Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Alice MILLIAT sport, olympisme et émancipation féminine

Pionnière du sport féminin de haut niveau, Alice Milliat (1888-1957) n’a eu de cesse de faire reconnaître dans le monde fermé du sport masculin, la participation des femmes aux JO, quitte à organiser en marge du CIO des « jeux mondiaux féminins ». Convaincue que le sport est émancipateur pour les femmes, elle crée des clubs et s’engage toute sa vie dans des combats de libération des femmes.

Alice Milliat est née à Nantes, sa jeunesse est mal connue. De milieu modeste, ses parents tiennent une épicerie, elle part travailler à Londres, se marie avec un Nantais employé de commerce et se retrouve veuve très jeune. De retour en France elle est salariée dans diverses activités dont le commerce. Alice apprend et pratique plusieurs langues vivantes. Elle se lance dans la pratique du sport bien avant la guerre de 1914, pratique l’aviron et le cyclisme. Elle devient membre du club « Fémina Sport » à Paris XIVème. Elle y est successivement, trésorière, secrétaire générale puis présidente en 1919. La pratique des sports s’est développée et diversifiée au lendemain de la guerre. Selon les classes sociales, les activités sportives sont assez différentes. Alice Milliat est favorable aux sports collectifs, accessibles au plus grand nombre. En 1917 les responsables des clubs de sport féminins se regroupent pour créer la FSFSF (Fédération des sociétés féminines sportives de France).

Au printemps 1918 Alice Milliat organise dans les bois de Chaville en banlieue parisienne un cross pour les jeunes filles. C’est un vrai succès honoré par la présence de journalistes (dont un reportage publié dans le journal « L’Auto »). Ce sont les débuts du football féminin en France, mais les stéréotypes ont la vie dure !

La vision de la pratique du sport pour les femmes va-t-elle changer ?

En 1919 Alice Milliat présente la demande de son association sportive devant le CIO (Comité International Olympique) afin d’inclure des épreuves féminines d’athlétisme lors des Jeux Olympiques prévus en 1924. Le refus du baron de Coubertin est sans appel. Les JO sont une affaire d’hommes depuis leur naissance en 1896.

Dans ce contexte Alice Milliat ne se décourage pas, elle fonde un journal La Femme sportive. Elle multiplie les rencontres et les projets et insère son action dans un meeting international d’éducation physique féminine qui se déroule à Monte Carlo en mars 1921. Elle décide ensuite de lancer les premiers jeux olympiques féminins, en dehors du fonctionnement officiel des JO. Elle réunit à Paris les représentantes de fédérations sportives féminines de cinq pays. Puis elle organise une fédération internationale sportive féminine, qui réitère sa demande de participer aux JO pour 1924. Face au nouveau refus de Pierre de Coubertin et des membres du CIO, Alice Milliat met en place des Jeux olympiques féminins à Paris en 1922. Ils se déroulent au stade Pershing du Bois de Vincennes. En août 1922. la foule afflue, la presse manifeste son enthousiasme. L’objectif d’Alice Milliat est désormais l’émancipation des clubs sportifs féminins. Le sport féminin commence à prendre son envol et son indépendance. Dans ce contexte novateur, lors des JO de 1924 à Paris, les femmes sont admises dans quelques compétitions en tennis, natation et escrime.

Malgré les conflits avec le CIO, A.Milliat organise des « jeux mondiaux féminins »

Les conflits entre le CIO et Alice Milliat continuent, la presse s’en fait l’écho. Alice Milliat réussit à organiser les « Seconds jeux mondiaux féminins »  en Suède à Göteborg en 1926. C’est une réussite en dépit des difficultés de financement ; une souscription fut nécessaire. L’enthousiasme est au rendez-vous, on dénombre 8 000 spectateurs. La virtuosité et l’entraînement des équipes étonnent la presse.

Par la suite, le congrès olympique, réuni à Genève en 1930, proclame le principe de participation des femmes aux JO officiels mais avec un programme réduit pour les épreuves d’athlétisme.

Dans ce contexte Alice Milliat organise, avec l’appui des fédérations sportives féminines, les « troisièmes jeux féminins » à Prague en 1930. C’est un triomphe. 270 athlètes féminines y participent, et 17 pays sont représentés. Les difficultés financières persistent. La fédération féminine dispose de peu de moyens et donc de peu de stades pour l’entraînement, le cas est particulièrement difficile pour le football. Les clubs masculins sont considérés comme prioritaires pour l’entraînement. La pression des clubs masculins s’exerce contre la FFSF qui est sommée de se dissoudre. Lors des JO de Los Angeles en 1932, la délégation française ne comporte que quelques femmes. Mais de nouvelles fédérations sportives féminines se créent en France et Alice Milliat organise des Jeux olympiques féminins à Londres en 1934 : il y a 250 participantes venues de dix-huit pays. Des menaces s’annoncent dès 1934, l’IAAF (fédération sportive internationale) informe la FSFI qu’on examinera la proposition de prendre la direction du sport féminin à l’international. Révoltée elle se rend au congrès de Stockholm et prépare un argumentaire pour contrecarrer ce projet.

Alice Milliat quitte la présidence de la fédération sportive pour cause de santé. Elle est remplacée par Melle Cherer. La FFSF connaît davantage de difficultés financières d’autant que le ministère lui refuse des subventions. Peu après la FFA (Fédération française d’athlétisme) annonce, sans aucun dialogue préalable, qu’elle prend sous sa tutelle la direction de l’athlétisme féminin. Dans ce contexte se déroulent les JO de Berlin en 1936, la montée du nazisme présente « les dieux du stade » comme le triomphe des aryens dans la société occidentale. Cependant 328 sportives participent aux JO de Berlin dans les quatre disciplines précédemment autorisées. Mais le but avoué des membres du CIO est de mettre sous tutelle masculine le sport féminin. Avant les jeux de Berlin Alice Milliat rédige un document récapitulatif accompagné d’un historique et d’un bilan chiffré des quatre jeux olympiques féminins. Les sportives de la FSFI tentent, en vain, de négocier avec les membres du CIO sur le devenir du sport féminin. En France, pendant la guerre de 1939/45, le gouvernement de Vichy efface les traces du modèle d’autonomie qui avait fait le succès du sport féminin de l’entre-deux guerres.

Après 1945 on a peu d’informations sur les activités d’Alice Milliat, elle s’était retirée des associations sportives. Elle a exercé divers métiers dont celui de traductrice. En 1948 elle habitait Paris IXème au pied de la butte Montmartre. Elle achève sa vie en 1957 dans une maison de retraite de la rue Picpus. Elle est inhumée à Nantes sa ville natale.

Ses idées, ses valeurs féministes : un combat sur tous les fronts

Les idées d’Alice Milliat étaient proches de celles de Jane Misme, féministe et journaliste. Elles estimaient toutes deux que l’éducation physique et les sports étaient des pratiques émancipatrices. Le féminisme d’Alice Milliat fut de militer pour l’égalité des sexes et l’amélioration de la condition sociale des femmes par le sport. Elle estimait que les femmes pouvaient pratiquer tous les sports, même s’il était parfois utile de procéder à des adaptations, elles pouvaient s’adonner aux compétitions sportives sans craindre pour leur santé, en dépit des idées hostiles dans le milieu médical à cette époque.

Alice Milliat était favorable au réformisme des « suffragistes », cependant elle n’afficha ses idées que dans la presse féministe. En 1921/22 lorsqu’ Alice Milliat reçoit des soutiens du gouvernement et avec le succès de sa fédération sportive, elle peut publier un bulletin mensuel qui témoigne de l’activité des sociétés sportives à Paris et dans les principales villes de province. Les éditoriaux du Bulletin sont engagés et le premier reçoit la caution de la Doctoresse Marie Houdré (1883-1982). Ces bulletins sont utiles comme organes de propagande pour la pratique du sport féminin. Par la suite Alice Milliat trouve une autre tribune dans le quotidien sportif  L’Auto  (tirage dépassant les 390 000 exemplaires). Toutefois c’est dans la presse féministe qu’Alice Milliat affiche ses idées suffragistes, ainsi dans le journal La Français» dirigé par Jane Misme. Elle reçoit le soutien de l’UFSF (Union française pour le suffrage des femmes) créée en 1909 par Jeanne Schmahl, sage-femme avec l’appui de Jane Misme. elle reçoit aussi l’aide du CNFF (Conseil National des Femmes françaises) créé en 1901 par Sarah Monod.

Catherine Chadefaud Secrétaire générale de l’Association Réussir l’Egalité Femmes-Hommes.

print