Articles récents \ Monde Salma Lamqaddam : « nous demandons des congés spécifiques pour les femmes victimes de violences  » 2/2

Salma Lamqaddam est chargée de la question des droits des femmes à ActionAid France, une ONG qu’elle définit comme étant féministe et altermondialiste. L’ONG soutient, dans de nombreux pays les luttes des ouvrières dont les conditions de travail sont terribles. Ainsi, elle a porté plainte contre les marques Yves Rocher et Auchan.

Au moment de l’effondrement du Rana Plaza, êtes vous intervenus auprès des ouvrières ?

Au Rana Plaza, les travailleurs étaient en réalité des travailleuses ; des femmes pauvres, souvent très jeunes dans un métier physiquement très dur.

Lors du mouvement contre la casse des retraites en 2023, j’ai rencontré à Paris une syndicaliste du Bangladesh, ancienne ouvrière du textile aujourd’hui à la tête d’une ONG. Elle m’avait dit « Dans le textile au Bangladesh, on ne se pose pas la question du droit à la retraite car c’est un travail que l’on ne peut pas faire longtemps. C’est trop pénible, trop physique, de plus les ouvrières sont exposées à des produits chimiques. C’est un travail trop éprouvant pour être durable. »

Ce sont également des travailleuses qui ont connu pour beaucoup, l’exode rural, elles sont souvent loin de leurs réseaux de solidarité et de leur famille.

Le Rana Plaza n’était pas conçu pour abriter des ateliers de confection, il s’agissait de bureaux. Face à l’explosion de la demande du textile dans ce pays où la main d’œuvre est aujourd’hui payée 105 euros le mois, beaucoup de bureaux ont été rénovés à la hâte sans mise aux normes adaptée. C’était le cas du Rana Plaza qui n’aurait jamais du abriter des machines de cette taille. Deux jours avant l’effondrement, les travailleuses et travailleurs des ateliers avaient remarqué des fissures au plafond. Ils et elles ont demandé à être évacuées. Seul·es les salarié·es des banques et des commerces du rez de chaussée ont été évacuées et ont pu ainsi sauver leur vie.  « Si vous partez, on ne vous reprend pas. » s’étaient elles entendues dire par les propriétaires d’usine. Elles y sont retournées, au péril de leur vie. Un drame qui a mis en lumière, aux yeux du monde entier, la réalité de l’industrie de la mode. Une industrie, qui en dix ans, s’est renouvelée par le bas avec l’arrivée destructrice du modèle de la fast et l’ultra fast fashion. En 2013, 1200 ouvrier·es, principalement des femmes sont mortes. Et dans les décombres, des étiquettes du monde entier, parmi celles-ci ; la marque In Extenso d’Auchan. A l’époque, pas de devoir de vigilance qui permettrait d’accuser les multinationales présentes de la mise à mort des personnes qui étaient sur le lieu. Nous avons porté plainte avec le collectif Ethique sur l’Etiquette et l’association Sherpa pour pratiques commerciales trompeuses. Nous avons soutenu qu’au vu des conditions de travail régnant au Rana Plaza, les engagements éthiques d’Auchan, par lesquels elle se targuait de faire respecter les droits des travailleurs et travailleuses sur l’intégralité de sa chaîne de valeur, constituaient des pratiques commerciales trompeuses. La marque a échappé définitivement à toute poursuite en 2023 au motif que les preuves étaient insuffisantes. Mais le procès a permis 2 choses : d’abord, Auchan a fini par participer au fonds d’indemnisation des victimes, une victoire et ensuite on a pu parler largement du sujet et rappeler les liens étroits qui existent entre luttes féministes et luttes altermondialistes. Ce n’est pas un hasard que ce soit des femmes qui meurent sous les décombres des usines qui s’effondrent ou qui explosent. Notre libération du joug patriarcal ne se fera pas sans interroger le modèle capitaliste qui exploite nos sœurs qui travaillent à la pièce pour une mode destructrice.

Vous parlez de droits sociaux pour les femmes victimes de violences conjugales, qu’est ce que cela signifie ?

C’est une tout autre question, qui est moins de l’ordre de la solidarité internationale, et qui s’appuie plus sur notre travail de plaidoyer en France. Ces dernières années, nous avons mené auprès de la CGT et de Care France un gros travail de plaidoyer auprès des institutions publiques pour la ratification de la convention 190. Cette convention, pionnière en la matière, lutte contre tous les types de violences dans le cadre du travail, et vise spécifiquement les enjeux relatifs aux harcèlements et aux violences sexistes et sexuelles. La France, par son ministre du Travail de l’époque, un certain Olivier Dussopt a fini par ratifier la convention, en avril 2023, en plein mouvement social. Cela ne nous a pas fait perdre de vue que premièrement la ratification était en droit constant et ne permettait donc pas de changer le droit français et deuxièmement que la réforme des retraites en cours était en elle-même une violence grave portée aux travailleuses.

Depuis, nous continuons à demander que cette convention soit pleinement effective en France en appelant notamment à créer des droits sociaux au travail, pour les femmes victimes de violences conjugales. Cela revient à faire du travail un espace ressource pour les travailleuses victimes de violences, qu’elles soient ou non engagées dans un processus de départ du foyer violent. A l’exemple du Canada, du Brésil, de l’Afrique du Sud ou encore plus proche de chez nous, de l’Espagne, nous demandons des congés spécifiques pour les femmes victimes de violences afin que celles-ci puissent se poser, respirer, se soigner, porter plainte, réfléchir aux prochaines étapes, etc. Nous demandons également le droit à la mobilité géographique lorsque c’est le souhait de la victime, la protection contre le licenciement ou encore la dispense de préavis en cas de démission.

Nous avons organisé un voyage plaidoyer avec des député·es en Espagne en octobre 2023, pour aller à la rencontre du modèle espagnole qu’on savait très intéressant sur le sujet. Nous avons organisé un parcours de rencontres avec des organisations féministes, des syndicats et le ministère de l’égalité à Madrid. L’objectif était d’outiller les député·es afin qu’elles/ils rédigent et défendent une proposition de loi en ce sens. Sur le papier, l’Espagne est très en avance sur ces questions. Les femmes victimes de violences conjugales ont droit à une suspension de leur contrat de six mois renouvelable, période pendant laquelle elles continuent à toucher leur salaire. Elles ont également un droit de réduction de la journée de travail, de mobilité géographique et pour celles qui le peuvent d’effectuer leur travail à distance. Les patrons qui embauchent des femmes victimes ont droit à des aides. Tout n’ est pas rose, nous avons découvert sur place que beaucoup des mesures mises en place ne bénéficient pas à toutes les femmes de manière uniforme. Lorsqu’on est travailleuse sans papier par exemple, la loi n’est pas suffisamment protectrice.

Les député·es avec qui nous avons fait le déplacement n’ont finalement pas donné suite… A notre grand regret, parce que cela a représenté beaucoup de travail pour nous. 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

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