Articles récents \ France \ Société Belinda Cannone : « le combat doit avoir lieu non pas dans une position victimaire, mais avec l’élan de la puissance, de la joie et de l’énergie »

Tout a commencé dans le regard et les paroles d’un père (d’origine sicilienne, émigré en Tunisie où Belinda Cannone est née en 1958) qui inculque à sa fille sa capacité à développer sa puissance, son aptitude à réussir et à obtenir tout ce qu’elle désire pour peu qu’elle s’en donne la peine. Ainée investie d’une confiance, la condition de femme de Belinda Cannone a tout de suite été validée.

Alors qu’elle est persuadée de l’égalité des compétences et des droits entre femmes et hommes, elle doit constater, dès son arrivée au lycée saint Exupéry à Marseille, que ce n’est pas aussi simple. C’est là qu’elle commence à militer dans les « groupes femmes ».

Consciente de la force que son éducation lui a donnée, et convaincue que tout le monde n’a pas sa chance, Belinda Cannone souhaite faire bouger les choses. Déterminée à devenir autrice dès son plus jeune âge, elle rejoint Paris à la fin des années 1970, alors que les mouvements féministes comme le MLF sont très actifs. Elle s’y engage, plus par conscience politique (située à gauche) que parce qu’elle aurait à se plaindre de son sort personnel. Dans les années 1990, alors que le féminisme fait beaucoup moins parler de lui, Belinda Cannone continue à se déclarer féministe, voulant une égalité entre les femmes et les hommes sans concession. Elle devient enseignante en littérature comparée fin 1989, et publie son premier roman en 1990 : Dernières promenades à Petrópolis.

Une féministe qui trace sa propre voie

Dans les années 2000, les groupes féministes qui avaient un peu disparu à la fin du XXème siècle renaissent de leurs cendres. Ce féminisme nouveau ne satisfait pas Belinda Cannone et l’incite à écrire La tentation de Pénélope, publié en janvier 2010. Selon elle, étant donné les moyens et la philosophie du féminisme contemporain, on risque, comme Pénélope, de défaire le travail qui avait été tissé par les générations féministes précédentes. Elle défend un féminisme universaliste face à une troisième vague qu’elle qualifie de « différentialiste ». Ce qui préoccupe ces néo féministes est la revendication des différences entre femmes et hommes, à laquelle s’ajoute une posture de victime. Or Belinda Cannone déclare : « Une femme, c’est avant tout une personne humaine qui agit. Au-delà d’être, il s’agit de savoir ce qu’on peut faire ». Pour Belinda Cannone, le féminisme d’une société se mesure à la liberté qu’elle donne aux femmes de faire ce qu’elles souhaitent. Le seul endroit où elle défend une distinction entre  les femmes et les hommes, c’est dans la reproduction humaine et dans l’érotisme, la sexualité, étant donné les différences entre les corps. Mais cette remarque prend plus pour elle la forme d’une question : jusqu’à quel point ce corps différent induit il des fonctionnements ou un cerveau dissemblables ? Pour le reste, lorsqu’elle est en train d’enseigner, de jardiner ou d’écrire, Belinda Cannone ne se sent pas une femme mais une personne en train d’agir. C’est d’ailleurs là que se situe selon elle la force des hommes : eux ne se posent pas la question de leur masculinité en agissant, l’interrogation sur leur identité n’est pas fructueuse.

En 2017, avec #MeToo intervient un grand bouleversement. C’est un moment important où les femmes mettent au jour les multiples violences sexistes. Mais là encore, pour Belinda Cannone, il y a une grande différence entre être une victime, et être victime de discriminations ou d’inégalités diverses. Pour elle : « le combat doit avoir lieu non pas avec une position victimaire, mais avec l’élan de la puissance, de la joie et de l’énergie.  »

Elle pense que depuis 2000 et le vote des lois pour la parité, dernière pièce de l’arsenal législatif en faveur de l’égalité, tout est inscrit dans la loi. Les femmes ont donc tout conquis, reste, gros travail, à changer les comportements qui sont, eux, beaucoup moins malléables, d’où une certaine irritation des jeunes générations. Ne souhaitant pas signer la tribune dite de Catherine Deneuve, car elle ne partage pas la position de certain·es sur le désir ou la liberté d’importuner, Belinda Cannone signe une autre tribune, arguant que la vraie avancée dans les comportements aura lieu lorsque les femmes seront les sujets expressifs de leur désir. Pour elle, il faut se battre contre les violences sexistes, mais les femmes doivent grandir et devenir plus puissantes dans l’expression de leur désir, c’est cela le plus difficile. Ainsi se marque la volonté de Belinda Cannone de toujours parler à l’intérieur de son camp pour l’inviter à aller plus loin.

Deux chantiers : l’éducation et la vigilance sur l’international

C’est principalement par l’éducation que pourra se faire ce chemin. Belinda Cannone trouve très dommageable que la jeune génération de filles subisse l’enseignement de mères qui les positionnent en victimes.  De belles avancées sont à noter : le travail de la parité dans le cinéma par exemple, avec le collectif 50/50 qui a rendu visibles de nombreuses femmes cinéastes. Le monde a énormément changé, il ne faut pas être défaitiste et se lamenter en disant qu’il ne se passe rien, mais c’est dans les milieux professionnels qu’il faut continuer à porter des revendications. Une question essentielle à ses yeux reste la charge concrète et mentale des enfants qui demeure le lot des femmes. La question des crèches ou des congés paternels est capitale, elle est politique. Il faut que les femmes puissent s’investir dans leur métier autant que les hommes, et qu’elles soient donc soulagées de cette responsabilité qui est prédominante lorsqu’elles ont entre 30 et 40 ans, âge où les hommes font leur carrière.

Aujourd’hui, si Belinda Cannone milite moins, elle se préoccupe des femmes du monde entier et souhaite que les féministes restent mobilisées sur les combats qui ont lieu également à l’étranger.

Pour elle, l’accès au symbolique, c’est-à-dire au monde intellectuel et à la création, s’est fait jusqu’ici par le père qui donnait comme une autorisation. Il est probable que cet accès passe dorénavant aussi par la mère qui incarne peu à peu la puissance de penser et d’agir. Ainsi les femmes se sentiront elles vraiment « autorisées ».

Catherine Benazeth 50-50 Magazine

Photo©Lionel Cannone

Bibliographie sélective

Nu intérieur, roman, Ed. l’Olivier 2015

La Tentation de Pénélope – Une nouvelle voie pour le féminisme, Ed Pocket, 2019

Le Nouveau Nom de l’amour, essai, Ed. Stock, 2020

Les Vulnérables, nouvelles, Ed. Stock 2024

 

 

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