Articles récents \ France \ Société Méduz : « L’âge moyen d’entrée dans la prostitution, c’est 14 ans »

Constatant le grand nombre de mineur·es en situation de prostitution en France, Glawdys Angelard et Ariane Morel, fondatrices de l’association Méduz, ont centré leur action sur la sensibilisation partout où sont les jeunes en Ile-de-France et sur la création d’outils de prévention avec elles/eux. L’association souhaite donner la parole aux jeunes et forme également des professionnel·les. 

Quel est votre parcours ?

Ariane Morel : J’ai un parcours universitaire en psychologie. Après mes études, j’ai fait de l’écoute téléphonique pour les femmes victimes de violences mais je me sentais un peu bloquée en terme d’accompagnement… J’ai donc rejoint un accueil de jour pour femmes victimes de violences et à la rue. Beaucoup de ces femmes étaient nouvellement arrivées sur le territoire avec des parcours migratoires très difficiles et avec une très forte exposition à la prostitution. Ce fût très formateur.  Ensuite s’est ouvert un service mineur·e axé sur la prévention en milieu scolaire et sur l’accompagnement des situations de prostitution avec les services de protection de l’enfance. 

Glawdys Angelard : De mon côté, j’ai fait des études de genre et un deuxième master en coordination de projet dans le monde humanitaire et associatif. Après cette formation universitaire j’ai pu travailler sur le terrain, au Mali sur les mutilations sexuelles féminines et en Serbie dans un camp d’exilé·es. De retour en France je me suis tournée vers le travail social dans une structure d’accompagnement de personnes majeures, puis de mineur·es victimes de prostitution.  C’est là que j’ai rencontré Ariane. 

Qu’est-ce qui vous a amené·es à créer votre association ? 

Glawdys Angelard : Notre volonté c’était de donner la parole aux jeunes ! Nous trouvons qu’en général les jeunes ne sont pas assez mobilisé·es ni valorisé·es. On utilise des termes négatifs à leur rencontre, surtout la génération Z, alors qu’en fait, elles/ils sont hyper créatives et créatifs ! Il n’y a qu’elles/eux qui peuvent changer les choses par rapport à leur génération et aux prochaines !

Ariane Morel : Nous voulions partir d’elles/eux, de leurs réflexions pour les mettre au cœur des projets de prévention. La prostitution, c’est un sujet qui peut parfois faire peur aux professionnel·les mais les jeunes sont les premier·es concerné.es et souhaitent en parler.   

Pourquoi ce nom de Méduz ? 

Glawdys Angelard : Plusieurs raisons. La première c’est la référence à Médusa dans la mythologie et dont l’histoire à été racontée par des hommes. Elle a été victime de viol et mise au banc de la société. Nous voulons croire les victimes pour que la honte change de camp ! Et le Z c’est pour la génération Z de moins de 25 ans, native d’Internet, que nous voulons mettre au centre de notre action. 

Ariane Morel : C’était important d’avoir un nom qui ait une signification pour pouvoir raconter une histoire aux jeunes. Il y avait aussi la volonté de choisir un nom qui ne soit pas stigmatisant. 

Avec Méduz quelles sont vos actions et objectifs ? 

Glawdys Angelard : Nous faisons de la prévention auprès des 11/21 ans, partout où sont les jeunes. Nous les guidons pour créer des outils de prévention comme des affiches, des podcasts, des vidéos.  L’idée est de favoriser l’expression des jeunes et la prévention entre pairs dans le but de prévenir l’entrée dans le système prostitutionnel, que ce soit pour les victimes, les éventuels clients ou les proxénètes…. Notre objectif est de visibiliser le sujet sur les réseaux sociaux, d’outiller les professionnel·les par des formations et de la sensibilisation pour repérer, détecter et accompagner des jeunes qui seraient en danger…

Ariane Morel : Nous voulons visibiliser le sujet partout pour que les citoyen·nes puissent être informé.es sur cette question. 

Comment fonctionne votre association ? 

Glawdys Angelard : Nous avons mis beaucoup de temps à développer l’association pour qu’elle soit la plus horizontale possible. Nous voulons une association qui ne soit jamais hors des réalités, hors du terrain et hors du public que nous visons. Nous fonctionnons avec un conseil collégial. La particularité de Méduz, c’est que tou·tes les adhérent·es activistes peuvent élire le conseil et être élu·es. L’association à terme va vraiment évoluer en fonction des personnes qui vont la composer, qui s’investissent… Une personne salariée est toujours invitée pour rapporter la parole du terrain ! 

Ariane Morel : Nous nous fixons l’objectif qu‘il y ait des représentant·es de nos bénéficiaires de 16 à 21 ans dans notre conseil collégial. 

Pouvez-vous décrire des créations de jeunes qui vous ont marquées ? 

Glawdys Angelard : Des jeunes du Centre Paris Anim’ Victor Gelez ont réalisé une affiche sur le viol conjugal dans laquelle elles/ils ont voulu visibiliser le sujet en direction des jeunes. Leur création représente quelqu’un d’androgyne qui pourrait être un garçon, une fille, une personne non binaire victime de violences dans le couple. Leur idée, c’était d’apporter un message d’espoir aux victimes : libérer la parole permet d’aller mieux. On y voit littéralement la personne qui sort de sa cage entourée de ronces qui représentent l’emprise. C’est un sujet dont on parle peu chez les jeunes car les victimes de violences conjugales représentent des personnes de 30 ans dans leurs têtes…

Ariane Morel : Nous faisons toujours une restitution des outils créés dans la structure et les jeunes qui n’ont pas participé à l’atelier ont été très sensibles à l’affiche ! Elles/ils nous ont rapporté·es avoir été témoins de relations toxiques, de violences psychologiques, physiques et sexuelles. Donc on voit bien que c’est quelque chose qui les préoccupe ! 

Glawdys Angelard : L’affiche sur le cyberharcèlement sexuel à été portée par des jeunes de 13 ans ! Leur idée était la métaphore de l’arme pour montrer que le cyberharcèlement peut littéralement tuer des gens. Elles/ils voulaient mettre au centre la responsabilité de la personne qui diffuse, ce qui n’est pas à prendre à la légère. Les violences en ligne ont un impact dans la vraie vie ! 

Ariane Morel : Il y avait aussi l’idée de répétition, chaque insulte est comme une balle qui va blesser la personne. Ce fût intéressant en terme de mise en relation avec l’équipe éducative dans cet établissement car les professionnel·les étaient très surpris·es que ce soit ce sujet qui ait été choisi et la manière de le représenter avec cette agressivité. Il y a eu une prise de conscience des violences que pouvaient vivre les jeunes au quotidien sur les réseaux sociaux. 

Glawdys Angelard : L’affiche sur l’appréhension du proxénétisme a été réalisée avec des mineur·es incarcéré·es. Parmi elles/eux certain·es étaient incarcéré·es pour proxénétisme. Cela a permis de parler des réseaux, des différentes stratégies de repérage… Les échanges ont été très fructueux, au-delà même du résultat de l’affiche. 

Ariane Morel : Je dirais même que ce n’était pas loin de la justice réparatrice de faire dialoguer des personnes victimes et des personnes autrices/auteurs de fait de proxénétisme. 

Quelles sont, pour vous, les axes pour éradiquer la prostitution des mineur·es? 

Glawdys Angelard : Prévention, prévention, prévention ! Nous formons aussi des professionnel·les car on remarque que pour arrêter la prostitution il faut agir sur tous les facteurs de vulnérabilité. Plus tôt elles/ils repèrent les jeunes victimes de violences sexuelles, d’harcèlement, plus tôt cela empêche le développement de ces situations. 

Ariane Morel : L’idée est de permettre l’échange entre les filles et les garçons, qui sont des hommes et femmes en devenir, pour favoriser une prise de conscience et de position en vue de changer des choses à leur échelle ! 

Quel est l’état des lieux de la prostitution des mineur·es en France aujourd’hui ? 

Ariane Morel : Les mineur·es en situation de prostitution en France sont entre 10 000 et 20 000, parfois nous avons entendu 30 000… Les chiffres ont des limites et il y a très peu d’études menées au niveau national. La prostitution des mineur·es tend à augmenter, peut-être que c’est mieux repéré nous ne le savons pas très bien… 

Glawdys Angelard : Sur 9 mineur·es victimes de prostitution il y en aurait 1 qui serait un garçon… Dans les faits nous pensons qu’il y en a beaucoup plus, notamment chez les mineur·es non accompagné·es. L’âge moyen d’entrée dans la prostitution c’est 14 ans.

Comment appréhendez vous l’accueil des Jeux Olympiques et Paralympiques cet été ? 

Glawdys Angelard : Il n’y a pas de faits avérés mais beaucoup de personnes s’inquiètent de l’augmentation du recours à la prostitution pendant les JO et pendant les événements sportifs en général. Cela est dû à plusieurs choses : les hypothétiques clients qui ne connaissent pas forcément la loi en France, des réseaux qui vont ramener des personnes en situation de prostitution pour profiter du monde, une population alcoolisée, une pression pseudo-viriliste…

Ariane Morel : Les professionnel·les nous confient être inquiet·es et demandent à être formé·es pour pouvoir mieux agir en vue des JO. 

Le numérique a-t-il un impact sur la prostitution des jeunes ? 

Glawdys Angelard : Nous pensons que le numérique a un impact parce qu’il a une grande place dans tout ce qui peut fragiliser et exposer les jeunes : des nudes diffusés sans consentement, le harcèlement, le cyber harcèlement, le repérage par des pédocriminels… Tout ce qui se passe en ligne est un facteur de vulnérabilité. Le numérique peut augmenter le phénomène de la prostitution. Il est utilisé par les proxénètes pour repérer, recruter, mettre sous emprise, maintenir dans le système prostitutionnel…

Ariane Morel : Il y a aussi une forme de banalisation et de valorisation de la prostitution sur les réseaux sociaux. Je pense notamment aux influenceuses/influenceurs, aux contenus où il y à  une méconnaissance de la loi et qui ne présentent jamais les conséquences de cette violence sexuelle… Globalement la société de consommation participe à ce que les jeunes puissent nous dire “j’ai besoin d’argent”, alors qu’en fait c’est quelque chose qu’on leur transmet par ces contenus qui sont scrollés au quotidien. 

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Glawdys Angelard : Comme pour beaucoup d’associations, la difficulté c’est que notre action n’est jamais pérenne. Tous les ans, il faut recommencer à zéro, redemander des financements, prouver que notre action est efficace. Sur notre sujet, parfois des parents sont réfractaires à notre action. Parfois aussi, des professionnel·les sont mal à l’aise avec cette thématique…

Quels sont les projets de l’association ? 

Ariane Morel : L’idée est de développer nos projets actuels et peut-être en créer d’autres. Nous pensons à des escape games, des projets musicaux…  Nous avons aussi un projet avec une compagnie de théâtre… Le projet serait d’utiliser d’autres médias, d’autres canaux qui pourraient intéresser les jeunes pour amener le sujet autrement ! 

Propos recueillis par Camille Goasduff 50-50Magazine

Affiches © Mylène Dagnet

Photo de Une : à droite Glawdys Angelard , à gauche Ariane Morel

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