Articles récents \ France \ Économie Elisa Carcheri : « Encadrer des hommes, je trouve cela plutôt naturel, à mon âge »

Selon les derniers chiffres disponibles de l’Observatoire des métiers du BTP, le secteur de la construction comptait 12,3% de femmes en 2021. Elles étaient plus nombreuses dans le bâtiment (12,6% des effectifs totaux) que dans les travaux publics (11,5%). Et pourtant, elles sont plombières, plâtrières, étancheuses, carreleuses, solières, menuisières… Mais elles peinent à être embauchées malgré leurs qualifications et leurs compétences. La pénibilité du travail et la force physique restent évoquées pour être recrutées. Pourtant les femmes ont toujours occupé des postes où ces critères étaient présents (ex : aide-soignante) et la technologie soulage, depuis longtemps, la charge des poids. Encore aujourd’hui, la force physique, apparait comme un élément structurant de l’identité du bâtiment, et reste utilisée pour légitimer la non-féminisation de ce secteur. Elisa Carcheri a travaillé toute sa vie dans le BTP. D’abord dans les bureaux comme assistante de direction puis, elle est devenue conductrice de travaux sur les chantiers de la Principauté de Monaco.

Quel est votre parcours ?

De nationalité italienne, je me suis spécialisée dans l’étude de langues et cultures étrangère, puis j’ai obtenu une maîtrise de droit. Installée en France depuis 2007 et naturalisée française, j’ai travaillé comme assistante administrative dans le BTP. En 2021, j’ai obtenu un BTS – Support à l’action managériale via la Validation des Acquis et de l’Expérience (VAE) en vue de devenir conductrice de travaux. J’ai obtenu mon BTS en V.A.E. en mars 2022, et, tout en continuant à travailler, j’ai commencé à postuler comme conductrice de travaux junior. Mon rêve a pris forme le 1er juillet 2022, quand j’ai enfin enfilé mes bottes et mon casque et j’ai commencé à creuser mon chemin pour devenir une véritable conductrice de travaux au sein de l’entreprise Richelmi à Monaco.

Pouvez-vous nous expliquer votre métier ?

Le métier de conductrice de travaux est un métier passionnant, riche et varié pour plusieurs raisons : il est évolutif, il permet l’approche avec des corps de métiers différents et c’est un amalgame indissoluble de contacts humains et de gestes techniques. Je suis chargée de l’exécution d’un projet, préalablement dessiné, analysé et détaillé par un bureau d’études. Le cœur de mon métier consiste à veiller à l’exécution des directives provenant de la direction de projet, et ce, en créant une coordination parmi les différents corps d’état intervenant sur un site, par l’intermédiaire des chefs de chantier, qui peuvent faire remonter des problèmes venant du terrain.

Le bâtiment est le secteur le plus masculinisé. Pourquoi l’avoir choisi pour travailler ?

Jeune fille étudiante je ne rêvais pas d’entrer dans le bâtiment, un monde inconnu et pas très sexy vu de l’extérieur. Plusieurs facteurs m’ont orientée vers ce chemin passionnant. Le premier est une vieille histoire d’amour ! Ma passion pour les vieilles bâtisses, les cathédrales et les vieux châteaux ont toujours suscité en moi une espèce d’attraction. Cela reste pour moi un monde magique, un art ancien que j’approfondis à travers la lecture de livres et de romans. Au fond de moi, je pense que mon âme à vécu dans le corps d’un bâtisseur du Moyen-âge ! Le deuxième est un mélange d’un coup de chance et de hasard ! La première entreprise qui m’a embauchée en France, fut une entreprise générale de construction. Je suis rentrée dans le monde du BTP par une toute petite porte, mais mon bonheur s’y est élevé comme des voûtes d’une cathédrale gothique. Le monde du bâtiment coté « terrain » est fait de 90% d’hommes. J’ai, malgré tout, rencontré quelques femmes, mais cela reste une petite partie pour l’instant. Encadrer des hommes, je trouve cela plutôt naturel, à mon âge. J’ai une attitude bienveillante qui rassure ces compagnons qui, en dehors de leurs outils, qu’ils maitrisent très bien, se sentent plutôt … perdus ! Ils voient en moi une personne rassurante, donc mes instructions passent facilement surtout quand je les vois trembler comme des feuilles devant une goutte de sang !

Est-ce difficile de se faire respecter quand on est une femme au milieu d’hommes ?

Savoir se faire respecter par des hommes et des femmes, est une question de feeling et de bon sens. Quand je m’adresse à mes équipes je commence toujours mes phrases avec « nous » par exemple « aujourd’hui nous allons démonter les portes » ou bien « nous allons décharger le camion qui arrive à midi… ». Cette façon de parler m’a toujours aidée à me faire respecter et à faire en sorte que mes demandes soient accomplies. Pendant toutes ces années dans le monde du bâtiment, il m’est arrivé de nombreuses fois de lire sur les murs en béton, à peine coulés : la place de la femme est dans la cuisine ! Cela m’a toujours fait sourire !

Quels sont vos conseils pour les jeunes femmes qui souhaiteraient s’orienter vers les métiers du bâtiment ?

Je leur conseille d’y aller car elles ont tout leur espace à exploiter. Le monde du bâtiment est très intéressant, varié et passionnant ; il y de la place pour tout le monde, surtout aujourd’hui que l’évolution de la technologie a apporté de nombreux moyens pour permettre de travailler sans se blesser. Il ne faut plus des « gros biscotos » mais simplement deux mains, deux bras, des yeux attentifs, des oreilles bien ouvertes et du bon sens ! Le monde du bâtiment aujourd’hui est en grand manque d’artisans motivés et spécialisés. Donc en avant toutes !

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

 

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