Articles récents \ France \ Politique LOU CHESNE : « POUR LES ROSIES LE FEMINISME FAIT PARTIE DU MOUVEMENT SOCIAL »

Depuis 2019 de curieuses manifestantes sont apparues dans les cortèges contre la réforme des retraites. En salopette bleue, un fichu à pois noué sur la tête, elles chantent, elles dansent et animent les manifestations avec une vitalité revigorante. Si leur allure vous rappelle quelque chose, c’est normal, elles se sont inspirées pour leur costume de celui de « Rosie la riveteuse », cette image de Norman Rockwell qui rendait hommage aux ouvrières américaines ayant remplacé dans les usines les soldats partis au front pendant la deuxième guerre mondiale. Elles racontent aujourd’hui leur aventure dans un livre,  Le manifeste des Rosies. Lou Chesné est l’une de ses autrices.

Comment avez-vous eu l’idée des Rosies ?

Avec ma co-autrice, Youlie Yamamoto, nous faisions partie du groupe d’Attac «Désobéissance civile» et c’est le mouvement Nuit debout qui, début 2016, nous a réunies dans l’idée de faire de « l’artivisme». Je suis chercheuse, elle est contrôleuse des impôts, cela ne nous a pas empêché de chercher à utiliser l’humour et le détournement pour faire passer nos idées ! Or il nous semblait évident que le féminisme et le sexisme n’étaient pas suffisamment présents dans les manifestations, et qu’il fallait souligner l’importance des femmes dans le mouvement social. L’idée d’utiliser l’image de « Rosie » nous est vite venue car elle est aujourd’hui célèbre dans le monde entier, grâce aux féministes qui en avaient fait leur emblème avec le slogan « We can do it ». Pour y ajouter notre touche, nous avons ajouté à son bleu de travail original des gants jaunes utilisés pour faire le ménage, les couleurs claquent, c’est parfait !

Vous n’êtes pas seulement habillées en Rosies, vos chansons portent un message ?

Oui bien sûr ! Au début, en 2019, c’était lors d’une manifestation en hiver, nous avions froid, et avions décidé de bouger et de chanter, en créant des chansons contre Macron. Et puis petit à petit, étant donné le succès que notre action a rencontré, nous nous sommes dit qu’il fallait rendre les problèmes féminins de plus en plus visibles, d’où l’envie de détourner des chansons connues, que tout le monde pourrait reprendre, mais avec des textes qui permettent un lieu de ralliement féministe au cœur des manifs. Notre objectif : lutter contre le patriarcat en mobilisant à la fois nos corps et nos voix. En dénonçant collectivement et publiquement, en envahissant l’espace, en squattant la place ! L’idée a plu puisque tout le monde en France s’en est emparé et que l’on compte aujourd’hui près d’une quarantaine de villes où les Rosies défilent. A chaque manif nous sommes là, et on ne lâche rien ! Car ce qui est sûr c’est que les inégalités sociales et les violences sexuelles, ça va ensemble, nous en sommes persuadées… En même temps, nous n’avons pas fixé de règles à suivre, nous nous contentons de publier des videos où les femmes peuvent apprendre nos chorégraphies si elle veulent. Ce qui est dingue, c’est que partout les revendications sont les mêmes, donc nous n’avons jamais eu le sentiment qu’elles étaient détournées, et nous sommes heureuses de laisser son autonomie à chaque comité.

Mais qui sont les Rosies en France ? Ou ailleurs dans le monde ?

Elles font partie aussi bien des comités locaux d’Attac que des sections syndicales ou tout simplement des groupes féministes, ce n’est pas formalisé pour l’instant, toutes les femmes intéressées peuvent participer. Notre devise, c’est « Rosies partout, pour tout·es ». Il faudra sans doute qu’on s’organise un de ces jours, mais par exemple nous sommes ravies quand un groupe comme les Rosies de la Sarthe crée une nouvelle chanson « Rosiste », sur l’air de « Résiste » de France Gall ! Vous pouvez d’ailleurs trouver à la fin du livre un petit « carnet de chants » avec les paroles de plusieurs de nos chansons. Sinon les cortèges sont très intergénérationnels et j’ai vu des petites filles nous dire qu’elles étaient fans des Rosies et même me demander un autographe ! Pour ce qui est de l’étranger, je ne suis pas trop au courant mais je sais que des défilés en Israël ou en Australie ont repris le concept…Peut-être parce que nous avons eu beaucoup d’écho dans les media internationaux comme le NY Times, le Guardian, et même …le Financial Times !

Ce qui vous caractérise, et plaît tant, c’est votre façon de militer dans la joie ; qu’est-ce qu’elle apporte selon vous ?

C’est vrai, pour nous la joie est quelque chose de transcendant ! A la base nous voulions un outil d’animation dynamique, facilement utilisable. Mais ce que la joie qui s’en dégage apporte, c’est l’idée d’un horizon victorieux. Elle renforce en chacun·e la détermination et conjure la peur. En manifestant, on peut avoir l’impression que rien ne peut nous arriver, ce n’est plus une action qui semble agressive, on rentre dans la bataille, mais avec sororité, bienveillance, ça ne fait que renforcer nos liens, et pour nous c’est un bonus extraordinaire. Contre la morosité qui pourrait nous envahir à cause du sentiment de perdre des batailles, nous avons au contraire le sentiment d’agir ensemble ! Peut-être est-ce une façon propre aux féministes et différente de ce que feraient les hommes : un mélange de radicalité , de colère et de joie… Pourtant, nous n’avons pas évité les critiques nous disant que nous étions trop moches, trop grosses, et même qu’on ferait mieux de retourner dans nos cuisines ! Plus sérieusement, à gauche, on a critiqué cette façon de manifester, en arguant qu’elle n’était pas assez sérieuse, mais nous les avons ignorés car tout cela était aussi sexiste que misogyne… On ne dit pas aux cheminots comment manifester, n’est-ce pas ?

Propos recueillis par Moïra Sauvage 50-50 Magazine

Youlie Yamamoto, Lou Chesné Le manifeste des Rosies Ed. Les Liens qui libèrent  2024 

Photo de Une © Arnaud César Villette

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