Articles récents \ France \ Économie Merieme Chadid « Mes profs à Casablanca me disaient que j’étais folle car je voulais devenir astronome » 1/2

Surnommée l’astronome de l’extrême, Merieme Chadid, est plus qu’une femme inspirante, c’est une véritable guerrière qui, lorsqu’elle a une idée en tête, met tout en œuvre pour l’accomplir. Il faut dire que Merieme Chadid s’est battue toute sa vie. A plus de 50 ans, elle garde son dynamisme et sa pugnacité pour aller toujours au-delà de ses rêves. Un parcours hors norme pour la solaire franco-marocaine.

Avez-vous baigné dans une culture scientifique dès le berceau ?

Je suis née au Maroc dans une famille modeste et traditionnelle, mon père était forgeron et ma mère s’occupait des enfants. J’ai 7 frères et sœurs et on me surnommait la n°6 ! Je n’avais pas vraiment d’identité. Ma grand-mère était cloîtrée chez elle comme le voulait la tradition de l’époque et elle regardait le monde à travers les volets. Ma mère n’était guère libre également. J’étais destinée à être mariée mais je ne me suis pas laissé faire. Ça a été mon 1er combat. Mon salut, je le dois à mon frère de 7 ans mon aîné qui a fait des études scientifiques et qui m’a toujours encouragée.

Comment vous êtes-vous intéressée à l’astronomie ?

Quand j’étais enfant, j’étais intéressée par le ciel. Je me posais énormément de questions sur le changement de saisons, les planètes, les étoiles… J’étais très curieuse et je souhaitais juste comprendre. A l’époque au Maroc, il n’existait pas d’observatoire. Pour mes 10 ans, mon frère m’a offert un livre de Jean-claude Pecker (1) qui a complètement changé ma vie. Cet ouvrage expliquait les lois de la gravitation et j’ai réalisé que la terre tournait autour du soleil et qu’elle n’était qu’une planète parmi tant d’autres. Même si je ne comprenais pas tout ce qui était expliqué dans ce livre, ça m’a ouvert les yeux et j’ai décidé de devenir astronome. Mon frère m’a poussée dans ce sens. Pour moi, c’était une question de survie, je suis partie de loin…

Quelles études avez-vous suivies ?

Je remercie le Maroc pour la gratuité et la qualité de son enseignement. J’ai fait toutes mes études à Casablanca dans le public et mes parents n’ont rien eu à débourser, même pas les inscriptions. J’achetais des livres d’occasion et me rendais à la bibliothèque pour étudier. Mes profs à Casablanca me disaient que j’étais folle car je voulais devenir astronome. Ils me conseillaient d’exercer un métier classique comme avocat ou médecin. Ma famille avait besoin d’argent et insistait pour que je travaille afin de subvenir à leurs besoins financiers. J’ai dû me battre pour continuer mes études. Je suis allée jusqu’à la maitrise en maths puis, j’ai postulé à Paris pour un master que j’ai enchaîné par un doctorat en astronomie. Je suis la 1ère Marocaine à avoir décroché ce titre dans cette discipline. Je dois beaucoup à la France car j’ai pu accomplir mon rêve.

En quoi consiste votre métier ?

Je suis astronome, exploratrice, chercheuse et enseignante à l’Observatoire de la Côte d’Azur. La physique stellaire est ma spécialité. Je travaille sur les chandelles de l’univers (2). J’étudie leur structure que j’écoute avec leurs oscillations. Or, il peut y avoir des perturbations lors de l’analyse de leurs fréquences en raison de l’alternance entre le jour et la nuit. Afin de récolter des précisions scientifiques exactes, je me rends régulièrement en Antarctique où la rotation de la terre est faible et où la nuit polaire dure 6 mois avec un ciel noir sans pollution humaine. On peut observer sans interruption. Je suis très fière d’être la première femme à avoir été sur ce continent de glace. J’y suis restée de nombreux mois et, ainsi des ondes de gravité dans une étoile d’un certain type, ont pu être détectées pour la 1ère fois. A l’époque quand je suis partie au pôle Sud, j’avais 2 enfants en bas âge et ce n’était pas évident.

Quelles ont été vos difficultés pour aboutir à votre rêve ?

Depuis mon enfance, je savais que j’aurais à surmonter des défis perpétuels. Je me considère comme une guerrière. Je crois que c’est ma personnalité, car j’aime les difficultés et les défis. Mes premiers obstacles ont été mes parents puis quitter le Maroc, le coût de mes études en France que j’ai dû financer en donnant des cours de maths et de physique puis trouver des bourses. La solitude, le mal du pays, l’isolement, une nouvelle culture, le niveau requis était différent. En Master, j’avais étudié l’astronomie à travers les livres comme amatrice alors que les étudiants en France avaient déjà appris l’astronomie. J’ai dû bosser pour rattraper leur niveau tout en travaillant à côté. Ça n’a pas été simple… Puis les papiers administratifs à résoudre ont été aussi un combat.

Mon métier m’amène à des déplacements fréquents et j’ai dû faire face à l’incompréhension de certain.es collègues ou de ma famille quand je me rendais en Antarctique. Mon mari est astronome et explorateur. Il m’a toujours soutenue car il comprend les contraintes de nos recherches. A chaque succès obtenu, il était heureux pour moi. C’est un véritable soutien. Quand je revenais de missions, les retrouvailles en famille étaient extraordinaires ! Mes enfants ont appris à vivre avec mon absence et aujourd’hui, ils sont autonomes et poursuivent de belles études. Ma fille est en médecine et mon fils, ingénieur, désire devenir astronaute. Quelque part, toutes ces difficultés ont forgé mon caractère et ont renforcé ma combativité.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

1 Jean-Claude Pecker (1923-2020), astrophysicien, directeur de l’Institut d’astrophysique de Paris et de l’Observatoire de Nice

2 Les chandelles de l’univers : catégorie d’étoiles qui permet de mesurer l’expansion de l’univers

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