouge
Celle qu’on ne franchit pas sans abîmer la vie
Mais je ne savais pas que nous étions en guerre
Mais je ne savais pas -qui dit ces choses-là ?-
Que l’ennemi avait le regard de l’amour
J’ai pactisé collaboré
Qu’on me tonde et qu’on me livre
NUE
Puisque je n’ai pas vu
Puisque je n’ai pas su
Me protéger de toi
Tu as foulé mon corps comme un propriétaire en son terrain conquis
Frontières abolies
Planté ton drapeau
Là
Sur ma chair
Et moi je ne sais plus distinguer mes contours
Désormais
Mon corps m’est étranger
Puisque tu l’as choisi
Ton lieu de résidence
Territoire occupé à jamais
Puisque tu l’as violé
En le prenant tu l’as donné
Il ne m’appartient plus
Je ne m’appartiens plus
Prête maintenant
Pour vos invasions barbares
Prête toujours
Pour vos appétits
Prenez
Ceci est mon corps
Livré pour vous
Livré par toi
Papa
Ceci était mon corps
Faites ceci en mémoire de lui :
PRENEZ ET MANGEZ
Rachel P 50-50 Magazine